Le rejet est l’un des outils les plus puissants de notre société pour réguler et empêcher les comportements indésirables. Enfants, nous savions qu’un mauvais comportement encourait le risque d’un regard de désapprobation ou peut-être d’un renvoi dans notre chambre. Adultes, le spectre de l’emprisonnement menace les criminels potentiels comme moyen de dissuasion de toutes sortes d’agissements illégaux.
Mais jusqu’à quel point l’isolement forcé est-il efficace pour empêcher le crime, et peut-être, ce qui est encore plus important, pour éveiller un sentiment de regret chez le coupable ?
Les sociologues et les psychologues réévaluent aujourd’hui cette vieille méthode de combattre le crime. Il est vrai que le bannissement et l’emprisonnement retirent le criminel de la société, protégeant ainsi le reste d’entre nous de son comportement néfaste. Cependant, une fois qu’il a été séparé de la communauté, l’offenseur ne ressent que peu de motivations pour se réadapter aux normes de la société. En l’isolant, nous le coupons de la civilisation. Plutôt que de l’encourager à s’améliorer, notre rejet risque de l’inciter à s’enliser encore plus profondément dans le monde du crime.
La Torah possède également un système d’isolement qu’elle prescrit pour certaines offenses. La Tsaarat1 était une affliction divinement ordonnée qui frappait un individu coupable d’avoir calomnié son prochain.2 Une fois déclaré impur, le « lépreux » était renvoyé des trois campements3 et tenu complètement à l’écart du reste de la société. Sa punition correspondait à son méfait : ses paroles calomnieuses avaient résulté en une discorde et une désunion entre les hommes. Sa punition était une séparation obligatoire de la communauté.
Il est toutefois important de considérer le processus par lequel le lépreux était déclaré impur :
Celui qui découvrait une tache suspecte sur sa peau devait se faire examiner par un sage expert en la matière. Si le sage déterminait que la tache avait tous les symptômes de Tsaarat, il la présentait alors au Cohen qui déclarait cette personne impure. Le Cohen pouvait être complètement ignorant de tous les détails des lois relatives à la Tsaarat, mais l’individu n’était déclaré impur que lorsque le Cohen en avait prononcé le verdict. Même si le Cohen se faisait seulement l’écho de la décision du sage érudit, c’était ses paroles à lui plutôt que l’opinion savante de l’érudit qui fixaient le statut de la personne.
Pourquoi fallait-il que ce soit lui, le Cohen, qui déclare cet homme impur ?Il est étonnant d’observer que la Torah prescrit que la déclaration d’impureté soit dite par le Cohen. En effet, c’est par son statut particulier de pureté le Cohen se distinguait. Il accomplissait les tâches les plus élevées et raffinées dans le Temple et avait l’interdiction de se rendre impur au contact d’une source d’impureté rituelle. Pourquoi fallait-il que ce soit lui, le Cohen, qui déclare cet homme impur ?
L’implication obligatoire du Cohen éclaire la perspective de la Torah concernant l’usage de l’isolement social comme punition et dissuasion. La fonction du Cohen, en dehors de son service dans le Temple, était d’être le vecteur des bénédictions pour le Peuple Juif.4 Les Cohanim ont conservé ce rôle à travers de l’histoire juive, par la récitation de leur bénédiction à la synagogue. Avant de commencer la bénédiction de l’assemblée, les Cohanim récitent une bénédiction, se concluant par les mots : « Qui nous a commandé de bénir le Peuple Juif avec amour. »5Si le Cohen sent qu’il manque d’amour pour ne serait-ce qu’un seul des membres de la communauté, il est obligé de descendre de l’estrade et de s’abstenir de prononcer les paroles de la bénédiction des Cohanim.6 C’était donc seulement le Cohen, réputé « homme de bonté »,7 qui avait l’autorité de déclarer une personne impure, ce qui avait pour résultat son bannissement du campement du Peuple Juif.
La déclaration du Cohen est basée sur l’opinion du sage, versé dans les myriades de lois concernant les différentes affections de la peau et leurs statuts rituels. Cependant, c’est au Cohen que reviennent les derniers mots sur les sujets d’impureté. Le cœur du Cohen, débordant d’amour pour son prochain, ne se permettra pas de faire une telle déclaration à la légère. Il est pleinement conscient de la portée de ses paroles et il n’aura de cesse de demander au sage de trouver une échappatoire pour éviter d’affirmer qu’un autre Juif est impur. Et si, malgré tous ces efforts, il est incapable d’éviter de prononcer le mot « impur », nous pouvons avoir la certitude qu’il ne s’épargnera aucun effort pour faciliter la purification du lépreux.
L’isolement est réservé à une catégorie de personnes : ceux qui sont incapables de tolérer et d’accepter les autres.L’isolement et le rejet sont des moyens pratiquement inefficaces pour améliorer un comportement criminel en l’absence d’un ingrédient essentiel : l’amour. Une fois que l’individu se sent rejeté de la société, il perd sa plus grande source de motivation et d’encouragement pour mener une vie pleine et productive. Le Cohen est là pour nous enseigner que même lorsque nous blâmons et condamnons un comportement inacceptable, nous ne devons jamais perdre de vue notre rôle essentiel : tendre une main secourable et réconfortante à chacun des membres de la société, quel que soit son statut.
Un individu capable de prononcer la condamnation d’un autre être humain doit soigneusement examiner son propre cœur. Ceux qui manquent d’amour et de compassion sont incapables d’arriver à une conclusion véridique concernant le statut d’autrui. La seule chose qu’ils parviendront à faire à travers leur attitude implacablement critique, c’est de les aliéner encore plus. En fait, celui qui n’a pas les qualifications requises pour déclarer quelqu’un « impur » et le fait cependant, se rend lui-même coupable de calomnie, l’offense même qui encourt la punition de Tsaarat.
L’isolement est réservé à une catégorie de personnes : ceux qui sont incapables de tolérer et d’accepter les autres. Ceux qui sont incapables d’aller au-devant de chaque membre de la communauté avec bienveillance devraient faire un break et s’isoler pour essayer de faire naître dans leur propre cœur un sentiment de clémence et éviter de faire souffrir les autres avec les piques de leur amertume et de leurs condamnations.
Il n’y a pas de mots pour dire à quel point nous pouvons avoir de l’impact et de l’influence sur toute la société quand nous gardons nos cœurs ouverts à tous avec bonté et compassion. Le Cohen, un homme de bonté, nous guide pour atteindre ce haut niveau de sensibilité. C’est cette forme d’amour inconditionnel qui effacera la cause première de notre long exil. Car l’exil est un état de conflit et de disharmonie dans lequel nous nous sentons séparés émotionnellement les uns des autres et même de notre propre être intérieur. Quand nous nous efforçons consciemment d’éveiller en nous-mêmes un véritable sentiment d’acceptation et d’amour envers tous, nous nous libérons – nous-mêmes ainsi que la société – du piège de l’isolement et de la séparation.
Ainsi, la prochaine fois que vous serez confronté(e) à quelque forme d’imperfection chez un autre être humain, ne vous détournez pas. A la manière du Cohen, regardez au-delà de la tache superficielle, regardez l’âme. Votre œil bienveillant et votre cœur aimant accompliront bien plus que vos condamnations les plus sévères. Ces petits gestes d’unité et d’acceptation ont la force de changer le paysage de notre société qui, d’une jungle froide et haineuse, deviendra un lieu où la paix, la sérénité et l’harmonie régneront.
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