Les premières informations
À la fin de 5699-1939, quand éclata la Seconde Guerre mondiale, l’Association des ‘Hassidim ‘Habad aux États-Unis, dirigée par le Rav Israël Jacobson et les frères Chnéour Zalman et Yekoutiel Sam Kremer, reçut les premières informations sur la domination des tortionnaires nazis, qui s’étendait à toute l’Europe. Aussitôt, cette association multiplia les démarches dans le but de sauver le précédent Rabbi, Rabbi Yossef Its’hak Schneerson, qui était toujours reclus à Varsovie, où il s’était installé en quittant Otwock, dans les faubourgs de la capitale polonaise, lieu d’implantation de la yéchiva Tom’heï Temimim Loubavitch.
Les informations concernant le Rabbi précédent furent alors, pour la plus large part, obtenues et transmises aux États-Unis, par son gendre et sa fille, le Rabbi et la Rabbanit ‘Haya Mouchka, qui, à l’époque, résidaient à Paris, où ils avaient été informés de la situation par des rescapés, ayant pu échapper au siège de Varsovie.
À l’époque, eurent également lieu les premières tentatives pour sauver les autres membres de la famille du Rabbi. Afin qu’il soit plus aisé d’obtenir des visas d’immigration aux États-Unis, les responsables de l’Association des ‘Hassidim ‘Habad devaient avoir connaissance de différents détails personnels concernant ceux qui devaient être sauvés, en particulier les dates de naissance figurant sur les documents officiels. Tous ces éléments leur furent transmis, par le Rabbi, de Paris, dans une lettre datée du 28 Tichri.
Dans d’autres courriers, rédigés en ‘Hechvan et Kislev, le Rabbi exhorta ces responsables à faire tout ce qui était en leur pouvoir afin d’obtenir des autorisations d’entrée aux États-Unis pour son beau-père et pour les membres de sa famille.
Ces autorisations furent difficiles à obtenir, malgré les multiples interventions des responsables de l’Association ‘Habad, aux niveaux les plus élevés de l’administration américaine. Les efforts furent essentiellement concentrés sur un seul objectif, le sauvetage du précédent Rabbi qui courait un réel danger. C’est à l’avocat Max Rodd, dont la compétence était bien connue, que fut confié le suivi du dossier de ce sauvetage auprès des autorités de l’immigration, à Washington. Au cours de la période pendant laquelle il fallut attendre les différentes autorisations nécessaires pour que le précédent Rabbi quitte la Pologne occupée, le Rav Jacobson demanda à Rodd d’obtenir cette même autorisation pour le Rabbi.
À l’époque, Paris, où le Rabbi résidait encore, n’avait pas encore été conquis par les nazis. Il y avait donc bon espoir que le sauvetage du Rabbi soit plus aisé. Dans l’argumentaire accompagnant la demande du Rav Jacobson, il fut précisé que la présence, aux États-Unis, du gendre, dont la capacité à diriger était clairement établie, rendrait plus aisé le sauvetage du beau-père, le précédent Rabbi. Cette demande, formulée à l’avocat Rodd, fut confirmée par une lettre que lui écrivit l’avocat Sam Kremer, le 21 ‘Hechvan 5700-1939.
En Kislev 5700-1939, les démarches pour le sauvetage du Rabbi furent concrètement engagées. Il fut décidé d’établir les documents nécessaires pour présenter une demande de visa d’installation aux États-Unis. Meïr B. Harton, un homme, lui-même issu d’une famille ‘Habad, qui ressentait le devoir moral de participer au sauvetage de la famille du Rabbi, signa alors un engagement à prendre en charge financièrement le Rabbi et la Rabbanit, dès leur arrivée aux États-Unis.
Dans cet engagement, il était également précisé que le Rabbi possédait un diplôme d’ingénieur en électricité, ce qui devait faciliter son installation aux États-Unis et supprimer, pour les autorités, la crainte d’être dans l’obligation de lui attribuer une aide sociale. Le Rabbi et la Rabbanit se rendirent au consulat américain à Paris dès qu’ils furent en possession de ce document et y déposèrent, en tant que citoyens russes, une demande de visas ordinaires d’immigration aux États-Unis.
