Le Neuf Av est la date à laquelle les deux Temples furent détruits. Chaque année, le Chabbat qui suit le 9 Av, nous lisons comme Haftara le célèbre passage de consolation tiré d’Isaïe : « Consolez, consolez Mon peuple. » Le Midrach nous dit que nous avons là, littéralement, une consolation double à la perte des deux Temples. Mais une simple consolation n’aurait-elle pas suffit ? Car le Premier Temple fut témoin d’une révélation bien plus grande de la Présence divine que le Second. De sorte que notre chagrin et notre consolation pour sa perte englobent les sentiments que nous éprouvons pour le Second Temple. Toutefois, dans ce discours, le Rabbi soutient qu’il y eut quelque chose d’unique concernant le Second Temple, et que cela a des répercussions sur notre vie religieuse de tous les jours. Au cœur de son analyse, il y a la distinction entre deux manières différentes de se rapprocher de D.ieu : par la vertu et par la repentance.
1. Une ou deux consolations ?
La Haftara de cette semaine, la première des « Sept Semaines de Consolation », succédant au Neuf Av, commence avec les mots : « Consolez, consolez Mon peuple. »1 Le Midrach2 explique que cette répétition apparente se réfère, en fait, à deux consolations et à deux tragédies : la perte du Premier Temple et celle du Second.
Mais cela n’est simple qu’à première vue. L’idée de consolation est que, lorsqu’une calamité s’abat sur un homme, même si un autre est impuissant à réparer la perte subie par le premier, il peut le réconforter en lui apportant sa sympathie. Et si l’homme a subi non pas une seule perte, mais deux, il y a certainement la possibilité de le consoler deux fois plus.
Mais dans le cas des Temples, la consolation est dans la perspective qu’un Troisième Temple sera construit pour remplacer les Temples détruits.3 Et étant donné que le Premier fut plus grand que le Second par les révélations et les miracles dont il avait été le lieu,4 le remplacer serait, du même coup, remplacer le Second, et davantage. Il s’ensuit que la consolation pour la perte du Premier inclurait celle pour la perte du Second.
La réponse est celle-ci : bien que le Second Temple fut, en termes absolus, moins spirituellement élevé que le Premier, il possédait néanmoins certaines vertus uniques. Ainsi, le Talmud5 interprète le verset : « La gloire de cette dernière maison sera plus grande que celle de la première »6 comme se référant au Second Temple, qui fut plus grand que le Premier dans ses dimensions et sa durée.
C’est la raison pour laquelle il y aura deux consolations, car le Troisième Temple combinera les vertus des deux qui l’auront précédé.7
2. Tabernacle et Temple
Pour comprendre ce qu’était la vertu unique du Second Temple, nous devons d’abord voir de quelle façon un Temple, en tant que tel, dépassait le Tabernacle qui accompagnait les Israélites dans le désert. L’un et l’autre furent des « demeures » pour la Présence de D.ieu. Mais le Temple était une demeure permanente ; le Tabernacle, lui, fut une demeure temporaire.8
Car il y a deux aspects de la descente ici-bas d’un degré élevé de sainteté :
1) Celui où la sainteté est apparente dans le matériel, mais ne transforme pas effectivement celui-ci. C’est une manifestation de la puissance de la spiritualité, en ce qu’elle peut imprégner même un être si grossier.
2) Celui où la sainteté transforme effectivement le physique ; où le matériel devient un « vase », ou réceptacle, pour la sainteté. C’est là une révélation encore plus forte, par laquelle la « lumière » non seulement affecte le physique, mais le change intrinsèquement.
De même, le Tabernacle était saint : « Et ils Me feront un Sanctuaire, et Je demeurerai au milieu d’eux. » Sa sainteté s’étendait même aux rideaux, aux poutres et au sol sur lequel il était posé. Mais ceux-ci n’étaient pas la source de sa sainteté. La source était la révélation venue d’en Haut, la lumière infinie de D.ieu qui brillait en lui. C’est pourquoi, quand le Tabernacle était déplacé, le lieu où il avait été posé cessait d’être un sol saint. Car la sainteté de celui-ci n’était pas en lui ; elle durait seulement le temps qu’y résidait la Présence divine.
