Dans cette Paracha Jacob, après son combat contre l’ange, apprend que son nom sera désormais Israël. Pourtant, la Torah continue de l’appeler à plusieurs reprises Jacob. Il n’en fut pas de même pour Abraham : dès lors qu’il changea de nom, son nom précédent, Abram, n’est plus utilisé. Quelle est la différence entre les deux cas ? Ce discours donne la signification des noms « Jacob » et « Israël », des deux stades de la vie religieuse qu’ils représentent, et de leur pertinence pour nous aujourd’hui.

1. Pourquoi le nom Jacob demeure

Au sujet du verset : « Et ton nom ne sera plus Jacob. Israël sera désormais ton nom »,1 le Talmud2 pose le problème suivant : Quiconque donne à Abraham le nom d’Abram, transgresse le commandement « Et ton nom ne sera plus Abram ».3 S’il en est ainsi, le même reproche est certainement applicable à quiconque donne à Israël le nom de Jacob, car il et écrit : « Et ton nom ne sera plus Jacob ». Et le Talmud conclut en disant que, de ce point de vue, Jacob, en tant que nom, est différent d’Abraham. En effet, après que D.ieu eut donné à celui-ci son nouveau nom, jamais la Torah ne le nomme autrement qu’Abraham. Tandis que Jacob conserve ce nom même après qu’il ait été nommé Israël.

Pourquoi Jacob conserve-t-il son nom ?

Une explication ‘hassidique nous apprend4 que les noms « Jacob » et « Israël » désignent deux stades du service divin, tous deux nécessaires en des temps différents dans la vie religieuse de chaque Juif. « Israël » est l’indication d’une réalisation plus élevée, sans toutefois supplanter ou supprimer la nécessité du service signifié par « Jacob ».

2. La signification profonde de « Jacob » et d’« Israël »

La différence entre eux est celle-ci : le nom « Jacob » évoque le fait qu’il acquit les bénédictions d’Isaac « en supplantant [son frère] avec ruse »5 (en hébreu le nom Ya-akov signifie « il supplanta »). Il usa de ruse pour prendre les bénédictions destinées à Ésaü. « Israël », en revanche, désigne la réception des bénédictions « au moyen d’une conduite noble (serarah, qui linguistiquement se rattache au nom Israël) et de manière ouverte ».6

De quelque manière qu’on interprète la Torah, son sens littéral demeure vrai. Et les bénédictions d’Isaac se référaient au monde physique et à ses bienfaits : « Puisse D.ieu te donner la rosée du ciel et la graisse de la terre. »7 Jacob et Rébecca firent de grands sacrifices et eurent recours à la tromperie pour les obtenir. Jacob dut revêtir les vêtements de Nemrod8 dont le règne amena le monde entier à la rébellion9 afin de transformer les éléments du monde physique en sainteté (en libérant les « étincelles de sainteté » qui s’y trouvaient enfouies).

Les actes des Pères sont un signe pour leurs enfants.10 Et la leçon pour nous de l’action de Jacob est que nous devons user de ruse quand nous abordons les actions de notre nature physique. L’homme rusé ne révèle pas ses intentions. Il semble suivre le chemin de son adversaire. Mais, arrivé au point fatidique, il fait ce qu’il avait toujours eu l’intention de faire. Le Juif engagé dans le monde matériel semble préoccupé par celui-ci. Il mange, boit, traite des affaires. Mais il fait tout cela pour l’amour de D.ieu. Ses objectifs ne sont nullement matériels. Il porte les « vêtements d’Ésaü », mais son but implicite est de révéler et d’élever les « étincelles de sainteté ».

D’un autre côté, la voie d’« Israël » est d’atteindre les bénédictions « de la rosée du ciel et de la graisse de la terre » au moyen d’une conduite « noble et ouverte ». Dans son rapport au monde, il n’a pas besoin de dissimuler son intention de servir D.ieu. Il n’est l’objet d’aucune tension. Le monde n’a aucune prise sur lui. Il ne lui cache pas sa divinité intrinsèque.