De tels visas étaient, à l’époque, délivrés en nombre limité et l’on savait que la procédure devait durer environ six mois. Néanmoins, l’instabilité que l’Europe connaissait durant cette période ne permettait pas aux responsables de rester inactifs pendant tout ce temps. Ceux-ci s’efforcèrent donc d’activer les démarches.
Selon les informations qui parvenaient alors aux États-Unis, on ne fut pas en mesure d’établir quelle suite le consul américain à Paris avait donnée à ces démarches. L’avocat Rodd tenta d’entrer en contact avec le consul, mais il n’y parvint pas. Il demanda donc au Rav Jacobson, par lettre du 15 Tévet, d’adresser un télégramme au Rabbi pour lui demander de confirmer qu’il avait bien reçu l’engagement financier qui lui avait été adressé et de préciser quelle avait été la réponse apportée par le consul à sa demande.
Une demande de visas exceptionnels
À un certain stade de la procédure, les responsables, qui dirigeaient ce sauvetage, décidèrent, avec l’accord de Rabbi Yossef Its’hak, de demander des visas exceptionnels, pour lui et pour tous ses proches. Cette requête fut justifiée en arguant du fait qu’il ne s’agissait pas de simples rabbins, mais de personnes possédant un rang élevé dans la hiérarchie rabbinique, de dirigeants d’une haute stature spirituelle, dont le sauvetage était une nécessité absolue pour le Judaïsme mondial. Grâce aux nombreuses interventions engagées par ces responsables, les représentants du Département d’État acceptèrent effectivement cette formulation.
En conséquence, une demande de visa de groupe, pour toutes les personnes concernées, fut présentée à Riga. Parmi ces personnes, le Rabbi était, bien évidemment, mentionné. Il était précisé, à son propos, qu’il assumait des fonctions rabbiniques et qu’il avait dirigé différentes actions communautaires. En outre, il avait participé à la rédaction du périodique de Torah « HaTamim » qui était édité à Varsovie dans les années 1935 à 1939 et dont la parution avait été interrompue du fait de la guerre. Dans ce document, le Rabbi était présenté comme un homme d’une exceptionnelle érudition, capable d’apporter une contribution décisive aux différentes disciplines du Judaïsme.
Le 25 Tévet, le secrétariat de l’Association des ‘Hassidim ‘Habad reçut un télégramme du gendre de Rabbi Yossef Its’hak, le Rav Shmaryahou Gurary, signifiant la demande pressente de son beau-père d’engager, au plus vite, la procédure afin d’obtenir des visas pour ses deux autres gendres : « Schneerson de Paris et Horenstein de Trieste ». Ce dernier, néanmoins, allait périr, avec son épouse, tous deux victimes de la barbarie nazie, comme on allait l’apprendre à l’issue de la guerre.
Au milieu de Chevat, les responsables se concertèrent pour déterminer s’ils devaient agir immédiatement pour obtenir l’immigration du Rabbi ou bien s’il était préférable d’attendre, pour les raisons suivantes : D’une part, il était dit dans la demande de visa ordinaire que le Rabbi était ingénieur en électricité. Ainsi, la contradiction entre ce document et la demande de visa exceptionnel risquait de compromettre le sauvetage de tout le groupe, y compris celui du précédent Rabbi lui-même. De plus, on pouvait craindre qu’une confusion soit faite par les autorités, si elles autorisaient l’entrée dans le pays de quelqu’un qui avait pour nom de famille Schneerson. Il aurait donc pu en résulter un préjudice pour Rabbi Yossef Its’hak lui-même. Par ailleurs, depuis qu’ils avaient quitté la Russie, le Rabbi et la Rabbanit étaient apatrides, ce qui compliquait l’obtention de leurs visas.
À l’issue de cette concertation, et sur le conseil des avocats, il fut décidé de surseoir à la demande concernant le Rabbi pendant quelques temps, jusqu’à ce que l’autorisation définitive soit obtenue pour le Rabbi précédent et que celui-ci puisse quitter Riga. Après cela, on pourrait multiplier les efforts pour sauver son gendre et sa fille, qui étaient encore à Paris.
Le 4 Adar Richon, le Rabbi précédent fit savoir, par télégramme, qu’il avait obtenu des visas d’immigration pour lui et pour tous ceux qui l’accompagnaient. En conséquence, on demanda à l’avocat Butler, qui avait remplacé Rodd, de solliciter, à Washington, un visa exceptionnel pour le Rabbi, dont le nom figurait également dans la liste du groupe.
