Tazria - L’enfantement et la tsaraat
La section précédente du Lévitique évoquait les lois de l’impureté rituelle transmise par les cadavres des animaux. Dans cette section, la Torah poursuit avec les lois concernant l’impureté associée aux êtres humains. Elle commence par aborder l’impureté qui affecte la femme juive immédiatement après qu’elle ait enfanté (tazria, en hébreu). La seconde sorte d’impureté traitée dans cette section est une affection, disparue de nos jours, connue sous le nom de tsaraat, qui apparaissait sur la peau, les vêtements ou la demeure d’un Juif.
Le nom de cette paracha, Tazria, signifie littéralement « elle fera grandir », ce qui fait ici allusion à la conception d’un enfant dans le ventre de sa mère.1 La première partie de la paracha aborde l’impureté rituelle contractée par la femme à la suite d’un accouchement ; le reste de la paracha traite de la question de l’impureté retombant sur la personne ou le vêtement atteints de l’affection connue sous le nom de tsaraat.
La tsaraat n’est pas une maladie connue aujourd’hui ; elle n’est pas non plus une affection naturelle que l’humanité ait connue un jour. Il s’agit d’une affection physique qui ne provient pas de la contagion d’un virus quelconque, mais qui découle, de façon directe et miraculeuse, d’une défaillance spirituelle.
Comme nous l’avons vu,2 la Torah aborde deux grandes catégories d’impureté : les impuretés spirituelles, qui dégradent notre sensibilité à l’égard de notre conscience du Divin ; et les impuretés rituelles, qui nous interdisent d’entrer dans l’enceinte du Tabernacle ou de consommer de la nourriture sainte. Les deux types d’impureté étudiés dans cette paracha – celle qui survient par l’effet de l’accouchement et celle accompagnant la tsaraat – constituent des formes d’impureté rituelle. Le Temple et ses rituels furent conçus pour nous lier à D.ieu, source de tout ce qui vit. Lorsqu’on se trouvait confronté à un décès ou à une dépression, au sens de la finitude ou à toute autre antithèse de la vie, la confrontation écrasante avec la vanité de la vie rendait l’homme temporairement incapable de participer aux rituels du Temple qui étaient une affirmation de vie. De façon analogue, tout point de contact entre la vie et la mort (comme l’enfantement) nous oblige à penser à notre finitude, nous rendant ainsi susceptibles de désœuvrement pessimiste ou de dépression jusqu’à ce que nous nous entreprenions un processus de « purification » conçu pour nous réorienter vers la vie, l’activité et l’optimisme.
La tsaraat représente l’impureté rituelle à son plus haut degré, car l’individu qui en est atteint n’a pas seulement l’interdiction d’entrer dans le Temple : tout contact avec la communauté lui est prohibé. Ainsi exclu de la vie communautaire, le malade atteint de tsaraat est – selon les termes des sages –3 une métaphore concrète de la mort.
Cette paracha est à ce point focalisée sur les particularités de l’impureté qu’il semble au premier abord étonnant que son nom – censé, comme on le sait, en exprimer le contenu général – dénote également l’acte de semer, un acte témoignant optimisme et espoir, puisqu’il vise à faire apparaître une nouvelle vie.
L’explication à cet étonnant paradoxe se trouve dans l’attitude générale de la Torah vis-à-vis de la récompense et du châtiment. D.ieu est l’incarnation de la bonté absolue ; à cet égard, Il ne possède aucun attribut que nous pourrions qualifier de « mauvais ». En effet, le mal ne saurait être quelque chose d’inhérent à D.ieu, mais il constitue une entité créée par Lui afin de nous permettre le libre arbitre. Dans le même sens, la Torah de D.ieu, Son don à l’ humanité, est une expression de Sa bonté absolue. Aussi, même les phénomènes apparemment négatifs que l’on peut y trouver – menaces, punitions, malédictions – constituent autant d’expressions de Sa bonté. Les punitions spécifiées dans la Torah doivent également être interprétées dans leur intégralité comme des démarches correctives.
Sous ce jour, le fait d’être atteint d’une des différentes sortes d’impureté décrites dans la Torah n’est pas un châtiment vengeur mais un signe, une impulsion nous menant à entamer un nouveau chapitre dans notre parcours vers l’élévation spirituelle. Le processus de purification est soigneusement conçu pour nous ramener d’un chemin potentiellement néfaste à une orientation de l’esprit saine et positive. C’est dans ce sens que le nom Tazria, qui peut également se traduire par « elle sèmera », constitue clairement une dénomination juste pour une paracha entièrement consacrée aux détails de l’impureté.