Cette distinction peut être décelée dans la différence entre un repas de Chabbat et celui d’un jour de semaine. Ce dernier incarne la tension entre un acte matériel et sa motivation spirituelle par amour pour D.ieu. Ce décalage entre l’apparence et l’intention profonde est une forme de ruse. Tandis que le repas de Chabbat est en soi-même l’accomplissement d’un commandement. La sainteté du matériel est manifeste.

À la lumière de ces explications, nous pouvons comprendre le sens du verset « Ton nom ne sera plus Jacob, mais tu seras appelé Israël ; car tu as lutté avec D.ieu (Elokim) et avec des hommes, et tu as été vainqueur ».11 « Elokim » dans ce texte signifie « anges »,12 et a pour connotation générale les « soixante-dix princes célestes » à travers lesquels se déversent dans le monde les émanations divines soutenant l’existence physique et qui, ce faisant, dissimulent la divinité.13 « Des hommes » signifie une dissimulation encore plus grande, car les hommes sont capables de dénigrer le Juif qui obéit à la volonté de D.ieu, ce qui est une occultation encore plus difficile à supporter. C’est pour cette raison que le premier paragraphe de tout le Choul’hane Aroukh nous avertit « de ne pas avoir honte devant des hommes qui nous tournent en ridicule ». C’est là la base de tout le service de D.ieu du Juif : supprimer l’occultation de D.ieu.

Telle fut la vertu d’Israël « d’avoir lutté avec Elokim et avec des hommes » et d’avoir vaincu leurs occultations respectives de D.ieu. Non seulement ne sont-ils plus des barrières pour lui, mais ils approuvent même ses bénédictions. Non seulement fut-il vainqueur dans sa lutte avec l’ange (l’ange gardien d’Ésaü), mais l’ange lui-même le bénit. C’est l’accomplissement du verset des Proverbes : « Il dispose favorablement à son égard même ses ennemis. »14

3. La lutte

Cette distinction s’accorde avec l’explication, donnée dans Likoutei Torah,15 du verset : « Il n’aperçut pas de péché en Jacob, et ne vit pas de labeur en Israël. »16 Au niveau de « Jacob », le Juif n’a pas de péché, mais il connaît encore le « labeur », c’est-à-dire que sa libération du péché ne s’accomplit que par la tension et la lutte, car il a des « occultations » à surmonter. C’est pourquoi il est appelé « Jacob, Mon serviteur »,17 car la notion de « service » (avodah en hébreu) connote de grands efforts en vue d’affiner sa nature physique (son « âme animale »). Il ne pèche pas, mais connaît encore l’inclination au péché, qu’il doit vaincre. Tandis qu’« Israël » ne rencontre pas de « labeur », car, dans sa lutte « avec Elokim et avec des hommes », il a abattu les facteurs d’occultation de la Divinité et a fait taire ses inclinations contraires. Israël n’a plus besoin de lutter avec les forces qui s’opposent à la perception de la Divinité. Sa progression s’effectue exclusivement dans la sainteté.

4. Victoire partielle et victoire complète

Voici une histoire que racontait le précédent Rabbi de Loubavitch, Rabbi Yossef Its’hak, au sujet du Tséma’h Tsédek (le troisième Rabbi) : Un jour, au milieu d’un rassemblement ‘hassidique (un Farbrenguen), le Tsema’h Tsedek, plein d’excitation, sauta sur une table et dit : « Quelle est la différence entre une chose tuée complètement et une autre tuée partiellement ? ». (La question se référait à une déclaration du Talmud,18 selon laquelle avoir tué « partiellement » une créature est considéré comme l’avoir tuée.) Le Tséma’h Tsédek, donnant une signification ‘hassidique au point halakhique, l’applique au fait de « tuer » l’inclination au mal. Même la tuer « partiellement » revient à la tuer, mais, à tout le moins, il faut la tuer partiellement. Après quelque temps passé à converser et à danser, il poursuivit : « Au moment où l’on a atteint le point de tuer (le moment dont parlent les Psaumes dans le verset : « Mon cœur est vide au-dedans de moi»19), la vie a revêtu un nouveau caractère. »