Le 10 Adar Chéni, l’avocat Butler fit savoir aux responsables de l’Association des ‘Hassidim ‘Habad qu’il n’était pas encore parvenu à déterminer la suite ayant été donnée à la demande qu’il avait présentée pour le Rabbi. Malgré cela, dix jours plus tard, le 20 Adar Chéni, il les informa de son intention de réitérer sa requête, auprès du Département d’État, afin d’obtenir des visas exceptionnels pour tous les membres du groupe qui se trouvaient encore en Europe, y compris pour le Rabbi.
Le sauvetage du Rabbi Yossef Its’hak
Le Rabbi Yossef Its’hak, une partie de sa famille et quelques ‘Hassidim, parmi les plus proches parvinrent à Riga, après avoir été miraculeusement sauvés de l’enfer nazi, le dimanche 5 Tévet 5700-1940. Ils restèrent là près de trois mois, jusqu’au 24 Adar Richon.
C’est à cette date qu’ils prirent place à bord du bateau « Le Dratinghalm », en partance pour les États-Unis.
Se trouvant déjà sur ce bateau, Rabbi Yossef Its’hak envoya une lettre à un responsable communautaire de Jérusalem, lui demandant d’expédier de la Matsa Chemoura à Paris pour son gendre, le Rabbi.
Parvenu à New York, le 9 Adar Chéni 5700-1940, le Rabbi précédent multiplia les démarches pour que l’on vienne au secours des Juifs qui se trouvaient encore en Europe. Il s’efforça, en particulier de sauver les autres membres de sa famille, ses deux filles et ses gendres.
À partir de cette date, l’action de sauvetage du Rabbi fut directement conduite par son beau-père, avec une abnégation qui ne connaissait aucune limite et un profond désir d’aboutir à une issue positive.
Le transfert des documents à Paris
Avant l’entrée des nazis à Paris, au printemps 5700-1940, le Rabbi parvint à se procurer un document attestant qu’il était inscrit dans l’armée française. Celui-ci lui permit de circuler librement dans les rues. À différentes reprises, en effet, des policiers l’interpellèrent pour contrôler son identité. Ce certificat le préserva alors de recherches et de vérifications ultérieures, ou même d’une arrestation en tant que déserteur.
Le 25 Iyar 5700-1940, eut lieu, aux États-Unis, une réunion entre l’avocat Butler et les représentants du Département d’État.
Butler leur demanda de télégraphier au consul, à Paris, afin de déterminer si l’autorisation d’immigrer avait bien été accordée au Rabbi, en tant que membre du groupe auquel avait été délivré un visa exceptionnel.
Les représentants du Département d’État indiquèrent, au nom du consulat de Paris, que le dossier contenant les documents relatifs au visa exceptionnel du Rabbi, sollicité à Riga, avait été transféré à Bordeaux, ville à partir de laquelle il devait être ultérieurement envoyé à Paris.
Peu après, le secrétariat de Rabbi Yossef Its’hak apprit que le dossier du Rabbi était effectivement parvenu à Paris, mais qu’un problème se posait encore pour lui délivrer un visa d’entrée aux États-Unis. Butler demanda alors aux représentants du Département d’État de contacter, à ce sujet, le consul à Paris.
Le 28 Iyar, le consul, pour la première fois, envoya un télégramme précisant sa position. Il disait ne pas être convaincu que celui qui sollicitait ce visa exerçait bien des fonctions rabbiniques. Il savait, en effet, qu’il possédait un diplôme d’ingénieur.
L’avocat Butler demanda donc aux responsables de l’Association des ‘Hassidim ‘Habad de lui fournir d’autres documents, justifiant que le Rabbi était bien en droit de solliciter un visa exceptionnel.
La fuite devant le tentacule nazie
Au début de Sivan, les nazis prirent Paris et le Rabbi décida aussitôt de s’éloigner de cette ville. Un influent général de l’armée française lui proposa de le cacher dans sa maison, qui se trouvait dans les faubourgs de la capitale, jusqu’à ce que tout danger soit écarté. Ce général, qui était un ami, était, certes, animé d’une bonne intention, mais sa proposition dénotait surtout l’incapacité des Français à l’époque d’imaginer ce que pouvait être l’occupation nazie. Le Rabbi, pour sa part, anticipa le danger et déclina cette proposition. Il opta pour la fuite, franchit la frontière de la zone occupée et se rendit à Vichy.
