Cet article parut dans le New Jersey Jewish News du 2 juin 1994
A mon cher ami et professeur, Rabbi Mena’hem Mendel Schneersohn.
C’est ainsi que commençait la lettre que je vous ai écrite il y a vingt ans.
Votre réponse – à la fois précise et généreuse – est, elle aussi, devant moi. C’est l’une des nombreuses lettres que vous m’avez écrites et que j’ai précieusement conservées.
Vous discutiez dans cette lettre – il y a vingt ans – de votre propre leadership, de la fonction d’un Rabbi.
Bien des années auparavant, nous avions évoqué précisément ce sujet dans votre bureau. J’étais jeune, naïf, à la limite de l’insolence – j’étais un journaliste à l’affût d’un scoop. Je relis maintenant mes questions et vos réponses, toujours courtoises :
Question : Comment êtes-vous devenu Rabbi ?
Réponse : Que pouvez-vous faire si on vous met la clé dans la poche et qu’on s’en va ? Allez-vous permettre qu’on vole les livres ?
Question : Un Rabbi est-il un être humain comme nous ou quelque chose d’autre ?
Réponse : Bien entendu, nous sommes tous faits de chair et de sang et je ne suis pas responsable de toutes les histoires que vous avez en tête. Mais oui, un Rabbi peut avoir une vision spéciale, peut voir et connaître ce qui est au-delà de la compréhension de la plupart des gens.
Question : Que signifie une bénédiction d’un Rabbi ?
Réponse : Il est possible qu’un Tsadik (un Juste), un Rabbi puisse éveiller en l’homme en face de lui des capacités dormantes. Il lui est possible d’entrer en contact avec un niveau supérieur de capacités extérieures à son âme propre.
Question : La puissance de Loubavitch ne provient-elle pas de la confiance d’un ‘Hassid envers son Rabbi ?
Réponse : Je n’en suis pas si sûr !
J’acceptai vos réponses pour ce qu’elles étaient : une observation de la vérité par quelqu’un qui devrait savoir et je me suis mis à rechercher d’autres secrets expliquant le succès de Loubavitch.
Certaines des raisons qu’on me proposa semblaient plutôt prosaïques, comme par exemple un don pour l’organisation, ce même don caractérisant d’ailleurs vos relations avec vos milliers de ‘Hassidim et autres supporters.
J’en suis témoin.
Bien que je fusse un rabbin du courant libéral, rien de ce qui m’est arrivé dans ma vie privée ou professionnelle ne vous a échappé, même si votre attention ne se manifestait que par un morceau du traditionnel gâteau au miel, livré jusque dans ma maison la veille de Yom Kippour.
J’en distribuai aux membres de ma famille et nous le mangions avec joie et gravité mélangées.
Bien entendu, il y en avait des milliers comme moi. Nombre d’entre nous désirions d’ailleurs être l’émissaire du Rabbi lorsque se présentaient des occasions où vous vouliez que quelque chose bouge. Ainsi, bien que mon organisation libérale y soit opposée, je devins un fervent avocat de « la minute de silence, donc de prière » dans les écoles publiques, lorsque vous avez fait campagne pour l’instituer légalement dans les années soixante-dix. L’ai-je fait parce que j’y croyais ? Avais-je été – comme le prétendaient mes collègues – influencé par « une secte » ? Je ne le crois pas.
Mais bien que je ne sois pas devenu un ‘Hassid, ma propre organisation libérale me semblait devenir une secte.
Comme vos ‘Hassidim, je me suis mis à penser que le rôle d’un Tsadik est de faciliter la communication avec le Tout Puissant et que ceci a des racines dans le judaïsme, des racines qui remontent aussi loin que Moché Rabénou, Moïse notre Maître. C’est pourquoi, de temps en temps, je me tournais vers vous pour un conseil, une bénédiction.
A un de ces moments cruciaux, je vous ai écrit ces quelques phrases dont l’insolence me fait maintenant rougir : « J’ai bien peur d’avoir l’impertinence de croire que vous êtes un être humain qui, tout en acceptant sa mission d’agir en tant qu’important chef spirituel du peuple juif, possède également une vie privée avec ses propres « calculs ». J’ose même penser qu’il vous arrive de temps en temps de vous demander : « Ayéka ? Où es-tu ? » et que vous receviez des réponses qui vous font réfléchir. Si cela vous arrive effectivement, je veux ajouter sur la balance de vos considérations la réelle gratitude et l’appréciation immense de Herbert Weiner ».
Vous m’avez répondu une semaine plus tard. Voici quelques extraits de votre lettre :
« J’apprécie vos sentiments généreux à mon égard. Mais je pense également à la maxime de nos Sages dans le Talmud (Baba Metsia, fin de la page 84a) quant à l’effet produit par les compliments, aussi justifiés soient-ils : ceux-ci ne permettent pas de clarifier une situation, tandis qu’une question ou un défi qui demandent une réponse ou une explication, peuvent s’avérer plus efficaces…
Il n’est nul besoin, bien sûr, de vous faire remarquer que quand la question « où es-tu? » est posée, elle s’adresse à un individu et sa proche famille ; mais si elle est posée à une personne en charge d’une communauté, celle-ci doit pouvoir répondre de sa responsabilité et présenter un rapport sur ce qui a été accompli en faveur de cette communauté...
Maintenant, un mot à propos de mon « où es-tu? »
Certainement, cela inclut tout ce qui précède, et davantage. Je m’interroge sur les résultats « réels » de notre rencontre, quand je n’ai pas fait qu’écouter, mais ai aussi parlé.
Mon « Ayéka ? » me fait me demander dans quelles mesure mes mots ont eu un impact – non pas en termes de souvenirs agréables à raconter – mais en termes d’influence réelle : « L’action est essentielle ! »
Mais je désire mentionner un autre point pertinent bien que je l’aie sans doute évoqué au cours de notre conversation. J’ai à l’esprit le problème de « Devarim Betélim », les paroles inutiles. On peut prononcer de belles paroles, même des paroles de Torah, mais si elles n’influencent personne au niveau de l’action concrète, alors elles sont inutiles. Le blâme est à imputer à celui qui parle puisque nous partons du principe que « les paroles qui sortent du cœur pénètrent dans le cœur » et produisent éventuellement un effet réel. »
En relisant ce paquet de lettres maintenant, je me demande où, dans le monde d’aujourd’hui, il existe une personne à qui des Juifs – quel que soit leur niveau de connaissance ou de pratique religieuse – peuvent s’adresser pour demander un conseil, une bénédiction. Et je me demande à nouveau : que va-t-il se passer ?
Aux ‘Hassidim, je n’ose pas suggérer une réponse.
Mais pour moi... Non ! Je ne me qualifierai pas d’étranger au mouvement Loubavitch ! Pour quelqu’un comme moi, parmi les milliers et les milliers de Juifs qui ont été profondément nourris par Loubavitch, je trouve aussi bien réconfort qu’encouragement dans les paroles que vous m’avez adressées, oralement et dans vos lettres.
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