Abraham-Isaac était né à Vitebsk où son père, dont le nom était David-Leïb, gagnait sa vie comme savetier.
Pendant longtemps Abraham-Isaac crut que son père n’était qu’un simple savetier, mais plus tard il découvrit qu’il était en fait un Mystique qui, intentionnellement, menait une vie simple afin de montrer aux autres, par l’exemple, qu’ils pouvaient eux aussi vivre de cette façon.
David-Leïb était originaire de Minsk et c’était le fils du dayane1 de Minsk, Rabbi Tzvi-Aryéh, renommé de tous côtés pour l’étendue de son savoir et sa sagesse.
Par conséquent, on ne pouvait que s’attendre à ce que le fils d’un aussi grand personnage ne soit pas un homme ordinaire. Et David-Leïb était en réalité un savant accompli.
David-Leïb vit que son père, le fameux dayane, consacrait une grande partie de son temps à l’étude de la métaphysique et souhaitait ardemment suivre son exemple. Cependant, son père le découragea en lui disant qu’il était encore beaucoup trop jeune pour se livrer à de telles études et qu’il ferait beaucoup mieux d’étudier Chass2 et Poskim.3
David-Leïb allait dans une yéchiva et son père observait ses progrès avec satisfaction, car, pour respecter les désirs paternels, David-Leïb se consacrait surtout à l’étude de la Guémara4 et avançait de façon fort satisfaisante.
Rabbi Tzvi-Aryéh surveilla les études de son fils jusqu’à son mariage avec la fille du riche ‘Haïm de Vitebsk. Celui-ci promit à David-Leïb de subvenir à ses besoins pendant huit ans, afin qu’il puisse poursuivre ses études.
Se sentant maintenant mûr pour pénétrer dans le vaste champ de la métaphysique, David-Leïb était impatient de commencer cette étude. Cependant, bien qu’âgé de vingt-deux ans, il avait encore le sentiment qu’il devait en discuter avec son père qui avait toujours supervisé ses études. Mais Vitebsk était loin de Minsk et il ne semblait pas qu’il y eût une chance de ménager cette rencontre dans un proche avenir.
Finalement, David-Leïb décida qu’il ne pouvait plus attendre et se plongea dans l’étude de la métaphysique avec un grand zèle.
Il trouva cette étude si captivante qu’il réalisa soudain qu’il en négligeait son étude du Talmud et se le reprocha, décidant qu’il devrait plutôt se tourner vers des études qui amélioreraient sa personnalité.
Cela le conduisit à l’étude de l’éthique et il se trouva dans un monde nouveau ! Ces livres sur l’éthique firent sur lui une telle impression qu’il sentit qu’il devait consacrer chacune de ses minutes à leur étude et abandonner tout le reste !
Il se mit à vivre différemment, plus ardemment, cherchant seulement ce qui, selon lui, l’élèverait à un niveau supérieur. Mais il ne voulait pas qu’on le remarque, aussi devint-il très réservé et cacha ses nouvelles idées et son nouveau mode de vie dans toute la mesure du possible, même à ses beaux-parents !
De leur côté, ils se mirent à lui demander pourquoi il ne manifestait aucun désir de devenir rabbin, car, pensant que ce serait le résultat de ses années d’étude, ils s’en étaient fait gloire auprès de leurs amis, disant que leur gendre deviendrait certainement un grand rabbin.
David-Leïb se contenta de hausser les épaules et répondit qu’il regrettait de les décevoir, mais qu’il n’avait pas l’intention d’accepter un poste de rabbin.
Ses beaux-parents furent complètement déconcertés.
– Ne pas devenir rabbin ? s’écria sa belle-mère en colère. À quoi d’autre penses-tu donc être bon ? N’est-ce pas pour cela que tu as étudié toute ta vie ?
– Bon, comme il reste encore trois ans avant d’arriver au terme des huit ans pendant lesquels vous avez promis d’assurer mon existence, est-ce la peine de discuter de la question maintenant ? répondit tranquillement David-Leïb.
À partir de ce moment-là, sa belle-mère fit tout pour lui rendre la vie insupportable et, sentant que la déception de ses beaux-parents était compréhensible, David-Leïb décida d’avoir un entretien avec eux.
Quand une occasion propice se présenta, il leur expliqua que, en ce qui le concernait personnellement, il avait parfaitement choisi le genre de vie qu’il voulait mener. Mais comme il ne serait pas juste pour sa femme ni pour eux qu’il continue à encourir leur mécontentement par sa manière de vivre, contraire à leurs propres idées, il était prêt à rendre la liberté à sa femme en demandant le divorce. Et, comme ils n’avaient pas eu d’enfants, elle pourrait facilement se remarier et choisir quelqu’un qui la rendrait plus heureuse.
Quand sa femme apprit sa suggestion, elle en fut bouleversée et opposa qu’elle ne pouvait songer à un divorce, car elle aimait tendrement son mari et approuvait tout ce qu’il faisait.
David-Leïb ne se sentait pas à son aise chez ses beaux-parents depuis que, à chaque occasion, ils le sermonnaient parce qu’il semblait se désintéresser de son avenir. Il en fut amené à se replier sur lui-même encore plus qu’auparavant.
Six ans après son mariage, sa femme donna naissance à une fille, et l’année suivante à un fils qu’ils nommèrent Abraham-Isaac. Les beaux-parents de David-Leïb perdirent alors toute patience envers leur gendre.
– Écoute David Leïb, lui dirent-ils, tu es maintenant père de deux enfants. Tu vas sûrement accepter un poste de rabbin pour faire vivre ta famille ! Nous avons rempli notre rôle comme convenu et t’avons entretenu pendant huit ans.
– Je suis navré de vous décevoir, leur répondit-il, mais je suis toujours décidé à ne pas devenir rabbin. Et, à leur grande surprise, il continua : Vous n’avez pas à vous inquiéter, cependant, car j’ai appris le métier de savetier. J’ai déjà loué, dans les faubourgs de la ville, une maison adéquate qui comporte un atelier, je vais y emmener ma famille et ne vous dérangerai plus.
Sa belle-mère eut du mal à retrouver la parole et lui hurla :
– Ainsi, tu veux faire de nous la risée de tous, n’est-ce pas ? Si nous avions voulu d’un savetier comme gendre, nous n’aurions pas fait les frais de ton entretien pendant huit ans ! Nous aurions pu commencer par marier notre fille à un savetier et nous nous serions épargné des crève-cœur et de l’argent !
– Il faut que tu divorces d’avec notre fille afin que notre honte soit effacée, rugit le beau-père.
– Et n’ai-je rien à dire dans l’affaire ? interrompit leur fille. En ce qui me concerne, quoi que fasse David-Leïb, je suis à ses côtés !
Voyant qu’ils ne pouvaient arriver à rien avec leur gendre ni avec leur propre fille, ils décidèrent que l’affaire était assez grave pour mander leur « mé’houtane », le dayane de Minsk, Rabbi Tzvi-Aryéh, et de voir s’il pouvait user de son influence pour persuader son fils d’abandonner sa « folle » décision de se faire savetier et d’adopter à la place la profession plus honorable de rabbin.
Ils tremblaient à la pensée que Rabbi Tzvi-Aryéh pourrait lui-même être incapable de persuader son fils d’abandonner son métier de savetier. Comment feraient-ils pour regarder leurs amis en face à l’avenir !
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