Le Rabbi et la Rabbanit abandonnèrent Paris quelques jours avant la fête de Chavouot. Ils prirent place dans un des derniers trains qui quitta la ville. Après avoir traversé la frontière, au prix d’un immense danger, ils parvinrent à Vichy, à la veille de Chavouot.
Avant de quitter Paris, le Rabbi fit un discours, par lequel il prit congé de ses connaissances. Il encouragea ceux qui restaient, leur souligna à quel point il était indispensable de s’en remettre à D.ieu, de Le servir dans toutes les situations. De fait, aucune preuve n’était nécessaire pour établir qu’il était effectivement possible de remplir cette dernière condition. Il suffisait, pour s’en persuader, d’observer le comportement du Rabbi lui-même.
À l’époque, les Juifs de Paris parlaient d’ores et déjà des miracles du Rabbi. Tous connaissaient sa fierté d’être juif, son attitude sans compromis, le don de sa propre personne dont il faisait preuve pour mettre les Mitsvot en pratique de la meilleure manière qui soit.
L’espoir en la venue prochaine du gendre du Rabbi aux États-Unis était si fort que les statuts officiels de l’Association des ‘Hassidim ‘Habad, ratifiés le 19 Tamouz 5700-1940, mentionnaient déjà son nom parmi les vingt membres de son conseil d’administration, placé sous la présidence du Rabbi Yossef Its’hak.
L’accumulation des difficultés
Le Rabbi et la Rabbanit passèrent quelques mois à Vichy. Puis, le beau-frère du Rabbi, le Rav Shmaryahou Gurary, informa l’avocat Butler, le 26 Av, que le couple avait quitté cette ville et s’était installé à Nice, dans le sud de la France. Nice était alors sous la domination de l’Italie et de nombreux Juifs y étaient réfugiés, à l’époque.
Dans sa réponse au Rav Gurary, le 30 Av, Butler indiqua qu’il n’avait toujours pas obtenu l’accord du consul, à Paris et qu’il avait été demandé au Département d’État de transférer le dossier du Rabbi à Nice. Ce transfert fut effectivement réalisé.
Le 20 Eloul, les représentants du Département d’État déclarèrent avoir reçu un télégramme du consul à Nice, dont les frais d’envois avaient été acquittés par le Rabbi lui-même. Le consul y faisait part de son intention d’accorder au Rabbi et à la Rabbanit des visas exceptionnels. Néanmoins, il était alors difficile de sortir du territoire de la France.
Le 12 ‘Hechvan 5701-1940, ceux qui se consacraient à ce sauvetage apprirent que de nouvelles difficultés avaient surgi pour l’obtention du visa d’entrée aux États-Unis. En effet, les autorités américaines, après avoir obtenu la réponse du consul, à Nice, avaient procédé à un nouvel examen du dossier. Car, ce consul s’était aperçu que le Rabbi était ingénieur, qu’il possédait des connaissances de physique et qu’il était également « journaliste », du fait de sa contribution au périodique HaTamim. Il préconisait donc l’attribution d’un visa ordinaire et non exceptionnel, lequel était spécifiquement lié aux fonctions rabbiniques.
Par la suite, le consul américain à Nice fit des difficultés également pour accorder un visa ordinaire. En effet, il exigea un nouvel engagement financier, arguant que celui qui figurait dans le dossier n’émanait pas d’un membre de la famille et qu’il n’y était pas clairement dit pour combien de temps ce soutien financier était accordé au Rabbi.
En réponse à ces informations, l’avocat Butler fit savoir aux responsables de l’Association des ‘Hassidim ‘Habad, le 14 ‘Hechvan, qu’il comptait poursuivre ses interventions, aux niveaux les plus élevés du Département d’État, afin que la position prise auparavant soit maintenue et qu’un accord soit donné pour que le Rabbi obtienne un visa exceptionnel, malgré les difficultés soulevées par le consul. Butler affirma de nouveau à ces responsables sont intention de procéder de la sorte, le 22, puis le 28 ‘Hechvan.
