Trois amours
« Et tu aimeras l’Éternel ton D.ieu de tout ton cœur, de toute ton âme et de tout ton pouvoir. »
Deutéronome 6,5
Ces mots ne sont pas une simple répétition poétique pour exprimer l’amour que nous devons ressentir pour D.ieu mais constituent des instructions précises qui définissent les paramètres de l’amour que D.ieu désire.
Selon nos Sages, les mots « de tout ton cœur » nous enseignent que notre désir premier doit aller vers D.ieu et que tous les autres désirs doivent être subordonnés à celui-ci.
Les mots « de toute ton âme » nous enjoignent d’aimer D.ieu plus que nous aimons la vie elle-même. Nous devons L’aimer avec chaque fibre de notre être, quels que soient les sacrifices que cet amour puisse exiger. En d’autres termes, nous devons nous tenir prêts à donner notre vie pour D.ieu.
Les paroles « de tout ton pouvoir » nous ordonnent d’aimer D.ieu avec toutes nos ressources. Chacune de nos possessions doit être consacrée à Son service. Nous devons être prêts à consacrer chaque centime à Sa cause. Une interprétation alternative de cette dernière forme d’amour implique que nous devons aimer D.ieu dans toutes les circonstances que la Providence nous fait rencontrer. Nous devons L’aimer dans la liesse et dans la détresse, dans le bonheur et dans le malheur. En bref, nous devons vivre pour D.ieu.1
Vivre et mourir
La séquence des deux premières clauses est clairement structurée de façon progressive. Il est plus facile de désirer D.ieu avec notre cœur que de l’aimer avec notre vie. Cependant, la position de la troisième clause paraît étonnante. Ayant reçu pour instruction d’être prêts à mourir pour D.ieu, est-il nécessaire que l’on nous commande de vivre pour Lui ?2
Mourir pour D.ieu est un acte héroïque. Il s’agit du sacrifice ultime et du summum du dévouement, mais ce n’est pas un sacrifice constant. Il ne dure qu’un moment. Vivre sa vie en accord avec le désir de D.ieu, même quand une telle dévotion engendre des sacrifices intenses et constants, constitue l’expression perpétuelle d’un amour durable.
Une analyse plus poussée de ces trois clauses nous donnera une meilleure compréhension de ces trois formes d’amour et de pourquoi vivre pour D.ieu exige un amour plus profond que mourir pour D.ieu.
Le mari et la femme
L’amour entre un Juif et D.ieu est souvent comparé à celui qu’éprouvent entre eux les époux. Analyser l’amour conjugal peut nous aider à opérer la distinction entre ces trois formes d’amour : être amoureux, mourir par amour et vivre par amour.
Considérons de jeunes époux, mariés depuis plusieurs mois de mariage, unis par un amour sincère. Le désir premier de chacun d’eux est d’être réuni à son conjoint, et tous leurs autres désirs sont subordonnés à celui-ci. Ils s’aiment alors réellement, mais cela signifie-t-il qu’ils sont prêts à mourir l’un pour l’autre ? Pas nécessairement.
Sauter devant un train pour sauver l’être aimé requiert une dévotion supérieure au fait d’être amoureux. Être amoureux signifie aimer vivre avec l’être aimé. Mais mourir pour l’être aimé signifie que la vie sans lui ne mérite pas d’être vécue. « Je t’aime » n’implique pas une telle dévotion. Cela veut seulement dire que j’aime vivre avec toi, mais si je devais tragiquement te perdre, je devrais tristement apprendre à vivre sans toi.
Un mari et une femme qui sont prêts à mourir l’un pour l’autre ont atteint un niveau bien plus profond de leur relation, mais pas le plus profond. Ils sont prêts à se sacrifier l’un pour l’autre, mais sont-ils prêts à vivre l’un pour l’autre ? Imaginez un mari qui découvre après le mariage que sa femme est atteinte d’une maladie grave. Elle est désormais clouée au lit et a besoin de soins constants.
Leurs espoirs et leurs rêves sont brisés. Ils n’auront jamais d’enfants. Ils ne voyageront jamais ensemble. Ils ne jouiront jamais de la vie dont ils avaient rêvé. Il doit maintenant changer radicalement son mode de vie et devenir un infirmier à plein temps. Un mari qui reste auprès de sa femme en un moment si critique a atteint le plus profond degré d’amour.
Vivre dans ce sacrifice quotidien, de tous les instants, pendant des années ou même des décennies est bien plus difficile que de faire le sacrifice de sa vie, décidé en une fraction de seconde. Celui-ci est « le sacrifice ultime ». Le précédent est un sacrifice durable.3
À un niveau plus profond
Vivre pour un être aimé est purement altruiste, mais mourir pour l’autre ne l’est pas. Un mari meurt pour sa femme parce qu’il ne peut pas envisager de vivre sans elle. Il est vrai qu’il est avant tout préoccupé par sa sécurité, mais il est aussi subtilement influencé par la pensée désespérée que sa vie sans elle ne vaut pas d’être vécue. Il est, d’une certaine manière, partie prenante.
Vivre pour l’autre est purement altruiste. Le mari y gagnerait si, dans son égoïsme, il abandonnait sa femme à son sort et allait poursuivre sa vie de son côté. La seule raison pour laquelle il reste auprès d’elle est qu’il l’aime. Ce dévouement est purement désintéressé. Il ne sert que la personne qu’il aime et non lui-même.
Tangible et facile
Retournons à présent vers notre amour pour D.ieu. Les trois degrés d’amour énumérés par la Torah sont en réalité en ordre ascendant. Tout d’abord, nous devons apprendre à aimer D.ieu de tout notre cœur, assurant que notre désir premier va pour D.ieu. Nous en venons ensuite progressivement à aimer D.ieu avec notre âme, prêts si nécessaire à mourir pour Lui. La troisième forme d’amour, la plus profonde, est celle qui nous pousse à vivre pour Lui.
Vivre pour D.ieu est peut-être la plus grande forme d’amour, mais son expression est tangible et facilement accessible. Chaque fois que nous sacrifions un moment pour accomplir une Mitsva, chaque fois que nous subordonnons nos biens au service de D.ieu, chaque fois que nous renonçons à un plaisir matériel pour une heure d’étude de la Torah, nous manifestons une dévotion absolue qui découle du plus grand amour dont l’homme soit capable.
L’amour est naturel pour l’âme, mais il est, par nature, voilé. Il ne faut pas attendre qu’il soit révélé pour l’exprimer par la pratique des Mitsvot. Bien au contraire, l’accomplissement des commandements divins permet de mettre à jour ce lien inné et de faire émerger cet amour caché.
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