L'une des figures remarquables de la galerie de nos grands hommes du 18e siècle fut Rabbi Haïm Joseph David Azoulaï, auteur, voyageur et père de la bibliothèque hébraïque moderne. Il était respecté de tous pour sa grande piété et sa vaste érudition, et ne laissa pas moins de soixante et onze ouvrages. Grâce à ses travaux, les œuvres de tant d'auteurs purent voir le jour, comme nous l'expliquerons plus loin.

Il signait habituellement « ‘Hida », abréviation formée des initiales de son vrai nom. Nous l'appellerons ainsi nous-mêmes dans cette étude.

‘Hida naquit à Jérusalem dans une famille séphardite qui vivait depuis des siècles dans la ville sainte. De grands talmudistes et des kabbalistes en étaient issus. Le plus célèbre parmi les ancêtres de ‘Hida était Rabbi Abraham Azoulaï qui écrivit un commentaire sur le livre sacré de Kabbalah, le Zohar. Il mourut à Hébron deux cents ans environ avant la naissance de Rabbi ‘Haïm.

Le père de ce dernier, Rabbi Yits'hak Zérakhiah Azoulaï, était lui aussi un homme d'une grande culture. Il fut le premier maître de son fils. Plus tard, le garçon étudia le Talmud et s'initia à la sagesse profonde de la Torah sous la direction de Rabbi Joseph Nabbon, de Rabbi Isaac HaCohen Rapoport et de Rabbi Haïm ben Attar. Ce dernier était un éminent kabbaliste qui vint se fixer à Jérusalem alors que ‘Hida était encore un enfant.

Doué d'une mémoire peu commune, celui-ci tout jeune devint déjà célèbre. À l'âge de seize ans, il écrivit son premier livre intitulé « Haalem Davar » (« De Quelques Inadvertances »), dans lequel il signale plusieurs erreurs relatives aux versions et aux éditions de beaucoup d'ouvrages connus en son temps. L'œuvre ne fut jamais publiée. Une année plus tard il écrivit son premier commentaire talmudique « Chaar Yossef » (« La Porte de Joseph ») sur le traité d'« Horayoth ».

En 1753, alors âgé seulement de 29 ans, Rabbi ‘Haïm Joseph David Azoulaï fut nommé émissaire pour représenter la Terre Sainte à l'étranger. C'était une très vieille coutume d'envoyer un représentant de Terre Sainte rendre visite aux communautés juives hors du pays. La collecte de fonds pour l'entretien des institutions saintes d'études, ainsi que le désir de garder vivace l'intérêt pour la mère patrie sont parmi les raisons importantes qui justifiaient un tel usage. Les Juifs de tous les pays attendaient avec impatience l'arrivée du « Méchoula’h » (émissaire) de Terre Sainte, car il était habituellement un homme de grand savoir et d'une piété profonde. Son contact ravivait les sentiments qu'ils nourrissaient pour tout ce qui était cher à leurs cœurs. Tout ceci conférait à cette fonction de représentant du pays d'Israël un prestige considérable.

‘Hida consacra cinq ans à sa mission, visitant l'Égypte, l'Italie, l'Allemagne, la Hollande, l'Angleterre, la France, la Sicile, Rhodes, la Turquie et la Syrie. Il fut partout accueilli avec vénération.

Ce long voyage offrait à son grand amour des livres et de la culture en général une occasion exceptionnelle. Rabbi ‘Haïm Joseph David Azoulaï passa dans les bibliothèques des villes qu'il visitait tout le temps que lui laissait sa charge, à compulser des livres et des manuscrits anciens.

À son retour il consacra six ans à l'étude et à la recherche dans sa ville natale, à Jérusalem. Puis il fut appelé à nouveau pour accomplir une mission auprès du sultan de Turquie, où les Juifs menaient une vie non exempte d'épreuves. ‘Hida réussit à améliorer le sort de ceux-ci grâce à la profonde impression qu'il fit sur le sultan et sur son gouvernement.

Sa mission terminée, le poste de Rabbin de l'importante communauté juive du Caire lui fut offert. Il s'y rendit et demeura cinq ans en Égypte. Durant cette période il découvrit de nombreux « Guénizoth » (trésors ensevelis de manuscrits anciens) et enrichit ses connaissances déjà vastes de livres et d'auteurs nouveaux.

Plus tard, il retourna en Terre Sainte et se consacra à pousser plus avant l'étude de la sagesse profonde de la Torah et des mystères de la création divine (Kabbalah). Après trois ans de travail inlassable, ‘Hida fut appelé à nouveau à s'expatrier, cette fois pour un voyage vers les communautés juives d'Afrique du Nord et d'Europe pour le compte des Yéchivoth et d'autres institutions de Terre Sainte.

Bien qu'instruit par sa propre expérience de toutes les fatigues que comportait un tel déplacement, il accepta de l'entreprendre, si grands étaient son amour pour les siens et son désir de découvrir de nouvelles richesses de la littérature hébraïque.