Parallèlement à l’action de l’avocat Butler, en coordination avec l’Association des ‘Hassidim ‘Habad, le Rabbi précédent fit intervenir un autre responsable communautaire, un dynamique avocat installé à Washington et fils d’un important ‘hassid, qui s’appelait Acher Rabinovitch. Ce dernier, en effet, était intervenu, avec succès, pour son propre sauvetage.
Dans une lettre qu’il adressa à Rabinovitch, le 6 Kislev 5701-1940, Rabbi Yossef Its’hak écrivait :
« Malheureusement, toutes les grandes promesses qui vous ont été faites, toutes les douces paroles qui ont été prononcées devant vous n’ont, pour l’heure, été d’aucun effet. J’en suis profondément meurtri et j’en conçois une immense peine. »
Dans la suite de ce courrier, il lui demande d’intervenir auprès du consul, à Nice, afin d’obtenir, pour le Rabbi, un visa d’immigration aux États-Unis et d’apporter son aide pour que lui soit délivrée une autorisation de quitter la France.
Le 13 Kislev 5701-1940, l’Association des ‘Hassidim ‘Habad adressa une lettre au consul, à Nice, à laquelle était joint un « certificat de fonction rabbinique », qui avait été établi pour le Rabbi.
Rabbi Yossef Its’hak, dans son intervention pour le sauvetage du Rabbi, était en liaison permanente avec lui, par des télégrammes qu’il adressait, à Nice. En les rédigeant, il inscrivait, comme nom du destinataire : « Avram ».
Deux jours plus tard, le 15 Kislev, le Rabbi Yossef Its’hak écrivit à Rabinovitch. Il fit référence à la lettre qui contenait le «certificat de fonction rabbinique» et lui demanda d’obtenir du Département d’État Département d’État la promesse qu’il exercerait des pressions sur le consul, à Nice, afin que cette démarche soit couronnée de succès. Ce courrier se conclut par une bénédiction :
« Puisse D.ieu faire que nous soyons sauvés, que nos filles et nos gendres arrivent, de la manière qui convient, avec succès, matériellement et spirituellement. »
Dans une autre lettre, datée du même jour, le Rabbi précédent écrit encore :
« Les difficultés s’accumulent, comme permet de l’établir le fait qu’il y a plusieurs mois déjà, on avait promis de délivrer une autorisation au Rav Mena’hem Schneerson et à son épouse. Or, tout cela n’a pas encore été obtenu, de manière positive. »
Les visas d’entrée aux États-Unis
Le 22 Kislev, Acher Rabinovitch vint de Washington à New York afin de rendre compte au Rabbi Yossef Its’hak de ce qu’il avait fait pour sauver son gendre. Le lendemain, le Rabbi précédent précisa son sentiment sur la manière dont la procédure avançait, dans une lettre datée du 23 Kislev, dans laquelle il écrit : « Pour ma part, je ne suis pas encore tranquillisé. »
C’est à peu près à la même période que le Rabbi demanda le transfert de son dossier d’immigration de Nice à Marseille. À l’époque, on ne connaissait pas, aux États-Unis, la raison de cette demande et le Rabbi Yossef Its’hak interrogea le Rabbi, à ce sujet, par un télégramme du 14 Tévet.
De fait, la raison de cette demande n’a pas encore pu être établie avec certitude. Néanmoins, la consultation d’ouvrages historiques ultérieurs, décrivant la personnalité du consul des États-Unis à Nice, permet d’établir que celui-ci était un antisémite qui ne perdait pas une occasion de nuire aux Juifs. À l’opposé, le consul de Marseille était un ami des Juifs.
Cette dernière demande fut transmise à Washington par le Rav Shmaryahou Gurary, qui, à cet effet, se rendit personnellement dans cette ville le 19 Chevat. L’avocat de l’Association des ‘Hassidim ‘Habad, intervenant au niveau le plus haut, parvint à faire adresser tous les éléments du dossier à Marseille. Il en informa, par télégramme, le consul américain de cette ville.
Le 21 Chevat, l’avocat communiqua, par lettre au Rav Shmaryahou Gurary, l’information suivante. Le Département d’État avait précisé au consul de Marseille qu’il n’était pas nécessaire, dans le cas du Rabbi, d’exiger un engagement financier après son immigration. En effet, il avait été établi que ce problème était réglé.
