En 1989, quelqu’un me suggéra de visiter la Pologne, mon pays natal, où soixante membres de ma famille furent assassinés. Il me dit qu’une fois sur place, il serait bien que je rencontre Lech Walesa, qui était à l’époque le dirigeant du syndicat Solidarnosc.
Bien que je n’eus ni raison, ni envie particulière de retourner en Pologne, je fis part de cette suggestion au Rabbi lors d’une entrevue qu’il m’accorda.
Le Rabbi répondit qu’ils se trouvaient encore de nombreux Juifs en Pologne et qu’une visite leur serait bénéfique. Il fut cependant catégorique sur le fait que je ne devais encourager aucun Juif à retourner vivre en Pologne.
Lors de mon voyage, je rencontrai donc Walesa. Bien que je lui fisse part de mon plaisir à le rencontrer, je lui dis que je n’avais pas l’intention de conduire des affaires en Pologne. Je lui fis savoir que ma famille – dont ma mère, mon père, ma sœur et mes grands-parents – avait été assassinée en Pologne durant la Shoah et que je pensais que le peuple polonais montrait encore beaucoup d’antisémitisme.
Sa réponse fut surprenante. Je me rappelle clairement de ses mots. Il m’adressa un regard empreint de sincérité et me dit : « Votre D.ieu est mon D.ieu. »
À mon retour aux États-Unis, je fis un compte-rendu de mon voyage au Rabbi. Le Rabbi me donna alors un certain nombre de billets d’un dollar et me dit de les distribuer aux Juifs qui vivaient en Pologne. Il me donna aussi pour instruction de donner certains de ces dollars à des non-juifs, soit qui soutenaient des causes juives, soit qui pourraient aider les Juifs dans l’avenir. Il ne mentionna pas de noms. Quand je lui demandai comment je saurais à qui donner les dollars, il me répondit simplement : « Vous saurez. »
Je rencontrai fréquemment Walesa et, lors d’un de mes voyages en Pologne, il me fit part de sa décision de se présenter aux élections présidentielles. Je décidai alors de lui donner un des dollars du Rabbi. « Voici un dollar que vous devriez garder précieusement, lui dis-je. Lorsque vous serez président, je vous révélerai qui m’a donné ce dollar pour que je vous le transmette. Ne me demandez pas avant. Quand vous serez président – et je suis sûr que vous serez président –, vous saurez qui vous a donné ce dollar. »
Il prit le dollar, le plia, et le mit dans la poche de sa veste. J’ai su que, jusqu’à aujourd’hui, il a constamment sur lui ce dollar, partout où il va.
Lech Walesa remporta l’élection et devint président de la Pologne. Sentant que le dollar lui avait valu quelque bénédiction ou bonne fortune, il me demanda : « David, qui est la personne qui m’a donné le dollar ? » Je lui répondis que c’était le Rabbi de Loubavitch et je lui expliquai qui était le Rabbi. Je lui fis part de mes sentiments vis-à-vis du Rabbi et de mon profond respect pour lui. Je lui parlai de sa grandeur, de son dévouement à son peuple, de son comportement extraordinaire, de sa perception et de sa nature profonde de gentillesse et de bonté, de sa vision du monde et de son respect pour tous. Je lui dis aussi que le Rabbi m’avait spécifiquement demandé de donner les dollars à des non-juifs qui étaient enclins à aider le peuple juif et à sympathiser avec lui.
Walesa me fut très reconnaissant de lui avoir donné le dollar, et exprima son respect pour el Rabbi.
Ma relation avec le président Walesa se poursuivit. J’ai commencé à faire des affaires avec la Pologne et je m’y rendais ainsi fréquemment. Deux ans après son élection, je l’encourageai à se rendre en Israël. Je voulais qu’il établisse des relations israélo-polonaises.
Il me fit savoir quelque temps plus tard qu’il allait se rendre en Israël, accompagné de dix ministres, pour y rencontrer le Premier ministre Its’hak Shamir, et il me demanda de me joindre à lui.
