Voyages

La dixième et dernière partie du livre des Nombres commence par une récapitulation des voyages (massé, en hébreu) entrepris par les Juifs depuis l’Égypte jusqu’à la lisière de la terre d’Israël. Le reste de la paracha de Massé traite des instructions spécifiques relatives à la conquête de la terre : comment en expulser ses habitants idolâtres, tracer ses frontières, nommer ceux qui en feront le partage, détailler où vivront les Lévites et le rôle particulier que joueront leurs villes, et préciser des lois d’héritage supplémentaires.

Il paraît ainsi que le sujet ouvrant la paracha est radicalement différent du reste de son contenu. Si ce compte rendu préliminaire de l’itinéraire des Juifs constitue la fin du récit des événements ayant eu lieu dans le désert, il aurait peut-être dû se placer à la fin de la paracha précédente. Cette paracha-ci serait alors entièrement consacrée à la vie que mènerait le peuple après avoir traversé le Jourdain.

Pour comprendre le fait que l’itinéraire est au moins aussi pertinent pour ce qui sera que pour ce qui a été, il convient de rappeler que le nom hébreu pour l’Égypte (Mitsraïm) signifie « limites » et « frontières » (metsarim). La sortie d’Égypte est ainsi l’archétype du dépassement des limites dans la vie spirituelle. Or nous trouvons ici une nuance instructive dans la façon dont est introduit l’itinéraire des Juifs : « Voici les voyages des enfants d’Israël qui quittèrent l’Égypte. » Cette phrase semble impliquer que tous les voyages partirent de la terre d’Égypte, alors qu’à proprement dire ce n’est que le premier qui le fit.

En introduisant ainsi le parcours entier, la Torah nous enseigne que chaque fois que nous sortons d’Égypte, chaque fois que nous transcendons un niveau dans la vie, nous devons considérer notre nouveau degré de conscience, notre conscience élargie, comme une nouvelle « Égypte », comme un degré de conscience restreint par rapport à celui où nous voulons aller ensuite. Ainsi donc, nous sommes sans cesse en train de sortir d’Égypte.

Dans ce contexte, il est hautement instructif de reconnaître que tout ce qui eut lieu le long de ce parcours, depuis l’Égypte jusqu’au seuil de la Terre promise, ne fut pas totalement positif. À maintes reprises le peuple juif rebroussa chemin, battant même en retraite, et apprenant à ses dépens les leçons de la vie divine. Néanmoins, tous les voyages peuvent se considérer comme des étapes, car ils contribuèrent tous à la destination. C’est que, pour progresser dans la vie, nous devons apprendre à considérer tout pas en arrière comme une leçon sur la façon de progresser davantage, et transformer ainsi les échecs en succès.

Cela est possible parce que, en dépit de l’impératif de progresser sans cesse, certaines choses ne doivent pas changer. C’est la leçon que nous avons apprise dans la paracha précédente, Matot.1 Ces constantes de base – nos croyances fondamentales et notre résistance au mal – représentent le fondement de notre vie spirituelle, et nous fournissent la stabilité sur laquelle nous pouvons fonder notre ascension continue. Notamment, nous sommes capables de survivre à nos chutes dès lors que nous comprenons qu’elles ont toutes ont été orchestrées par la Providence divine : nous tombons surtout dans les domaines de la vie où D.ieu voit que nous avons besoin de monter ; le reste de notre vie reste intact, fournissant le cadre qu’il nous faut pour nous remettre sur pied.

Ces leçons devinrent particulièrement pertinentes au moment où les Juifs s’apprêtaient à entrer en Terre sainte. La vie d’isolement dans un environnement spirituel à tous égards favorise le développement spirituel de manière naturelle. Le principal défi pour rester spirituellement vivant se trouve sur la terre habitée de la vie matérielle, la vie profane. Aussi, il convient de souligner cette question au moment même où nos regards se tournent vers le labeur de la terre située de l’autre côté du Jourdain, de sorte que nous nous souvenions, tout au long de notre vie profane, de fournir des efforts et de progresser constamment vers des degrés de conscience divine chaque fois plus élevés. En gravissant l’échelle de la croissance spirituelle et en aidant les autres à monter de même, nous concrétisons les leçons apprises dans le désert et relevons avec succès le grand défi de transformer le monde en demeure pour D.ieu.2