En pareil cas, précisa l’avocat, le consul s’en tient généralement à la position qui a été adoptée par le Département d’État.
Malgré cela, l’ancien engagement financier avait également été envoyé à Marseille, mais le consul n’en avait pas été informé par télégramme, afin de ne pas ralentir la procédure, en l’attente de ce document.
Dans une lettre du 26 Adar 5701-1941, la Rabbanit fit savoir que le consul américain avait enfin promis d’accorder, à l’un et à l’autre, des autorisations d’immigration aux États-Unis. Lorsqu’ils les recevraient, poursuivait-elle, ils feraient eux-mêmes les démarches qu’il fallait pour obtenir les documents nécessaires.
L’espoir revint alors et le Rabbi Yossef Its’hak écrivit, dans une lettre du 9 Nissan :
« Notre fille ‘Haya Mouchka et son mari, le Rav Mena’hem Mendel, se trouvent encore en France. Mais, nous avons bon espoir qu’après Pessa’h, ils arriveront enfin ici. »
C’est effectivement le 2 Nissan que le Rabbi et la Rabbanit reçurent, à Marseille, leurs visas d’immigration pour les États-Unis. Une grande partie de cette pénible action de sauvetage se trouvait ainsi couronnée de succès.
L’obtention des billets et le voyage en bateau
Le départ du Rabbi et de la Rabbanit pour les États-Unis devait se faire par le Portugal. Les difficultés qui surgirent alors sont décrites dans une lettre du Rabbi précédent, datée du 8 Iyar 5701-1941, qui dit :
« Mon gendre, le grand érudit Rav Mena’hem Mendel chlita Schneerson et ma fille, son épouse, Mouchka, se trouvent actuellement à Nice. D.ieu merci, ils ont réussi à obtenir des autorisations d’immigration dans ce pays. Le problème qui demeure est l’obtention de visas de transit portugais et de billets, en seconde classe d’un grand bateau, en partance à la première date. »
Les interventions du Rabbi précédent leur permirent de recevoir ces visas de transit et ces billets.
On raconte qu’après avoir obtenu des places sur un bateau qui devait être le dernier à faire ce voyage, ils reçurent soudain un télégramme urgent du précédent Rabbi, leur enjoignant, de manière surprenante, de ne pas monter à bord de ce bateau. Par la suite, on apprit que celui-ci avait été capturé par les Italiens.
Il fallait donc trouver d’autres billets et, dans les conditions de l’époque, cela était pratiquement impossible. Au final, il fut possible de les obtenir grâce à une intervention du Rav Mordekhaï Bistritski, qui résidait aux États-Unis. Celui-ci possédait, en effet, deux places pour un voyage en bateau, qu’il avait achetées pour ses beaux-parents, le Rav Lévi Lugwir et son épouse Ra’hama. Le couple Lugwir s’était enfui d’Anvers et était parvenu à Nice, mais les visas de transit par le Portugal leur avaient été refusés, de sorte que des billets ne leur étaient d’aucune utilité. Par la suite, ils furent tous deux assassinés dans le camp d’extermination d’Auschwitz.
Le gendre des Lugwir, observant la peine du Rabbi Yossef Its’hak, qui n’avait pas les moyens d’acheter des billets pour sa fille et son gendre, accepta de donner ceux qu’il possédait pour le Rabbi et la Rabbanit. Par la suite, le Rabbi précédent lui demanda d’accepter qu’ils lui soient remboursés. En effet, il entendait les payer de son propre argent.
Le 17 Sivan, le Rabbi et la Rabbanit prirent place à bord du paquebot « Serpa Pinto » qui quittait Lisbonne, au Portugal, pour les États-Unis. Ce voyage était particulièrement dangereux et c’est par miracle que le bateau échappa aux tirs nazis. Pendant le voyage, le Rabbi adressa un télégramme à son beau-père pour le prévenir qu’ils avaient quitté les eaux territoriales d’Europe.
