La vente du ‘Hamets à un non Juif

Jusqu’à l’heure de la vente du ‘Hamets, il était encore possible de parler, avec mon mari, de tout ce qui concerne la veille de Pessa’h, mais il éprouvait, en permanence, une crainte de ne pas s’être encore pleinement acquitté de son obligation, dans toute la mesure de ce qui est nécessaire, afin que le ‘Hamets soit totalement supprimé.

Puis, par la suite, on procédait à la signature de l’acte de vente. Le non Juif qui achetait le ‘Hamets venait alors dans notre maison. L’orgueil qu’il ressentait apparaissait à l’évidence, puisqu’en un seul jour, il devenait le propriétaire de tous les commerces de la ville !

Pour que cette vente ne prenne pas l’apparence d’un acte factice, n’ayant d’autre but  que de s’acquitter de son obligation, mon mari s’enfermait, dans son étude, avec ce non Juif. Nul n’était alors autorisé à entrer dans la pièce. Il lui traduisait le texte de l’acte de vente en russe, car il maîtrisait parfaitement cette langue.

Mon mari ne manquait pas de lui traduire la liste de tous les articles ‘Hamets qui étaient spécifiés dans cet acte, y compris le ‘Hamets se trouvant sur les bateaux, en pleine mer, qui transportaient le ‘Hamets jusqu’à la ville. Mais, le non Juif s’intéressait essentiellement aux grands commerces de vodka et de vin, qui étaient les plus chers à son cœur.

Mon mari, du fait du profond sérieux avec lequel il considérait cette vente, terrifiait le non Juif, à proprement parler. Cet homme était donc assis, apeuré, anxieux et il ne cessait de répéter :

« Je ne laisserai personne entrer dans ces commerces, jusqu’au dernier jour de votre fête de Pessa’h, même si l’on me propose, en échange une grande somme d’argent. Désormais, j’en suis le propriétaire. Oui, oui, monsieur le rabbin, je sais tout cela ».

Le non Juif finissait ensuite d’accomplir tous les actes formels qui étaient nécessaires à cette vente. Enfin à l’issue de tout cela, il quittait notre maison, avec un visage empreint d’un sérieux tout particulier.

Rav Dov Zev (“Bere Volf”) Kozevnikov
Rav Dov Zev (“Bere Volf”) Kozevnikov
Une fois, je m’en souviens, le petit-fils de Rav Béré Wolf1 est arrivé dans notre maison. A l’époque, il était déjà directeur d’usine et il prenait donc ses distances, avec la communauté de ceux qui étaient pratiquants, jusqu’à un certain point. En revanche, il avait pris l’habitude de nous rendre visite et il venait assez souvent.

Il demanda à mon mari, avec insistance, d’être présent dans son étude, lorsqu’il effectuait cette transaction avec le non Juif et il obtint son accord, pour cela. Puis, lorsqu’il quitta cet endroit, quelques heures plus tard, après avoir observé, de loin, ce qui se passait, il était pâle et couvert de transpiration. Telle était, en effet, l’ambiance qui régnait là-bas. A l’issue de cette vente, mon mari respirait enfin, comme s’il avait conduit à son terme une tâche particulièrement difficile.

La veille de Pessa’h et la nuit du Séder

Par la suite, commençaient les préparatifs proprement dits de la fête. Mon mari mettait son âme, avec tant d’enthousiasme, en tout ce qui concernait l’organisation de cette fête, au point que cela soit perceptible dans toute la maison et aussi par tous ceux qui s’y trouvaient.

A la célébration du Séder, assistaient, bien entendu, tous les membres de la famille et quelques invités. Le repas durait longtemps. Nos fils étaient encore à la maison et, en outre, il était également possible de discuter les commentaires de la Haggadah avec certains de ces invités.

A l’issue du repas, tard dans la nuit, mon mari s’enfermait dans son étude et il lisait Chir Hachirim.2 On entendait alors, dans la pièce où il se trouvait, de grands sanglots, à voix haute. Il n’est pas donné à chacun de pleurer de cette façon. Il est difficile de décrire tout cela par les mots.

Je me souviens qu’une fois, deux invités avaient écouté mon mari, de l’autre côté de la porte, alors qu’il lisait Chir Hachirim. L’un d’eux me dit qu’il n’avait jamais entendu pareille chose de sa vie et qu’il ne l’oublierait jamais. Le second ajouta que, si cela avait duré deux nuits de plus, il ne se serait pas fatigué en l’écoutant.

Mois d’Iyar (5700) [1940]

Huit années d’étude et d’écriture : rejet total de l’idolâtrie

Nous avons célébré dernièrement l’anniversaire de notre plus jeune fils3 et cela m’a également rappelé une certaine période du vivant de son père.

Maison de Rav Meir Chlomo Yanovsky
Maison de Rav Meir Chlomo Yanovsky

C’était déjà la huitième année que nous résidions dans la maison de mes parents.4 Nous étions, jusqu’alors, à leur charge5 et il fallait, désormais, que nous pensions à gagner notre vie, bien que, pendant toute cette période, mon mari avait pensé, d’une certaine façon, faire son entrée dans le monde rabbinique et y assumer une responsabilité. Durant tout ce temps, il avait été assis, étudiant la Torah et rédigeant ses commentaires.

Celui qui subvenait à nos besoins, mon père, n’était pas riche. C’était un Rav. Il y aurait beaucoup à dire sur son amour du prochain et sur tous ses autres bons comportements. En lui, se sont pleinement accomplis les propos de nos Sages6 : « Ce qui est à moi est à toi et ce qui est à toi est à toi. »

Je me rappelle que, lorsque mon père recevait son salaire,7 il se demandait d’abord de quelle somme il avait besoin pour soutenir sa sœur, son beau-frère ou son frère. Car, il y avait toujours un membre de sa famille qui avait besoin d’aide. Il prélevait donc, en premier lieu, une partie de son salaire pour satisfaire leurs besoins et il n’en laissait qu’un petit montant pour ceux de sa propre famille.8 Un prêt était toujours nécessaire pour couvrir les dépenses du mois. Mon père adoptait systématiquement la même attitude, jusque dans le moindre détail de sa vie.

C’est ainsi que notre dépendance financière nous est devenue difficile à supporter. Il était donc indispensable de penser au rabbinat. On a proposé à mon mari celui d’une certaine ville, mais l’on exigeait, pour ce poste, l’obtention d’un diplôme justifiant cinq années d’étude dans un établissement secondaire. Mon mari consacra donc quelques mois à l’étude du russe. Il étudiait cette langue avec l’intonation qui permet d’apprendre la Guemara, mais il n’en était pas du tout satisfait.

Il devait passer les examens à Kiev. Il se rendit donc dans cette ville et il s’y prépara, dans toute la mesure du possible. Puis, quand il dût se présenter devant le comité chargé de délivrer ce diplôme, il consulta, tout d’abord, le programme d’étude et il observa qu’il lui faudrait apprendre aussi la langue slave, qui était en usage à l’église9 et les évangiles. Il ne s’inscrivit donc pas, pour passer cet examen. Il prit le chemin du retour, la même nuit et il arriva à la maison au jour de la circoncision de notre fils.