Ces deux déclarations du Tséma’h Tsédek sont liées aux deux niveaux de « Jacob » et d’« Israël ». À celui du premier, il subsiste une lutte contre nos inclinations, une vie de tension, qui correspond à tuer partiellement. Au niveau d’« Israël », par contre, lorsqu’on a « totalement tué » le mauvais penchant, la vie est transformée en une sérénité nouvelle et un plaisir spirituel.

5. Des niveaux dans la vie du Tsadik et du Beinoni

Ces deux stades du service Divin appartiennent à deux niveaux dans l’âme divine. « Jacob » peut être décomposé en la lettre Youd et le mot Ekev (talon). Ici la perception de D.ieu (symbolisé par la lettre Youd) n’a atteint que les niveaux les plus inférieurs de l’âme, laissant une possibilité d’occultation qui doit être supprimée. En revanche, « Israël » contient les mêmes lettres que li roch (« la tête est à moi »). L’âme entière, dans ses capacités les plus hautes, a été imprégnée par la conscience de D.ieu, et aucune dissimulation n’est possible, aucune lutte n’est nécessaire.

En termes généraux, Israël désigne le Tsadik (le stade de la vertu totale) et Jacob, le Beinoni (le niveau intermédiaire accessible à tout homme).20 Et en particulier, à l’intérieur de ce niveau intermédiaire « Jacob » représente le service des jours de semaine, et « Israël » celui du Chabbat. Même à l’intérieur du stade de la vertu totale, il y a le niveau de Jacob, et le niveau d’Israël. Cela est clair, du fait qu’Israël lui-même fut occasionnellement appelé Jacob, après son changement de nom. En lui, comme en tout Juif, « Jacob » demeure comme un élément nécessaire au service de D.ieu.

6. Le sens actuel de « Jacob »

Du fait que, comme nous l’avons mentionné précédemment, le niveau de Jacob est dépourvu de péché, mais n’en implique pas moins un effort continuel, il en résulte que le Juif – bien que sa lutte contre des désirs répréhensibles soit difficile et pleine de risques – a la force de remporter la victoire et de demeurer dénué de péchés. Car il est « une branche de ce que J’ai planté, l’œuvre de Mes mains »,21 et « une part de D.ieu en-Haut ».22 Comme rien ne peut l’emporter sur D.ieu, rien ne peut s’imposer au Juif contre sa volonté. Et la victoire lui a été promise, car il est dit « Même ceux qu’il a bannis ne seront pas rejetés par Lui »,23 et « Tout Israël a une part dans le monde futur ».2424.

Cette promesse (comme toutes les paroles de la Torah) est importante pour notre situation spirituelle présente. L’assurance de la victoire finale doit renforcer notre joie dans l’acte de servir D.ieu, et cette joie elle-même contribuera à la victoire sur notre nature physique et abrégera la lutte. Le Rabbi précédent dit25 que, bien qu’un soldat soit exposé au danger, il va avec un chant de joie, et la joie lui donne la victoire.

C’est pourquoi nous disons, après la conclusion du Chabbat : « N’aie pas de crainte, Jacob Mon serviteur ». Car, ainsi que nous l’expliquions plus haut, durant le Chabbat le Juif se tient au niveau d’Israël. Mais une fois le Chabbat terminé, quand nous revenons au niveau de « Jacob Mon serviteur » et au labeur du service des Jours de semaine, il nous est dit : « N’aie pas de crainte ». Cela n’est pas seulement un commandement, mais aussi une source de force et de joie, qui abrégera la tâche et hâtera sa récompense – jusqu’au moment où nous serons dignes du temps qui est « une vie éternelle de Chabbat et de repos ».

 (Source : Likoutei Si’hot, vol. 3, p. 795-799)