Il y a vingt ans, j’ai reçu des bougies de Chabbat de quelqu’un que je ne connaissais pas. Des jeunes filles distribuaient des bougies à toutes les femmes juives qu’elles rencontraient et, bien qu’à l’époque je trouvai cela bizarre, je les acceptai.

À la maison, je lus le papier avec le mode d’emploi qui les accompagnait, mais je décidai que ce rite n’était pas pour moi. Après tout, je n’avais jamais entendu le mot « Chabbat » et mon éducation juive s’était résumée en une phrase prononcée par ma grand-mère : « Tu es juive, et c’est tout ce que tu dois savoir ! »

Les années passèrent, les bougies avaient été oubliées depuis longtemps quand la même scène se reproduisit : on m’offrit à nouveau des bougies un vendredi. Entre-temps j’avais eu l’occasion de rencontrer quelques Juifs pratiquants et je m’étais familiarisée avec cette coutume. Cette fois-ci, je trouvai que c’était une bonne idée ; je lus attentivement la brochure explicative qui soulignait la beauté, la signification profonde et l’importance de l’allumage des bougies. Ce fut ce vendredi soir que j’allumai les bougies de Chabbat pour la première fois.

Un an plus tard naquit ma fille ‘Hanna. Pour elle, ce fut différent : dès le premier vendredi de sa vie, elle observa sa mère qui allumait les bougies de Chabbat. Quand elle fêta son troisième anniversaire, nous adoptâmes la coutume mentionnée dans la brochure : une petite fille de trois ans allume sa propre bougie de Chabbat avec la bénédiction (avec l’aide de sa maman bien sûr !). À cette occasion, je lui achetai un très beau chandelier.

Quand l’été arriva, ‘Hanna avait trois ans et demi et avait déjà une certaine expérience. Elle en parlait avec volubilité à son arrière-grand-mère qui était venue de Floride pour quelques mois. ‘Hanna et moi aimions rendre visite à ma grand-mère dans sa maison de vacances le vendredi.

La brochure concernant l’allumage des bougies insistait sur l’importance de respecter les horaires afin d’honorer le Chabbat et de ne pas risquer de le désacraliser. C’est pourquoi nous quittions ma grand-mère bien avant l’heure de Chabbat afin d’avoir le temps de rentrer à la maison pour l’allumage.

Un vendredi après-midi, nous étions lancées toutes les trois dans une conversation animée quand je remarquai soudain qu’il était tard. Nous étions si bien ensemble que nous n’avions pas vraiment envie de nous quitter, mais dans mon esprit, il ne pouvait en être autrement. Mais à ma grande surprise, ma grand-mère suggéra que nous allumions les bougies sur place dans son bungalow. J’acceptai volontiers et proposai même d’apporter sur place la nourriture que j’avais préparée afin que nous prenions ensemble le repas de Chabbat. Je fonçai en voiture chez moi et rapportai tout ce qui était nécessaire pour le repas. ‘Hanna était impatiente de montrer à sa grand-mère comment elle allumait la bougie en récitant par cœur la bénédiction. Son arrière-grand-mère l’observa, fascinée et attendrie, tandis que l’enfant se couvrait le visage de ses petits doigts potelés et chantait la bénédiction avec une ferveur sincère.

Prise d’une inspiration soudaine, je proposai à ma grand-mère de l’imiter. Autant que je le sache, elle n’avait jamais allumé les bougies de Chabbat de sa vie. Je fus heureuse qu’elle acceptât. Je posai deux bougies supplémentaires sur le plateau : sans attendre mon aide, elle craqua une allumette, alluma ses bougies et, pleine d’assurance, récita d’elle-même la bénédiction.

J’étais stupéfaite : ma grand-mère connaissait donc la bénédiction ? Où avait-elle appris ? Comment se faisait-il que je ne l’aie jamais vue allumer les bougies de Chabbat ? Il était impossible qu’elle soit capable de répéter une phrase entendue pour la première fois de la bouche d’une enfant de trois ans !

Il n’y avait pas de temps à perdre, l’heure avançait. J’allumai mes bougies avec la bénédiction et mes prières silencieuses en faveur de ma famille, de mes amis, des malades, des jeunes gens à marier, des couples sans enfants et de tout le peuple juif. Puis j’interrogeai ma grand-mère. Elle raconta que sa propre mère allumait les bougies de Chabbat, mais avait arrêté quand elle avait eu dix ans. Ma grand-mère se souvenait de la bénédiction si souvent entendue durant son enfance et l’avait reconnue quand ma fille l’avait prononcée.

Je n’en fus que plus étonnée : la dernière fois que ma grand-mère l’avait entendue, c’était il y a plus de 70 ans ! Ce souvenir était subitement revenu à sa mémoire. Elle-même n’avait jamais auparavant allumé les bougies de Chabbat et, ce vendredi après-midi, en compagnie de sa petite-fille et de son arrière-petite-fille, elle les alluma pour la première fois de sa vie !

Tout au long de cet été, nous avons continué d’allumer toutes les trois ensemble les bougies de Chabbat. À la fin des vacances, ma grand-mère retourna en Floride : ‘Hanna et moi avons attendu avec impatience l’été suivant pour renouveler cette expérience, mais ce bonheur nous fut refusé car ma grand-mère décéda quelques mois plus tard.

Après son décès, je me souvins subitement de ses mots : « Tu es juive, c’est tout ce que tu as besoin de savoir ! » Je réalisai qu’avec cette connaissance de base, toute une vie de foi en D.ieu, d’étude de la Torah, de pratique des commandements et de réflexion m’attendait pour que je parte à sa découverte et que je m’en imprègne.

C’est à la mémoire de ma grand-mère que ‘Hanna et moi nous conformons justement à cet héritage identitaire.

Il est évident qu’il n’est jamais trop tard pour apprendre et pour accomplir.

Jill K. Lerner - Source : L’Chaim n°1086