David-Leïb s’installa sans difficulté à Hatinka. Il travaillait de son mieux et plaisait à tous ses clients par son désir de leur être agréable. Il leur faisait payer le prix minimum et cependant son travail était de première qualité. De plus, il se faisait des amis de tous, car ils étaient heureux de l’intérêt sincère qu’il leur portait.

Il vécut ainsi heureusement pendant cinq ans, travaillant le jour et étudiant la nuit, mais personne n’était au courant de ses études secrètes. Tout ce qu’on savait de son désir « d’apprendre » était ce qu’on voyait quand il assistait au chiour sur « Eïn-Yaakov » au Beth-Hamidrache où il s’asseyait et écoutait, semblable en tous points aux autres simples villageois.

Mais si David-Leïb mettait un tel soin à cacher son identité aux autres, de son côté il ouvrait constamment les yeux et les oreilles, à l’affût d’autres Mystiques qui pourraient traverser la ville. Il lui vint à l’esprit qu’il pourrait bien y avoir à Hatinka même un Mystique qui s’y serait installé pour des raisons identiques aux siennes. Aussi David-Leïb ouvrait-il un œil vigilant sur tous, habitants ou hôtes de passage et, dès que le moindre indice lui permettait de penser qu’il se trouvait en face de quelqu’un qui sortait de l’ordinaire, il posait une question déterminante et voyait quelle était la réaction de la personne interrogée.

Très souvent, il trouvait en face de lui un regard vide, comme s’il avait demandé une chose incompréhensible. La personne en question se grattait la tête d’un air ébahi en se demandant « Que me veut cet individu ? Il ferait mieux d’interroger un savant ! »

Les témoins riaient en disant : « Notre ami le savetier a tapé à côté ! » Mais David-Leïb savait mieux que personne s’il avait enfoncé un clou au bon endroit ou non.

Quand il sentait qu’il avait vraiment trouvé quelqu’un qu’il pensait être un Mystique, il le criblait de questions jusqu’à ce qu’il ait vérifié sa supposition.

Afin d’avoir plus aisément la possibilité de rencontrer et reconnaître ces Mystiques, il fit de sa maison un « centre d’accueil » pour les voyageurs. De plus, il était heureux d’avoir l’occasion de veiller au confort et au bien-être des Mystiques éventuels qui, désireux de cacher leur personnalité aux yeux du peuple, étaient généralement considérés comme des voyageurs ordinaires et ne recevaient aucune attention ni aucun privilège spéciaux.

De cette façon, David-Leïb se lia d’amitié avec ces derniers et en profita pour apprendre tout ce qu’il pouvait de leurs façons particulières d’aborder leurs frères juifs et de leur propre « mode de vie ».

Il y avait le cas de celui que tout le monde appelait soit « le Cohen roux », soit « l’âme joyeuse », qui rendait régulièrement visite à Hatinka et que tout le monde aimait bien.

On le prenait pour un voyageur ordinaire et on lui faisait bon accueil parce que c’était un homme jovial qui égayait tout le monde par ses plaisanteries continuelles. Personne ne soupçonnait qu’il était quelque chose de plus que ce qu’il prétendait être, et personne ne cherchait à deviner la raison de ses visites ni le but de son séjour.

C’est-à-dire personne en dehors de David-Leïb. Il était très intrigué et voulait en savoir davantage sur ce « Cohen roux » qui était toujours si jovial et si cordial avec tout le monde, mais par-dessus tout avec les enfants. Au Beth-Hamidrache, il réunissait toujours autour de lui tous les petits garçons qui tout simplement l’adoraient ! Et ce n’est pas étonnant, car il était toujours en train de leur donner des bonbons, des noix, des pommes ! Il insistait toujours pour qu’ils fassent une bérakhah avant de manger ces choses, et tous les autres répondaient « Amen ».

Ensuite, il leur racontait des histoires si intéressantes sur les grands hommes de l’histoire juive, qu’ils l’écoutaient bouche bée. Il les persuadait d’apprendre tout ce qu’ils pouvaient de leurs rebbès et les interrogeait sur ce qu’ils avaient déjà appris au ‘heder.

Enfin, il chantait pour eux et leur enseignait des chansons afin qu’ils puissent chanter avec lui, et ils chantaient de bon cœur, terminant avec une danse effrénée.

Vous étonnez-vous de ce qu’ils aient aimé leur grand ami « le Roux » qui les traitait avec tant de générosité et qui s’amusait avec eux de façon si magnifique ?

Beaucoup d’hommes le critiquaient parce qu’il était si « puéril », mais David-Leïb pensait que ce n’était pas là un simple « clown » comme certains l’appelaient, mais un homme qui avait une mission : celle d’influencer les enfants juifs de façon qu’ils acquièrent l’amour du Judaïsme et des choses juives, sans remarquer qu’on les leur enseignait. C’est là, sûrement, la méthode d’enseignement la plus efficace !

David-Leïb profita de toutes les occasions pour étudier cette « Âme joyeuse » ; il le suivait où et quand il le pouvait, et quand il remarquait la façon dont il s’enthousiasmait, le visage radieux et les yeux brillants, quand il parlait des Juifs et du Judaïsme, David-Leïb était convaincu que c’était une personnalité qui valait la peine d’être remarquée.

Plus tard, David-Leïb en apprit davantage sur « le Cohen roux ». Il avait été mélamed à Kalisk pendant très longtemps et était renommé pour son savoir et hautement respecté pour sa noble personnalité. Son nom était Rabbi Sender.

Un jour, Rabbi Sender décida subitement qu’il avait enseigné assez longtemps à Kalisk, et qu’il devait maintenant porter son attention vers les enfants juifs des petites villes et des villages qui pouvaient avoir encore plus grand besoin de son enseignement.