La paracha s’ouvre sur le commandement de D.ieu de faire un recensement des Juifs. En fait, à trois reprises, un tel compte fut entrepris durant les treize premiers mois suivant la sortie d’Egypte. Quelle est la signification spirituelle d’une telle démarche répétitive et en quoi ces trois recensements se différenciaient-ils l’un de l’autre ? Enfin quel en est le lien avec Chavouot qui tombe à proximité de la lecture de cette paracha ?
1. Bamidbar et Chavouot
La paracha de Bamidbar a une relation très particulière avec la fête de Chavouot. En général, chaque paracha a un lien avec la période au cours de laquelle la lecture en est faite et Bamidbar est généralement lue le Chabbat qui précède Chavouot. L’on se réfère également à Chavouot comme au mariage d’Israël à D.ieu. Et le Chabbat qui précède le mariage, le fiancé est appelé à la Torah en guise de préparation. Ainsi, si l’on peut s’exprimer ainsi, Bamidbar est une préparation pour cette union particulière entre D.ieu et Son peuple qui eut lieu lorsqu’il reçut la Torah.
Nous trouvons ce lien dès les premiers mots qui ouvrent la paracha où D.ieu commande : « Compte le nombre de toute l’assemblée des enfants d’Israël. ». Il nous faut donc comprendre la véritable nature de ce recensement.
2. Le dénombrement
Rachi commente ainsi ce commandement : « Parce qu’ils (les enfants d’Israël) lui sont chers, Il les compte tout le temps : quand ils sortirent d’Egypte, il les compta ; quand ils péchèrent à cause du Veau d’or, Il les compta ; quand Il fut sur le point de faire descendre Sa présence parmi eux (dans le Tabernacle) Il les compta. Car le premier Nissan, le Tabernacle fut érigé et le premier Iyar, Il les compta. »
A première vue, ce commentaire pose trois problèmes :
- Quand on possède des objets qui nous sont précieux, on les sort souvent pour les compter, comme pour se les réapproprier. Mais D.ieu connaît le nombre des Enfants d’Israël sans avoir à en faire le recensement. Pourquoi donc l’ordonne-t-Il ?
- De plus, pourquoi y eut-il un délai d’un mois entre le troisième recensement et l’événement qui l’avait suscité (l’érection du Tabernacle) ?
- Enfin, quelle différence y a-t-il entre ces trois recensements ? La Torah ne nous dit pas qui entreprit le premier. Le second le fut par Moïse. Mais le troisième fut ordonné à la fois à Moïse et Aharon. Pourquoi ce dernier ne fut-il impliqué qu’ici ?
3. Le dénombrement comme témoignage d’amour
Essayons de comprendre ce que signifie un recensement. Quand des éléments sont comptés, ils se trouvent dans un rapport d’égalité. Le plus grand des hommes et le plus petit comptent chacun pour un, ni plus, ni moins. Et puisque, comme nous le dit Rachi, le recensement constituait une preuve de l’amour de D.ieu, il devait être un geste dans lequel chaque Juif est égal, non par son intellect ou sa stature morale mais par son essence : son âme juive. Mais c’est quelque chose que nous ne pouvons voir de l’extérieur. Ainsi le but du recensement était-il de mettre à jour, de faire jaillir l’essence de chaque Juif.
Nous pouvons, dès lors, résoudre l’une des difficultés posées par le commentaire de Rachi : il écrit que D.ieu compte Son peuple tout le temps ; et pourtant, il souligne lui-même qu’ils ne furent comptés qu’à trois reprises : la première année, (dont une un mois après avoir quitté l’Egypte) et par la suite seulement une fois encore (trente-huit ans plus tard) durant leur errance dans le désert. Par la suite, cela n’eut lieu qu’à intervalles irréguliers et peu fréquents (selon le Midrach, neuf fois jusqu’à aujourd’hui, la dixième devant subvenir avec la venue de Machia’h). On pourrait interpréter les mots de Rachi comme voulant dire « dans des moments particuliers » et pourtant il utilise précisément : « tout le temps », implication à laquelle on ne peut échapper. Mais en fait, nous pouvons à présent comprendre : si le but de compter est de révéler l’essence de chaque âme juive, cette révélation a une profondeur qui la place au-dessus de l’érosion due au temps, en fait, elle est opérationnelle « tout le temps ».