Le 28 Sivan dans l’hémisphère inférieur
Le lundi 28 Sivan 5701-1941, à dix heures trente du matin, le bateau accosta dans le port de New York. L’état de santé du Rabbi précédent ne lui permit pas de venir lui-même accueillir sa fille et son gendre. Le Rabbi leur envoya, néanmoins, une éminente délégation, constituée de ‘Hassidim ‘Habad âgés et importants. Constatant que son action de sauvetage avait été couronnée de succès, sa joie n’avait pas de limite. Il la fit partager à ses proches en leur révélant, au moins partiellement, les qualités de son gendre. À sa demande, tous les élèves de la yéchiva sortirent accueillir le Rabbi et la Rabbanit, lorsqu’ils parvinrent devant l’édifice du « 770 Eastern Parkway ».
La rencontre du Rabbi Yossef Its’hak, de son gendre, le Rabbi et de sa fille, la Rabbanit, fut particulièrement émouvante. Dans un premier temps, ils résidèrent dans le bâtiment du « 770 ».
Peu après, le jeudi soir 2 Tamouz, les ‘Hassidim, tenus informés de l’événement important qui venait de se passer dans la maison du Rabbi, organisèrent un farbrenguen (rassemblement ‘hassidique) à l’occasion de cette arrivée et le Rabbi, à leur demande, accepta d’y participer. Pendant plus de six heures, les ‘Hassidim et les élèves de la yéchiva l’entourèrent, dans la maison d’étude. Ils se pénétrèrent de chacun de ses propos. Pour beaucoup, il était clair qu’une période de retrait et de distance, de la part du Rabbi, parvenait à son terme, en ce jour. Des jours nouveaux se profilaient et la diffusion de la ‘Hassidout, dans cet « hémisphère inférieur », allait connaître une mutation profonde.
La nouvelle de l’arrivée du « gendre du Rabbi » fut également publiée dans le périodique de Torah « HaPardès » en sa parution de Tamouz 5701-1941. L’annonce se concluait par :
« Puisse sa venue apporter la bénédiction et la réussite, élever l’honneur de la Torah et le prestige de ‘Habad. »
De fait, l’arrivée du Rabbi insuffla une impulsion nouvelle à la diffusion de la Torah et du Judaïsme, d’abord aux États-Unis puis, par la suite, dans le monde entier. En effet, c’est alors que le précédent Rabbi fonda les institutions centrales du mouvement Loubavitch :
- le Ma’hané Israël, dont l’objectif déclaré était « le renforcement du Judaïsme, de la pratique effective de la Torah et des Mitsvot, en mettant en éveil les cœurs juifs, en les conduisant vers la Techouva, la Torah et les bonnes actions », avec le désir de « diffuser la vérité, le fait que la Techouva immédiate provoquera la délivrance immédiate et complète, par notre juste Machia’h ».
- la maison d’édition Kehot, acronyme de « Karneï Hod Torah », (« les rayons de la splendeur de la Torah »), gérant la collection « Trésor des ‘Hassidim Loubavitch ».
- Le « Merkos L'Inyonei Chinuch » (« Centre d’action pour l’éducation », connu aussi sous l'acronyme « Mala’h ») qui devait promouvoir l’éducation des enfants juifs dans l’esprit de la Tradition d’Israël.
Le Rabbi fut chargé de diriger toutes ces institutions.
Néanmoins, la célébration de la date à laquelle intervint cette transformation fondamentale, grâce à l’arrivée du Rabbi, fut retardée. En effet, c’est en 5717-1957, que fut rédigée sa biographie officielle, qui apparaît dans l’introduction du Hayom Yom.
Dans celle-ci, il fut indiqué, de manière laconique : « Sivan 5701 : il parvint à New York. » Par la suite, en 5643-1983, les lettres du précédent Rabbi annonçant l’arrivée de son gendre furent publiées. Celles-ci avaient été rédigées le 28 Sivan et c’est ainsi que l’on put déterminer la date précise de cette arrivée.
Trois ans plus tard, en 5646-1986, un grand rassemblement ‘hassidique fut organisé au 770 Eastern Parkway, à l’occasion de la date anniversaire de cette arrivée. Le Rabbi y apporta sa participation sous la forme d’une bouteille d’eau de vie. Depuis lors, les ‘Hassidim ‘Habad, dans le monde entier, célèbrent le 28 Sivan comme un jour de fête, propice pour tenir des farbrenguen, prendre de bonnes résolutions, afin d’accroître la diffusion des sources de la ‘Hassidout à l’extérieur.
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