L’essence du judaïsme est la croyance en un D.ieu Unique. De fait, toutes les religions monothéistes font remonter leur origine à Abraham, le découvreur (ou re-découvreur) de cette vérité.

La croyance juive en D.ieu est exprimée dans les deux premiers des Dix Commandements. Le premier affirme la vérité de Son être. Le second est le complément négatif du premier, c’est-à-dire le désaveu de l’idolâtrie. L’idolâtrie n’est pas nécessairement un manque de croyance en D.ieu ; le deuxième commandement commence d’ailleurs par : « Tu n’auras pas d’autres dieux devant Moi... » L’idolâtrie inclut également toute négation de l’unicité de D.ieu, de Son  absolue singularité, unité et exclusivité de l’être. Attribuer des divisions ou des compartimentations à l’être divin, ou croire que D.ieu a des partenaires ou des intermédiaires dans Son œuvre de création et de maintien de l’univers, revient à transgresser l’interdiction de l’idolâtrie.

Les détails des lois de l’idolâtrie sont énoncés par Maïmonide dans son Michné Torah, dans une section de douze chapitres intitulée Lois Relatives à l’Idolâtrie et ses Pratiques. Maïmonide y définit l’idolâtrie et examine les diverses formes de culte des idoles et les pratiques qui les accompagnent, les peines que l’on encourt en s’y adonnant, le statut d’un idolâtre, etc.

Dans le premier chapitre des Lois Relatives à l’Idolâtrie, Maïmonide retrace l’histoire de la reconnaissance par l’homme de la vérité du D.ieu Unique. À l’origine, l’homme connaissait son Créateur, mais

« dans la génération d’Énoch (petit-fils d’Adam), l’humanité s’égara gravement, et le discernement des sages de cette génération se détériora ; Énoch lui-même fut parmi ceux qui s’égarèrent. Leur erreur résidait dans leur croyance qu’il serait agréable à D.ieu qu’ils vénèrent les forces de la nature qui Le servent, tout comme un roi désire que ses ministres et ses fonctionnaires soient honorés. Bientôt, ils érigèrent des temples et des autels à la gloire du soleil et des étoiles, leur offrant des sacrifices et des chants de louange, persuadés que c’était-là la volonté de D.ieu. »

Dans les générations suivantes, poursuit Maïmonide,

« de faux prophètes apparurent... avec d’autres charlatans qui prétendaient avoir reçu des messages des différents corps célestes sur la façon dont ils devaient être servis et quelles étaient les images qui devaient les représenter. Au fil des années, le vénérable et redoutable nom de D.ieu disparut des bouches et des esprits de l’humanité ; les hommes n’avaient plus aucune conscience de Lui. Les gens du commun ne connaissaient que l’image de bois ou de pierre dans son temple de pierre devant lesquelles on leur avait appris à se prosterner et au nom desquelles ils juraient depuis leur enfance ; les plus sages parmi eux croyaient en les étoiles et les constellations que ces images représentaient ; mais personne ne reconnaissait plus ou n’avait même la notion du Créateur, à l’exception de rares individus comme Énoch, Mathusalem, Noé, Chem et Eber. Et telle fut la conduite du monde jusqu’à ce que naquit le pilier de l’univers, notre père Abraham.

« Quand [Abraham] fut sevré, son esprit commença à chercher et à s’interroger, alors qu’il n’était qu’un petit enfant : Comment les corps célestes pouvaient-ils parcourir leur orbite sans une force qui les mette en mouvement ? Qui les faisait se déplacer ? Ils ne pouvaient pas le faire d’eux-mêmes ! Vivant parmi les idolâtres insensés d’Our Casdim, il n’avait personne pour lui enseigner quoi que ce soit ; son père, sa mère et ses compatriotes, et lui avec eux, tous adoraient les idoles. Mais son cœur cherchait, et il découvrit finalement qu’il y a un D.ieu unique... qui a tout créé et que, dans toute l’existence, il n’est rien d’autre que Lui. Il sut que le monde entier s’était égaré...