4. Le temps et le Juif
Quand, à des moments de persécutions religieuses, le Juif est forcé à l’idolâtrie (et similairement dans le cas de chaque transgression, l’on peut dire qu’elle résulte de la persécution du penchant négatif), une ligne de pensée se trouve ouverte à lui. Il pourrait se dire : « puisque la Techouvah efface tous les péchés, que mon éloignement du Judaïsme n’est que temporaire et que la voie du retour me sera toujours ouverte, pourquoi me soucier de cette transgression unique ? »
Et pourtant, nous voyons, à toutes les époques et parmi toutes sortes d’hommes, que des Juifs ont voulu sacrifié leur vie plutôt que leur foi, même pendant un instant, sans s’arrêter pour réfléchir. Pourquoi ? Parce que le lien entre D.ieu et l’âme juive est au-delà du temps.
C’est là le sens de : « Il les compte tout le temps » ; l’amour qui s’exprime dans le fait de compter est plus profond que les vicissitudes du temps et des calculs. Il révèle qu’au plus profond de lui, le Juif est prêt à son propre sacrifice. Et c’est là la conséquence de l’héritage qui définit le Juif de « tout le temps ».
5. Les trois dénombrements
Nous pouvons désormais comprendre la différence entre les trois recensements mentionnés par Rachi. Le processus de la Révélation se fit par différentes étapes. D’abord, l’âme juive fut réveillée par l’amour de D.ieu. Ensuite, elle commença à marquer de son influence la vie extérieure des Juifs et finalement elle imprégna toutes leurs actions.
Le premier recensement eut lieu lors du départ des Juifs d’Egypte et éveilla leur sens de sacrifice de soi au point qu’ils suivirent D.ieu dans un désert inconnu et aride. Mais leurs émotions restaient insensibilisées.
Le second se produisit avant l’érection du Tabernacle. Il toucha plus profondément l’intellect et les émotions des Juifs parce qu’ils se préparaient à faire descendre la Che’hina (la Présence Divine), en leur sein. Mais l’élan venait toujours de l’extérieur : c’était le commandement de D.ieu qui les avait mis au travail et non une aspiration intérieure.
Mais avec le troisième recensement, le service du Tabernacle à proprement dit, eux-mêmes, par leurs propres actions, apportèrent D.ieu parmi eux. Toutes leurs actions furent alors le témoignage de l’union de l’âme juive avec D.ieu.
Il est maintenant clair qu’il fallait ce délai d’un mois entre l’achèvement du Tabernacle (en Nissan) et le troisième recensement (en Iyar). Car Nissan est le mois de Pessa’h, le moment où nous recevons la Révélation d’En Haut : ce ne fut pas le mérite des Juifs qui leur valut l’Exode d’Egypte mais seules la miséricorde et la bonté divine. Mais Iyar est le mois du Omer, le mois de sacrifices particuliers et par le sacrifice nous occasionnons la « révélation qui vient d’en bas », celle qui répond à nos mérites et pas seulement à la Grâce Divine.
Une explication parallèle nous permet de comprendre la raison de l’implication d’Aharon exclusivement dans ce recensement. Car Moïse était le porte-parole de la Révélation Divine, un lien du haut vers le bas. Mais Aharon, le Prêtre, était celui qui éleva le peuple d’Israël du bas vers le haut.
Et lors de ce troisième recensement, Israël atteignit enfin l’état où ses propres actions furent pénétrées de la conscience de l’âme.
Ainsi, le lien entre Bamidbar et Chavouot est clair. Quand la Torah fut donnée, Israël et les Juifs furent unis de telle sorte que D.ieu envoya Sa révélation d’En Haut et les enfants d’Israël eux-mêmes s’élevèrent.
Et nous lisons, en préparation à notre annuelle « re-création » de cet événement, la paracha qui évoque le troisième recensement où les deux modes de révélations sont liés. Ainsi, en prenant à cœur le sens du recensement comme geste de l’amour de D.ieu pour Israël, nous pouvons restituer cette union qui eut lieu à Sinaï lorsque D.ieu prit Son peuple comme épouse de telle sorte que, par la Torah, Israël se trouva unie à D.ieu.
(Source: Likoutei Si’hot vol. VIII, p. 1-7.)
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