La pertinence de son nom devient d’autant plus évidente lorsque nous considérons le fait que, comme il a été mentionné, le phénomène de la tsaraat est entièrement à caractère miraculeux, n’ayant aucun point commun avec les processus normaux de la nature. Dans la mesure où D.ieu « S’écarte de Son chemin » pour nous donner ce signe indiquant que le temps est venu de tourner la page et recommencer, nous devenons à même de comprendre que la tsaraat constitue une véritable occasion pour la renais- sance et le renouveau spirituel, ce qui justifie encore le nom de la paracha: Tazria, « semer et commencer une vie nouvelle ».4
Metsora – La purification de la tsaraat
Poursuivant le contenu de la section précédente, la cinquième section du Lévitique s’ouvre sur les rituels auxquels l’individu affecté de tsaraat (le metsora, en hébreu) devait se conformer afin d’avoir à nouveau accès au Tabernacle. Elle décrit ensuite de quelle manière la tsaraat peut apparaître sur les bâtiments et comment purifier les demeures affectées. Enfin, elle aborde les différentes formes d’impureté rituelle provenant de certains écoulements corporels. La tsaraat, comme nous l’avons vu dans la paracha précédente, Tazria, est une affection porteuse d’impureté rituelle, qui interdit donc à la personne affectée d’être admise dans le Temple et de participer à l’un de ses rituels et même à la vie sociale de la communauté. Ainsi écarté du Temple – le cœur de la vie et du Divin – et de la vie de la communauté, le metsora est, selon les termes des sages, une métaphore vivante de la mort.
Bien que metsora soit l’un des premiers mots à apparaître dans la paracha, son premier tiers est consacré au processus par lequel le metsora parvient à guérir de la tsaraat, ce qui constitue la négation de sa condition de metsora. Le thème du tiers suivant de la paracha est la tsaraat qui touche les maisons et la façon de purifier celles qui en sont affectées. Enfin, dans le dernier tiers de la paracha sont abordés deux types d’impureté supplémentaires mais non liés entre eux, et les processus de purification qui y sont attachés. Compte tenu du caractère négatif de la tsaraat, il semble étrange qu’une paracha consacrée à guérir un individu de cet état soit nommée d’après celui qui en est atteint. Mais l’explication que nous avons donnée du nom de la paracha précédente, Tazria, peut servir également à expliquer le choix du nom Metsora. Si la paracha de Tazria tire son nom de l’acte de semer – l’acte de se lancer avec optimisme dans un processus menant à une nouvelle vie et à une nouvelle croissance –, quand bien même la plus grande partie de la paracha est consacrée aux particularités d’une maladie qui nie la vie, c'est parce que la tsaraat n’est pas conçue comme une punition mais comme un nouveau début, un élan tendant à réaffirmer l’existence. Ainsi donc, elle peut et doit effectivement être considérée comme « semant » les graines d’un niveau de vie nouveau et plus élevé.
De manière analogue, la paracha de Metsora porte le nom du sujet atteint de la maladie – en dépit du fait qu’elle se concentre dans sa grande majorité sur la façon d’en affranchir la victime – parce que le processus de purification n’est rien d’autre que la suite de son état, c’est-à-dire l’étape suivante du processus de réhabilitation initié lorsque la personne a été atteinte de cette affection. Une des figures utilisées par les prophètes pour décrire le processus de la Délivrance – et, de fait, pour décrire le Messie lui-même – renvoie à l’idée de « pousser » :
« Voici venir les jours, dit l’Éternel, où Je ferai surgir un rameau juste de David ; un roi régnera et prospérera, et il administrera la justice et l’équité dans le pays. »5
En outre, les sages du Talmud caractérisent le Messie comme « le metsora de la maison de Rabbi Yehouda le Prince » citant le verset :6 « En réalité, ce sont nos maladies qu’il a subies et nos douleurs qu’il a portées, tandis que nous, nous l’avons pris pour un metsora, frappé par D.ieu et souffrant. »
Le Talmud retrace même un épisode dans lequel le Messie est vu revêtant l’apparence d’un metsora.7
Dans ce contexte, il est possible d’interpréter les noms des deux paracha qui abordent la tsaraat comme se rapportant au processus de rachat : Tazria, qui signifie « semer », fait référence au travail que nous accomplissons en vue de faire « pousser » la Délivrance, alors que Metsora fait allusion au Messie lui-même. Ainsi, l’alliance Tazria-Metsora signifie, dans un sens allégorique, « semer les graines de la délivrance messianique ».
Lorsque nous lisons le long voyage du metsora et le processus de sa délivrance de l’exclusion sociale qui l’a frappé, nous lisons en même temps nos odyssées personnelles de crise spirituelle et de rachat, tout comme l’odyssée collective qu’en tant que peuple nous vivons à travers l’exil, pendant que nous œuvrons à concrétiser notre Délivrance ultime.8