« À l’âge de quarante ans, Abraham reconnut son Créateur... Il commença à débattre avec les gens d’Our Casdim... Il brisa les idoles, et commença à enseigner au peuple qu’il convient de servir seulement le D.ieu unique... Il continua de s’adresser d’une voix forte au monde et d’apprendre aux hommes qu’il n’y a qu’un D.ieu pour l’univers entier, et que Lui seul est digne d’être adoré. Il porta son message de ville en ville et de royaume en royaume... Beaucoup se rassemblèrent pour l’interroger sur ses paroles, et il expliquait à chacun selon sa compréhension, jusqu’à ce qu’il lui ait montré le chemin de la vérité. Des milliers, puis des dizaines de milliers se joignirent à lui... et il implanta ce grand principe dans leurs cœurs et écrivit de nombreux livres à ce sujet. Après le décès d’Abraham, Isaac, puis Jacob poursuivirent son œuvre, jusqu’à ce que les descendants de Jacob, et ceux qui se joignirent à eux, formèrent une nation qui connaissait D.ieu.

« Toutefois, lorsque le peuple d’Israël eut résidé en Égypte de nombreuses années, il régressa au point d’apprendre du comportement des Égyptiens et d’adorer les idoles avec eux... il s’en fallut de peu que le grand principe implanté par Abraham soit déraciné, et que les descendants de Jacob retombent dans l’erreur de l’humanité et dans ses mauvais chemins. Mais par amour de D.ieu pour nous, et eu égard au serment qu’Il avait fait à Abraham... D.ieu choisit les Enfants d’Israël pour être Siens, les couronna des mitsvot, et leur ordonna la manière de Le servir, et les lois concernant l’idolâtrie et ceux qui s’égarent en elle. »

L’Histoire comme loi

C’est ainsi que Maïmonide conclut le premier chapitre des Lois Relatives à l’Idolâtrie. Dans les onze chapitres suivants, il précise les particularités juridiques de « l’idolâtrie et ceux qui s’égarent en elle. »

Le Michné Torah est un ouvrage purement halakhique, c’est-à-dire juridique. Dans les rares occasions où Maïmonide digresse avec un fait historique ou une idée philosophique, cela se révèle toujours être, après examen, un point instructif au plan juridique. La même chose est vraie du premier chapitre des Lois Relatives à l’Idolâtrie : chaque détail de cette longue histoire est une Halakha, une composante essentielle de l’interdiction de l’idolâtrie dans la Torah. Dans cet essai, nous nous arrêterons sur deux des principes importants que Maïmonide établit dans ce chapitre.

Le premier principe de Maïmonide est que l’idolâtrie n’est pas seulement un péché religieux, mais également une erreur du point de vue rationnel. La génération de Énoch « s’égara gravement, et le discernement des sages de cette génération se détériora » ; l’humanité fut trompée par de faux prophètes et des charlatans. Abraham parvint à la vérité de l’unicité de D.ieu non pas grâce à une révélation divine ou des pouvoirs surnaturels, mais à travers un processus dans lequel « son esprit commença à chercher et à s’interroger... jusqu’à ce qu’il ait saisi la vérité et compris quel est le chemin vertueux dans sa grande sagesse ». Il rallia des adhérents à sa foi, non en accomplissant des miracles ou en prophétisant au nom de D.ieu, mais en expliquant à chacun selon sa compréhension, jusqu’à ce qu’il lui ait montré le chemin de la vérité. Maïmonide ne fait pas mention des nombreuses révélations de D.ieu à Abraham (voir Genèse 12, 1 ; 12, 7 ; 15, 1-21, et al), non plus que des nombreuses prophéties et des miracles qui accompagnèrent le développement de la nation qui connaissait D.ieu dans ses jeunes années. Car, même si rien de tout cela n’était arrivé, l’homme aurait tout de même été en mesure de reconnaître l’unicité de D.ieu, et censé le faire. L’idolâtrie est irrationnelle. L’homme, en n’utilisant rien de plus que sa capacité de raisonnement, peut en discerner la fausseté et découvrir la vérité.