Je lui dis : « Quand vous rencontrerez Shamir, n’essayez pas de l’apaiser. Dites-lui la vérité ; dites-lui ce que vous ressentez et expliquez-lui votre sentiment à l’égard du peuple juif et de ce qui s’est passé en Pologne. » Il me répondit : « Ne vous en faites pas. Je ferai ce que je dois faire. »
Je ne savais pas ce qu’il voulait dire par là, ni ce qu’il avait l’intention de faire.
Au cours de la rencontre entre Lech Walesa et le Premier ministre israélien, ce dernier parla à Walesa de l’antisémitisme récurrent en Pologne. Il mentionna le bureau de l’OLP à Varsovie et les ventes d’armes polonaises à l’Irak, l’Iran et la Syrie comme autant de preuves des sentiments anti-juifs et anti-israéliens de la Pologne.
En réponse, Walesa s’adressa à Shamir en ces termes : « M. le Premier ministre, pour le sang juif qui a été versé en Pologne, je vous demande pardon, au nom du peuple polonais. »
Nous étions tous sous le choc. C’était là une déclaration d’une portée considérable. Ni moi, ni aucun d’entre nous n’avions espéré une demande de pardon aussi directe et sincère.
Shamir accepta respectueusement ses paroles, mais continua à le confronter à la question du bureau de l’OLP et des ventes d’armes aux ennemis d’Israël.
Walesa dit alors : « Quand je rentrerai en Pologne, je ferais fermer le bureau de l’OLP immédiatement et je stopperai les ventes d’armes. »
J’ai personnellement pensé qu’il venait de commettre un suicide politique. Avec 25% de chômage en Pologne, réduire les ventes allait entraîner de nouvelles pertes d’emplois. Je me suis dit que cela sonnerait le glas de sa carrière politique.
Mais il le fit. Il fit sur-le-champ fermer le bureau de l’OLP. Je suis rentré en Pologne avec lui et j’en fus témoin. Puis il arrêta de vendre des armes à la Syrie, à l’Irak et à l’Iran.
Le voyage du président Walesa et de la délégation polonaise comportait une visite au musée de la Diaspora, auquel je l’accompagnai. Dans l’une des expositions, il y a avait un mur recouvert des portraits d’une quarantaine de personnalités juives, dont le Rabbi. Alors que nous regardions cette image, je dis à Walesa : « C’est un portrait du Rabbi, votre rabbin. »
« Mon rabbin ? Celui qui m’a donné le dollar ? » me dit-il.
Il se retourna alors pour faire face à la photographie, regarda intensément le visage du Rabbi, joignit les mains et s’inclina avec un profond respect devant le portrait du Rabbi.
Le conservateur du musée qui nous accompagnait dit : « Mon D.ieu, que fait-il ? Est-il en train de s’incliner devant le Rabbi ? »
« Exact, répondis-je. Il est en train de s’incliner et témoigner son respect au Rabbi de Loubavitch. »
Je fis part au Rabbi de ce qui s’était passé. Le Rabbi était très heureux de ce que Walesa augmentait ses efforts en faveur du peuple juif.
Je crois que le message du Rabbi, qu’il envoya à travers moi et le dollar, fut si efficace qu’il modifia radicalement le positionnement et le sentiment de Walesa à l’égard du peuple juif et d’Israël. Fermer le bureau de l’OLP et considérer cette organisation comme ennemie et arrêter les ventes d’armes à l’Iran, l’Irak et la Syrie étaient des mesures fortes qui avaient été directement ou indirectement causées par le message du Rabbi que je lui transmis.
Walesa savait que le Rabbi avait envoyé sa bénédiction à travers ce dollar. Et à partir de ce moment, je pense que ses actions furent conformes aux instructions du Rabbi : « Donner le dollar à un non-juif susceptible d’aider le peuple juif et de sympathiser avec lui. »
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