‘Houkat – Les dernières stations dans le désert

La sixième partie du livre des Nombres s’ouvre sur la loi (ou décret, ‘houkat en hébreu) établissant le processus de purification de l’état d’impureté rituelle que contracte un individu par le contact avec un mort, procédé requérant les cendres d’une vache rousse. Ce rite est décrit comme une ‘houka, un décret divin sans aucune explication rationnelle.

La paracha reprend ensuite le récit historique des dernières années du peuple dans le désert, commençant par la mort de Miriam et se poursuivant par une nouvelle querelle à propos de l’eau, le décret décidant de la mort de Moïse et Aharon dans le désert, la confrontation avec Édom, la mort d’Aharon, une seconde confrontation avec Amalek, l’épisode des serpents, les miracles survenus au fleuve Arnon, et les conquêtes qui conduisirent le peuple jusqu’au seuil de la Terre Promise.

La Torah avait conclu son récit des premières années vécues par le peuple dans le désert – qui s’achève par le décret de D.ieu déterminant la mort là-bas de toute la génération qui était sortie d’Égypte, et ses suites – dans la paracha précédente. Il est donc tout à fait logique que le récit se poursuive par les événements survenus lors des dernières années du peuple juif dans le désert. Mais s’il en est ainsi, pour quelle raison sont insérées ici les lois du rite de purification ? Ces lois furent proclamées le 1er Nissan 2449, plus d’un mois avant que le peuple n’entame son périple dans le désert. Il semblerait que la place appropriée pour ces décrets soit le livre du Lévitique, auprès des autres décrets ayant trait à l’impureté et la purification. Dès lors, pourquoi ces lois sont-elles placées ici, et en quoi le nom qui les décrit, ‘houkat, s’applique-t-il aux événements historiques qui constituent la plus grande partie de cette paracha ?

L’examen du sens du terme ‘houka, ainsi que du thème sous-jacent aux événements relatés dans la dernière partie de la paracha, nous fournit la réponse à cette question. Comme nous l’avons vu, une ‘houka est un pur décret, une règle à laquelle aucune raison logique n’est donnée. Contrairement aux deux autres types de lois de la Torah – les ordonnances (michpatim) et les témoignages (edouyot) –, lorsque D.ieu nous enjoint d’observer ces décrets (‘houkim) Il ne fait absolument pas appel à notre sens de la raison. Pour les observer nous devons invoquer le lien qui nous attache à Lui, lequel dépasse ce qui est rationnel, et notre engagement à suivre Ses ordres, qu’elles parlent ou non à notre sens ordinaire, humain, de logique.

Cette idée s’apparente au sens de base du mot ‘houka, « gravure ». Une lettre gravée dans un bloc de pierre est une partie constituante, un fragment de cette pierre, et non pas une entité distincte greffée dessus, comme c’est le cas d’une lettre écrite à l’encre sur du papier ou sur un parchemin. La lettre gravée ne peut être effacée de la pierre (à moins d’user la pierre elle-même) ; le lien entre la lettre et la pierre est permanent et immuable. Elle constitue ainsi la métaphore parfaite du niveau de notre relation avec D.ieu que réclame l’observance de Ses règles « irrationnelles » : notre lien irrévocable avec Lui, qui transcende et dépasse toute considération logique.

Les événements décrits à la fin de la paracha expriment ce même niveau de relation. Nous avons déjà vu que D.ieu avait initialement promis à Abraham les terres occupées par dix peuples : celles de sept peuples cananéens et celles de trois autres peuples vivant à l’est du Jourdain. Les Juifs devaient d’abord conquérir les terres des sept peuples et laisser celles des trois autres peuples pour l’ère messianique.

Pourtant, comme Édom et Moab leur refusèrent le passage, les Juifs durent entrer dans le pays en traversant les territoires que D.ieu leur avait promis pour l’avenir. Les circonstances leur permirent ainsi de conquérir une grande partie de ces terres avant même d’entrer sur celles des sept peuples cananéens pour conquérir leurs territoires. Ils commencèrent ainsi à concrétiser le futur avant même de réaliser le présent. Puis, une fois ces terres conquises, certains entreprirent de s’y installer, aspirant à réaliser ainsi la promesse de D.ieu dans son sens le plus abouti.

Nous voyons donc que la nouvelle génération était totalement imprégnée d’idéalisme pour la mission de D.ieu, les yeux rivés sur le but ultime de son destin divin. La mission et la promesse de D.ieu faisaient partie d’eux tout autant qu’une lettre gravée fait partie de la pierre sur laquelle se trouve.