[Ceci est également souligné par Maïmonide, quand il affirme qu’« à l’âge de quarante ans, Abraham reconnut son Créateur ». Il existe plusieurs opinions quant à l’année de la découverte d’Abraham. Le Talmud affirme qu’Abraham reconnut son Créateur à l’âge de trois ans ; d’autres sources donnent l’âge de 48 ans, d’autres encore, 50 ans. La source de Maïmonide semble être une variante du Midrache selon lequel il avait alors 48 ans. Comme le suggèrent de nombreux commentaires, il n’y a pas de contradiction entre ces avis : chacun représente un certain niveau de reconnaissance atteint par Abraham. Maïmonide lui-même nous informe d’ailleurs que sa quête avait commencé « à peine fut-il sevré, alors qu’il n’était qu’un petit enfant ». Pourquoi, dans ce cas, Maïmonide choisit-il de parler spécifiquement du degré de reconnaissance de D.ieu qu’Abraham atteignit à l’âge de quarante ans ? Et, plus généralement, quelle est donc la portée de l’âge d’Abraham sur le plan halakhique ? De fait, le propos de Maïmonide est à nouveau de souligner que la réfutation de l’idolâtrie d’Abraham était rationnelle. Quarante ans est en effet décrit par nos Sages comme étant « l’âge de la compréhension », le moment à partir duquel les capacités cognitives d’une personne atteignent leur pleine maturité. Ainsi, le niveau de découverte qu’Abraham atteignit à l’âge de quarante ans représente sa parfaite compréhension de la vérité divine.]

D’un autre côté, vers la fin de l’historique, Maïmonide exprime un point diamétralement opposé : sans intervention divine, la foi fondée par Abraham n’aurait pas subsisté.

La raison humaine n’est pas suffisante. Elle peut dénoncer les sophismes, découvrir la vérité, transformer une vie, convaincre des milliers de personnes, fonder une nation. Mais elle est seulement aussi forte que l’être humain dont elle jaillit. Elle peut être déformée et étouffée par les vicissitudes de la vie : brisez la personne et vous avez invalidé ses idées. L’exil et la misère vécus par les enfants d’Israël en Égypte détruisirent presque la nation qui connaissait D.ieu. Si D.ieu ne s’était pas révélé à nous au Sinaï, le grand principe implanté par Abraham aurait disparu.

L’esprit et plus

Dans le premier chapitre des Lois Relatives à l’Idolâtrie, Maïmonide nous enseigne comment la mitsva « Tu n’auras pas d’autres dieux devant Moi » doit être observée.

Il ne suffit pas de dire : « D.ieu s’est révélé à nous au Sinaï et nous a dit qu’il n’y a pas d’autres divinités ou forces qui soient partenaires de Son être et de Sa domination sur l’univers. Donc je sais qu’il en est ainsi. S’il l’a dit, cela me suffit. La logique de cette vérité n’est pas importante. » Non, dit Maïmonide. Le deuxième commandement impose au Juif que son entendement, et non seulement ses convictions, rejette la possibilité qu’il y ait d’autres dieux. Il doit non seulement accepter qu’il en est ainsi, mais aussi comprendre que, rationnellement, il ne peut en être autrement. Chaque Juif est commandé de développer la reconnaissance de la vérité divine atteinte par Abraham : une reconnaissance si absolue qu’elle peut, par la force de la seule raison, dissiper une doctrine universellement acceptée et convaincre des milliers de personnes de transformer leur vie.

D’un autre côté, une personne pourrait pousser cette idée à l’extrême et affirmer : « L’unicité de D.ieu n’est pas une question de foi, c’est un fait. La nature de la réalité en atteste ; je peux le prouver à n’importe qui. C’est la révélation du Sinaï qui est inutile. Le monothéisme est une vérité rationnelle, étayée par des arguments irréfutables. »

Cela peut être vrai, dit Maïmonide, mais le refus du Juif de dieux étrangers est plus qu’une philosophie irréfutable. C’est une foi implantée dans l’essence de nos âmes, qui perdure même lorsque la logique cesse de fonctionner et que la raison est rendue impuissante. Pour croire véritablement, il faut comprendre, mais la compréhension à elle seule n’est que l’ombre mortelle de la foi immortelle. La foi-philosophie d’Abraham survécut à peine à l’Égypte ; la foi suprarationnelle que nous avons atteinte au Sinaï, où D.ieu choisit Israël pour être Sien, le couronna de mitsvot et lui ordonna la manière de Le servir, a survécu à une centaine d’Égyptes et à toutes les folies de l’histoire.

Adapté d’un discours du Rabbi de Loubavitch
– Likoutei Si’hot vol. 20, p. 13