C’était le second jour de Soukkot et mon mari m’a joyeusement informée en rentrant que son loulav et son étrog avaient disparu. Il avait donné son set à un étudiant de yéchiva qui faisait la tournée des hôpitaux et des maisons de retraite pour permettre aux patients d’accomplir cette importante mitsva. Le jeune homme, à son tour, avait passé le loulav à quelqu’un d’autre qui avait promis de le ramener en personne. La chaîne s’était rompue à ce point, mais, en tout état de cause, il était clair que quelqu’un avait le set de Quatre Espèces de mon mari, et que ce n’était pas lui.

J’étais malheureusement incapable de prendre ces nouvelles avec la même sérénité que mon mari. Un set de loulav-et-étrog n’est pas donné : entre 100 $ et 200 $ pour un cédrat bien dodu et sans taches et une branche de loulav droite et ferme, auxquelles s’ajoutent les branches de myrte et de saule. Ceci s’ajoutant bien sûr à toutes les autres dépenses des fêtes : des tenues et des chaussures neuves pour tous les enfants et des repas de fête presque tous les soirs.

Avant de réagir, toutefois, je me suis rappelé une histoire que j’avais entendue dans mon enfance, celle d’un pauvre rabbin qui avait vendu sa paire de téfilines reçue en héritage, son seul bien de valeur, pour pouvoir acheter un bel étrog. Sa femme en fut tellement furieuse qu’elle saisit l’étrog et en arracha la pointe avec ses dents, le rendant impropre à la mitsva.

Mes sympathies, à ce moment-là, allaient totalement vers cette rabbanit, et j’aurais probablement fait des choses bien pires à cet étrog si je l’avais eu entre les mains. Mais notre précieux set de Quatre Espèces était actuellement entre les mains d’un brave étudiant de yéchiva en train de sillonner Brooklyn pour trouver des Juifs qui n’avaient pas réussi à acquérir leur propre set. Cette image m’a quelque peu calmée, au moins assez pour demander à travers mes dents serrées : « Et si tu dois prêter ton loulav, ne pourrais-tu pas au moins acheter un set bon marché juste pour cela ? »

« Et pourquoi, a demandé patiemment mon mari, un Juif dans la rue devrait-il faire une bénédiction sur un loulav moins beau que celui que j’ai choisi pour moi-même ? »

Évidemment, vu comme ça... Les gens prêts à mettre plus de 100 $ sur un set de fruits et de branches seront toujours sensibles aux arguments mystiques.

Je me souviens d’une autre histoire d’enfance, d’un autre rabbin (à moins que ce ne fut le même) qui prit les précieux roubles qu’il avait amassé toute l’année et s’en fut acheter un ensemble de Quatre Espèces vraiment exceptionnel. En chemin, il rencontra un pauvre cocher dont le cheval venait de tomber et de mourir sur la route. Le pauvre homme était désormais sans moyen de subsistance. Sans hésitation, le rabbin remit au cocher la totalité de la somme dont il disposait pour acheter un nouveau cheval. Après tout, se disait-il, faire la bénédiction sur les Quatre Espèces est une mitsva et la charité est aussi une mitsva. Quand tout le monde à la synagogue fera la bénédiction sur les Quatre Espèces, je ferais ma bénédiction sur un cheval.

Appliquant la logique du rabbin à ma propre situation, je me dis que sur l’échelle cosmique des mitsvot, il n’y a vraiment aucune différence si mon mari faisait une bénédiction sur son loulav, ou si ce même loulav était utilisé par des centaines d’autres Juifs dans les rues de Brooklyn. Mitsva = mitsva, non ? D’autant plus que la mitsva est multipliée par tous les gens qui l’utilisent.

Je me suis souvenue d’une année, quand l’étrog de ​​mon mari lui avait été restitué couvert de taches brunes, témoignant de son passage entre des dizaines de mains. J’avais regardé avec dégoût l’étrog meurtri, pensant aux nombreuses heures qu’il avait passées à parcourir le marché aux étroguim en essayant de trouver le fruit parfait et sans tache. Mais mon mari avait vu les choses différemment : « Toutes ces marques de mains ne rendent l’étrog que plus beau ! »

Mettant la saga de l’étrog disparu en perspective, je ne pouvais pas être trop en colère. Comme le rabbin dans l’histoire l’avait dit à sa croqueuse d’étrog de femme, l’harmonie familiale est aussi une mitsva, et si D.ieu avait jugé bon de les priver d’une mitsva, il n’y avait aucune raison de se priver de l’autre. Le rabbin avait gardé son calme, et c’est ce que je fis moi aussi. Mon mari renonça mentalement à toute prétention sur son loulav, et en fit don d’un cœur entier à l’étudiant qui l’avait emprunté.

Nous nous débrouillâmes avec des étroguim empruntés pendant la fête, car le set de mon mari ne lui fut jamais rendu. Je souhaite encore qu’il eût trouvé un agent plus fiable, mais ce sont des choses qui arrivent. Comme on dit en yiddish, zol es zain a kapparah – « que ce soit une expiation ». Et puisse notre indulgence dans ce cas être rappelée en notre mérite la prochaine fois que nous perdrons ou endommagerons par inadvertance la propriété d’autrui.

J’écris cette histoire près d’un an plus tard. Avec le recul, je dois dire que D.ieu nous a amplement remboursé le coût de l’étrog perdu. En fait, nous avons réussi à mettre de côté assez d’argent pour faire facilement face à toutes les dépenses des fêtes cette année, y compris les plus beaux loulav et étrog que nous avons pu trouver.