Mon grand-père, un rabbin à la figure imposante reconnaissable à ses larges épaules, son long manteau noir, son chapeau de feutre et sa barbe poivre et sel, se dirigeait vers sa voiture garée près de l’entrée du centre communautaire ‘Habad-Loubavitch. Alors qu’il introduisait la clé dans la serrure de sa Pontiac verte, une voix le fit sursauter : « Rav Schochet, arrêtez ! J’ai besoin de vous parler. »

Le vent arctique fouettait ses bras

Mon père leva les yeux et vit un homme qui se dépêchait de le rejoindre, vêtu d’un tee-shirt à manches courtes et d’un jean délavé qui ne le protégeaient absolument pas du temps glacial de cette fin d’automne au Canada. Il frissonnait alors que le vent arctique fouettait ses bras et rabattait ses mèches de cheveux sombres et bouclés sur son visage.

« M. le rabbin, dit l’homme en se renfrognant. Vous avez 10 minutes pour me prouver que D.ieu existe. » Mon père posa sa main sur son épaule et le regarda, les yeux remplis de tendre compassion et de sagesse. D’une voix calme, il lui dit qu’il serait plus confortable d’avoir cette conversation, si courte soit-elle, à l’intérieur.

Alors que l’homme s’installait dans le fauteuil en cuir face à mon père dans le bureau, il expliqua qu’il était fiancé à la femme de ses rêves, son âme sœur à tous les niveaux. Sa famille s’opposait fortement au mariage parce qu’elle n’était pas juive, et que D.ieu n’approuve pas une telle union.

« Je vais l’épouser de toute façon, a-t-il affirmé de manière résolue. Le mariage est prévu la semaine prochaine. J’ai dit à tout le monde que je me fiche de ce qu’ils disent ou de ce qu’ils pensent. Mais ce matin, je me suis réveillé avec appréhension, sans savoir pourquoi. J’ai décidé que je devais parler à un rabbin pour surmonter mon angoisse. Si vous pouvez me prouver catégoriquement que D.ieu existe, je renoncerai à mon projet. Si vous ne le pouvez pas, je continuerai sur mon chemin. »

Mon père le regarda silencieusement pendant une minute, remarquant qu’il tenait la dernière édition du Reader’s Digest dans une main et qu’il avait placé devant lui sur le bureau une pomme verte qu’il avait apportée.

« C’est vous-même qui allez vous prouver l’existence de D.ieu », a dit mon père.

Prenant un canif dans un tiroir du bureau, mon père coupa la pomme en deux dans le sens de la hauteur. Sans tenir compte du jus qui coulait sur ses doigts, il désigna les cinq étoiles et les 10 points à l’intérieur. « Chaque pomme nous rappelle que D.ieu a créé le monde – Ki beY-ah Hachem tsour olamim (Isaïe 26,4), dit-il. Y-ah est le nom de D.ieu avec lequel Il a créé le monde. Il est composé de deux lettres : youd dont la valeur numérique est 10 et dont la valeur numérique est 5. »

« C’est intéressant, M. le rabbin », concéda l’homme. Puis il prit un air dur et poursuivit : « Mais je parle de changer ma vie entière et donc votre preuve n’est pas suffisante pour me convaincre de l’existence de D.ieu. »

Mon père sourit et dit : « C’est compréhensible. Ouvrez le Reader’s Digest que vous tenez et lisez-moi ce qui y est écrit. »

Dubitatif, l’homme haussa les sourcils, mais obtempéra néanmoins. En découvrant le texte écrit à la page qu’il avait ouverte dans ce magazine grand-public, il tressaillit et se mit à lire d’une voix tremblante : « Chema Yisrael, Ado-naï Elokeinou Ado-naï E’had – Écoutez, chers Juifs, D.ieu est notre D.ieu, D.ieu est un. »

Il été « tombé par hasard » sur un article écrit par une femme juive comparant les prières récitées par les enfants dans divers pays et différentes religions. Elle avait inclus la prière juive emblématique, ces six mots qui furent le cri de ralliement du peuple juif pendant plus de 25 siècles, que sa grand-mère bien-aimée lui avait enseignés.

Abasourdi, il se tourna vers mon père les yeux remplis de larmes : « Notre rencontre aujourd’hui est clairement providentielle. D.ieu existe. Merci, Rav Schochet. »

Je me rappelle de ma réaction lorsque j’ai entendu cette histoire pour la première fois. « Papa !, dis-je avec enthousiasme. Waou, tu as fait un miracle ! Il n’y a pas d’autre explication. »

Mon père rit et me dit que je lui rappelais la réaction des ‘hassidim à un événement survenu avec le Tsema’h Tsédek, le troisième Rabbi de ‘Habad.

Deux marchands de thé vivaient dans la ville de Vitebsk, tous deux nommés Hoïsha. Le Grand Hoïsha était riche et dirigeait une grande entreprise bien établie et prospère. L’affaire du Petit Hoïsha, en revanche, était des plus précaires.

Un jour, le Petit Hoïsha reçut un message annonçant que sa cargaison de thé avait été confisquée par les douaniers. En entendant cela, il s’évanouit et tomba lourdement à terre. Chaque fois qu’il était ranimé, il se rappelait qu’il était ruiné et s’évanouissait de nouveau.

La perte était insignifiante pour le Grand Hoïsha

Lorsque le Tsema’h Tsédek fut informé de la situation, il dit que lorsque l’on ranimera le Petit Hoïsha la prochaine fois, il faudra lui dire que le message était destiné au Grand Hoïsha, et non à lui. Et effectivement, il s’avéra par la suite que c’était exactement le cas. La perte de revenus était insignifiante pour le Grand Hoïsha.

Les ‘hassidim pensaient avoir été témoins d’un miracle de la part du Tsema’h Tsédek. « Vous vous trompez, leur dit-il. Nos sages nous disent que chaque fois que D.ieu place une épreuve dans la vie de quelqu’un, Il lui donne toujours la force de la surmonter. Quand j’ai vu que le Petit Hoïsha était incapable de faire face à ce désastre, j’ai immédiatement compris que le message ne lui était pas destiné. »

« Batya’lé, poursuivit mon père. L’homme faisait face à une énorme épreuve. Je savais sans l’ombre d’un doute que D.ieu lui avait déjà fourni les moyens dont il avait besoin pour la surmonter positivement. Mon rôle était juste de l’aider à les découvrir. »

Le souvenir de cette histoire en ces temps difficiles me rappelle que la foi, le courage, la force et les ressources dont j’ai besoin pour être présente et joyeuse, et pour survivre, sont déjà dans mes gènes. Il m’incombe juste de les trouver.