Barou’h aida le forgeron à la forge pendant assez longtemps et sentait qu’il avait trouvé en lui non seulement sa source de revenus, mais aussi un guide. Il trouvait beaucoup à admirer et à apprendre de cette âme humble et simple.
Ainsi passa l’hiver et Pessa’h approchait. Eliézer-Réuben invita Barou’h à passer le Yom-Tov chez lui.
« Tu as tout le temps refusé de manger à ma table, mais tu ne peux manger seul pour Pessa’h », lui dit le forgeron. Barou’h accepta, mais à une condition : c’est que le forgeron lui permette de payer le prix de ses repas.
« Voyons, il n’en est pas question », répondit le forgeron, offusqué à la pensée de faire payer à un pauvre garçon l’hospitalité de Yom-Tov.
Barou’h lui expliqua que c’était pour lui une question de principe et que c’était pour cette même raison qu’il était volontairement devenu vagabond afin de pouvoir gagner sa vie du travail de ses mains, sans avoir besoin d’accepter la charité de personne. Il ne lui dit pas cependant l’autre raison de cet exil volontaire, c’est-à-dire qu’il ne voulait pas qu’on devine qu’il était un grand savant.
Néanmoins, Eliézer-Réuben vit que ce n’était pas un garçon ordinaire car il citait avec aisance des passages de la Bible et des Sages pour renforcer ses arguments. Le forgeron commença à comprendre et approuver les raisons du jeune homme et accepta ses conditions.
Barou’h eut alors l’occasion d’observer la façon dont le forgeron fit les préparatifs pour le saint Yom-Tov, et aussi la manière dont il célébra cette fête sacrée. Tout fit sur lui une grande impression. Barou’h vit qu’il était possible d’être un Juif sincèrement pratiquant même sans être très instruit.
Trois jours avant le Yom-Tov, Eliézer-Réuben laissa son travail à la forge et se mit à préparer la maison pour la cérémonie proche.
Les clients amenaient leurs charrettes pour des réparations et leurs chevaux pour qu’ils soient ferrés. Eliézer-Réuben aurait pu gagner une somme rondelette, mais il les renvoyait leur expliquant que c’était à cause de la fête sacrée.
Barou’h remarqua tout cela et acquit un respect encore plus grand pour son employeur qui, après tout, arrivait à peine à joindre les deux bouts. Très peu de gens, pensait-il, auraient été prêts à sacrifier la possibilité de gagner quelque honnête argent, dans les mêmes circonstances.
Mais Eliézer-Réuben avait une tâche plus importante à accomplir : c’était de veiller à ce que chez lui tout fut parfaitement et convenablement casher pour Pessa’h. Ce n’était pas le moment de penser à gagner de l’argent ! Il devait veiller à ce que chaque meuble de la maison, chaque objet, fut lavé et frotté, aéré et épousseté.
Il blanchit la maison à la chaux et remplaça les vieilles briques du four par des neuves. Il inspecta chaque recoin de la maison, et elle était si resplendissante qu’elle brillait comme un sou neuf.
La veille de Yom-Tov, Eliézer-Réuben alla aux bains et endossa ses habits neufs de Yom-Tov. Quand il revint, Barou’h l’accompagna au Beth-Hamidrache.
Ils rentrèrent chez lui et, d’une certaine façon, perçurent la différence de l’atmosphère. La maison resplendissait et il y avait un véritable esprit de Yom-Tov dans l’air. L’âme du Chabbat et des fêtes brillait dans leurs yeux.
Quand vint le moment de réciter la Haggadah, Eliézer-Réuben demanda à Barou’h s’il aimerait la traduire et l’expliquer à sa famille. Barou’h fut enchanté de le faire.
Ils écoutaient tous attentivement ses explications et ses observations claires et intéressantes. Les larmes vinrent aux yeux d’Eliézer-Réuben. Étaient-ce des larmes de joie ou des larmes de tristesse à la pensée que son propre fils était tellement simplet qu’il savait à peine un chapitre de ‘Houmache à cette époque ? Il était difficile de le dire.
Tous les efforts d’Eliézer-Réuben pour faire de son fils un savant (et il avait engagé les meilleurs maîtres sans regarder à la dépense) semblaient vains face à son esprit obtus et il en souffrait énormément.
Barou’h n’oublia pas le Pessa’h passé chez Eliézer-Réuben et quand Pessa’h vint à nouveau il décida de retourner chez lui. À ce moment-là, il habitait une autre ville, mais il décida de retourner à Dobromysl pour Yom-Tov, afin de le passer avec son ancien employeur, en payant naturellement. Ce dernier, sachant déjà ce que pensait Barou’h en la matière, accepta sans discussion.
Barou’h aimait à venir chez Eliézer-Réuben, non seulement parce qu’il s’y sentait si parfaitement chez lui, mais aussi parce qu’il s’imprégnait toujours d’un esprit de vrai Judaïsme quand il était avec lui. Barou’h n’oublia jamais l’intégrité, l’honnêteté et la piété du forgeron.
Barou’h se rappelait tout cela très clairement et était impatient de rencontrer à nouveau son ami, le forgeron de Dobromysl.
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