Voici dès lors la leçon de la paracha de ‘Houkat : si nous nous inspirons pour accomplir notre mission divine sans réserve, centrés avec optimisme sur notre but final, D.ieu nous donnera l’occasion de réaliser nos rêves et nous conduira jusqu’au seuil de la Terre Promise, prêts pour la Délivrance ultime.1

Balak – Des malédictions transformées en bénédictions

La septième partie du livre des Nombres décrit le complot du roi Balak de Moab et de son sorcier Balaam, engagé par lui pour maudire le peuple juif afin de l’empêcher d’attaquer ses terres. Dieu déjoue leur plan et, à l’encontre du dessein initial, Balaam bénit le peuple juif.

La paracha précédente se termine lorsque le peuple juif s’apprête à entrer en terre promise. On s’attendrait à ce que la Torah se consacre à présent à des sujets relatifs à l’entrée en terre d’Israël : ses frontières, les lois de l’héritage foncier et les instructions en vue de la conquête imminente. C’est bien ce qu’elle fera, mais non sans relater auparavant comment le peuple juif est attaqué par son dernier ennemi avant son entrée dans le pays : l’alliance de Moab et Madian. Cela se transforme en un drame en plusieurs actes, dont les détails s’étendent sur les trois paracha suivantes.

Le premier acte de ce drame est l’histoire étrange traitant du roi moabite Balak et ses tentatives d’engager un devin non juif, Balaam, pour maudire les Juifs. Pourquoi la Torah nous parle-t-elle de ce duo non juif et de son plan avorté ? Ce qui est paradoxal, c’est que les essais avortés de Balaam pour maudire les Juifs amènent le devin à exprimer les références les plus explicites de la Torah sur l’arrivée de Machia’h et la Délivrance ultime. À la veille de leur entrée en terre promise, Dieu sentit à l’évidence qu’il était nécessaire d’inspirer au peuple juif de se concentrer sur sa véritable finalité, au-delà de son but immédiat de conquérir la terre et d’accomplir les commandements qui leur ordonnaient de s’y installer et d’y vivre leur vie matérielle.

Mis à part le fait troublant qu’un aspect à ce point central du judaïsme soit mis en lumière à travers l’obsession d’un roi idolâtre et d’un devin égocentrique de nous maudire, si les prophéties messianiques constituent le cœur de la paracha, pourquoi est-elle nommée d’après Balak, un roi mauvais qui chercha sans répit à anéantir le peuple juif à tout prix, et entraîna finalement la mort de plus de cent mille de nos frères ?2

La paracha dans laquelle se produit le don de la Torah porte également le nom d’un idolâtre : Jéthro. Nous y avons expliqué que, pour que la Torah soit donnée, il fallait au préalable établir les bases lui permettant d’imprégner toute la réalité, y compris les éléments niant Dieu. Avant que la Torah puisse être donnée, Jéthro, l’idolâtre accompli et païen à l’extrême, devait reconnaître l’existence et la toute-puissance de Dieu.

Dans le même sens, avant que le peuple juif puisse entrer en Terre promise dans le but ultime d’inaugurer le futur messianique, devait se produire un acte de transformation semblable. Il fallait jeter les bases de la transformation de toute la réalité, ce qui était le but ultime et la conséquence de l’installation du peuple juif sur la terre sainte. La haine et les malédictions des ennemis du peuple de Dieu devaient se transformer en bénédictions, et non en bénédictions quelconques, mais en prophéties de la victoire définitive du peuple de Dieu sur ces mêmes ennemis qui tentèrent de le maudire. À l’ère messianique, les nations non juives n’utiliseront plus leur pouvoir pour combattre le peuple juif, mais, au contraire, pour l’aider, comme il est écrit : « Des rois seront tes nourriciers, et leurs princesses tes nourrices. »3

Puisque la Délivrance messianique annoncera la transformation du mal et son anéantissement définitif, la raison pour laquelle les prophéties concernant cette époque sont issues de la bouche de l’antisémite et idolâtre Balaam devient évidente. Ce n’est qu’ainsi que leur nature transformationnelle pourra s’exprimer de toute sa force.

En ce sens, la paracha porte le nom de Balak puisque celui-ci incarne l’idée que l’avenir messianique entraînera la transformation absolue du mal en bien. En premier lieu, sa haine envers le peuple juif attira sur ce dernier la bénédiction d’une victoire assurée. En second lieu, il se trouve que Balak est un ancêtre direct de Machia’h. Le roi David, le père de Machia’h, était l’arrière- petit-fils de Ruth, la Moabite convertie,4 et Ruth appartient à la lignée de Balak.5 C’est parce que Balak personnifie à l’extrême la haine du Divin et sa transformation ultérieure en sainteté que la paracha porte son nom, nous inspirant afin que nous parachevions cette transformation et hâtions ainsi la Délivrance ultime.6