À nouveau ‘Hida fouilla dans les musées, les bibliothèques poussiéreuses et les collections privées en quête de trésors de sagesse vieux de plusieurs siècles. Seul un homme comme lui, dont l'amour des livres était si grand, pouvait avoir la patience de consacrer tous ses loisirs à un travail, fécond certes, mais néanmoins très fastidieux. Ainsi accueillit-il avec gratitude l'occasion de visiter Paris non pour ses beaux boulevards et ses curiosités, mais bien pour les cinq mille manuscrits qu'il découvrit au Louvre et dans d'autres collections.

Les beaux traits et l'allure majestueuse de ‘Hida firent une profonde impression sur chacun, qu'il fût ou non juif. On le considérait comme un homme saint dont les prières étaient acceptées au ciel et dont la bénédiction était par conséquent vivement désirable. De nombreuses missions diplomatiques l'amenèrent à des cours et des palais de rois et de princes. Quand il fut reçu par Louis XVI dans le beau château de Versailles, et avant même d'avoir l'occasion de se présenter lui-même au souverain, celui-ci fut si impressionné par l'hôte encore inconnu qu'il demande de quel pays il était. Louis XVI, l'un des rois les plus puissants d'Europe, n'avait jamais vu ambassadeur si digne et si majestueux.

Ce détail et beaucoup d'autres nous sont parvenus grâce au journal que tenait ‘Hida et qui fut publié plus tard sous le titre de « Maagal Tov » (« Le Bon Cercle »). Là l'auteur a consigné ses observations et son expérience au cours de ses voyages. Nous y trouvons ainsi de précieux renseignements sur la vie politique, économique et religieuse de ce temps.

Rabbi Azoulaï devint une autorité incontestée en matière de livres et de manuscrits. Sa mémoire prodigieuse l'aida à se constituer un bagage exceptionnel de connaissances et de faits. Il avait l'habitude d'acheter tous les livres que ses moyens lui permettaient, mais ces moyens n'étaient guère considérables. Néanmoins, ses nombreux voyages y suppléèrent en lui offrant l'occasion de rassembler des matériaux amplement suffisants pour édifier son œuvre.

En 1778, Rabbi ‘Haïm Joseph David Azoulaï s'installa enfin dans la communauté juive de Livourne, en Italie, afin d'écrire ses principaux ouvrages. Livourne était alors un centre d'édition hébraïque. ‘Hida y trouva toutes les facilités nécessaires pour publier ses livres, ainsi que de généreux bibliophiles qui l'y aidèrent. Un médecin, Michel Pereira de Léon, descendant d'une des plus vieilles familles juives d'Italie, déchargea l'éminent érudit de tout souci financier en pourvoyant à ses besoins, ce qui lui permit de consacrer tout son temps à ses écrits.

L'œuvre principale de cette période est un dictionnaire classique de littérature hébraïque intitulé « Chèm Haguedolim » (« Le Nom des Grands »). Le livre contient les noms et une courte biographie de quelque 1500 érudits et écrivains. La seconde partie, « Vaad La'hakhamime » (Assemblée pour les Sages) donne les titres de quelque deux mille œuvres, publiées ou non, et décrit leur contenu. Beaucoup de livres étaient mentionnés pour la première fois ; et n'était ce dictionnaire, des faits importants relatifs à des auteurs et à des ouvrages auraient été définitivement perdus pour nous. Revu plus tard, l'ouvrage fut complété par de nombreux érudits à différentes époques. Le « Chèm Haguedolim » est devenu l'une des sources les plus inestimables de la littérature et de l'histoire juives.

‘Hida publia beaucoup de manuscrits importants, tels que le « Séder Tanaïm véAmoraïm » (« Histoire des Maîtres du Talmud ») datant de la période des Gueonim ; un condensé des « réponses » (questions et décisions de loi juive) du « Roch » (Rabbenou Achère ben Yé’hiel) ; un commentaire biblique par Rabbi Isaïe di Trani le Vieux, etc. Quarante des soixante et onze ouvrages de ‘Hida furent publiés, parmi lesquels des commentaires sur des traités du Talmud et sur les quatre volumes du Choul'hane Aroukh, des réponses, des sermons, des commentaires bibliques, etc. Beaucoup de ses écrits sur la Kabbalah, sur les prières, ne furent pas publiés.

Rabbi ‘Haïm mourut à l'âge avancé de 83 ans, à Livourne. Sa mémoire continua à vivre dans le cœur de son peuple. Beaucoup de Juifs avaient l'habitude de faire des pèlerinages sur sa tombe, ou d'envoyer des lettres afin qu'elles y fussent déposées ; prières adressées au saint Rabbi afin qu'il intercédât en faveur de leurs expéditeurs auprès de la Cour Céleste.