En revanche, la sainteté du Temple était investie dans les matériaux physiques dont il était fait. Même après sa destruction, le sol sur lequel il avait été posé demeurait, et demeure encore, sacré.9
Telle est la signification intérieure du fait que le Temple fut bâti par Salomon. Car sous son règne « la lune atteignit sa plénitude », selon les termes du Zohar.10 Le soleil donne la lumière ; la lune la reflète. Et en termes de spiritualité, D.ieu est la source de la lumière, et la terre la reçoit. Alors que le Tabernacle avait la sainteté de la lumière divine, la sainteté du Temple résidait, elle, dans le matériau même qui avait servi à le construire, dans les choses de la terre qui furent dédiées à D.ieu. C’était comme la « lune » qui reçoit la lumière divine, et la reflète au-dehors, au monde entier.
3. Lumière réfléchie ou générée
Mais il y a une différence entre la lune telle qu’elle est maintenant, et telle qu’elle sera dans le Monde Futur.
Actuellement, elle tire son rayonnement du soleil. Mais dans le Monde Futur, « la lumière de la lune sera comme la lumière du soleil ».11 Elle brillera non d’une lumière réfléchie, mais de sa lumière propre.
Parallèlement, nous avons la différence entre les deux manières dont le monde et ses créatures sont purifiés et transformés.
Nous pouvons être changés par une lumière venue d’en Haut, comme un élève apprend de son maître. Il peut arriver à comprendre ce qu’on lui a appris, dans la mesure où, par ses propres efforts, il accède à l’essence même du sujet. Mais il est toujours un reflet de son maître. Semblable en cela à la lune, il répand une lumière qui lui est venue d’ailleurs.
Nous pouvons, d’autre part, être changés par une lumière venue de l’intérieur. Quand un homme, par exemple, fait acte de retour à D.ieu après s’être écarté de Sa volonté, il ne le fait pas à cause de quelque révélation d’en Haut. Au contraire, sur le point de revenir, il est loin de toute vision de D.ieu. Il le fait, mû par une incitation intérieure. Car chaque Juif, dans les vraies profondeurs de son être, cherche à accomplir la volonté divine ; c’est simplement que parfois ses inclinations prennent le dessus, et cachent sa nature véritable.12 L’essence d’un Juif est d’être une partie de D.ieu. Et le changement qu’il apporte dans sa vie quand il fait retour à D.ieu vient de l’intérieur, dans le sens le plus strict. Il pénètre la surface de ses inclinations, et trouve la Divinité au centre de soi-même. « Toute chair verra... car la bouche de l’Éternel a parlé. »13 Il atteint à la parole de D.ieu à travers sa chair même, en voyant la nature réelle de son existence. Un tel homme est comme la lune de le Monde Futur. La lumière qu’il répand vient du feu qui brûle à l’intérieur de lui-même.
4. La parole, le commandement, le retour
Il y a donc trois stades : recevoir la lumière d’ailleurs, la réfléchir, et engendrer la lumière de l’intérieur.
Ces stades sont reflétés par trois aspects du Judaïsme : la Torah, les commandements (Mitsvot), et le repentir (Téchouva).
La Torah est la parole de D.ieu, la lumière d’en Haut. Même si, en l’étudiant, nous sommes unis à elle,14 la Torah est toujours dispensatrice de lumière, et nous sommes toujours les receveurs. Par notre étude nous ne lui ajoutons rien ; nous nous efforçons simplement de découvrir ce qui s’y trouvait déjà.
Mais à travers les Mitsvot, nous recevons la lumière, et nous la donnons. En revêtant les Téfiline ou les Tsitsit, nous changeons le parchemin et la laine en objets saints. En abdiquant notre moi au profit de la volonté divine, nous affinons le monde : « les Mitsvot furent données à seule fin que, par elles, toutes les créatures soient purifiées. »15 Alors que la Torah existe éternellement en elle-même, les Mitsvot, elles, ont besoin de l’homme comme partenaire. La Torah, bien qu’elle parle du monde physique, n’y pénètre point. Tandis que les commandements requièrent des actes et des objets physiques, et ils transforment le tissu du monde. La Torah est comme « la lumière du jour »16 qui éclaire, mais ne change pas ce sur quoi elle brille.17 Tandis que les commandements sont semblables à « la lumière d’une lampe » où mèche et huile sont transformées en flamme.
Les Mitsvot sont néanmoins une lumière réfléchie. Elles ont besoin, d’abord, de la parole de D.ieu qui les commande. Mais le Baal Téchouva — celui qui fait retour à D.ieu — s’est coupé de la parole divine, et y revient à cause d’une flamme à l’intérieur de lui-même qui refuse d’être séparée de sa source.
Par les Mitsvot, un Juif sanctifie seulement ce qui lui est permis.18 Tandis que par la Téchouva, il sanctifie toute sa vie passée, vécue dans le domaine des actes prohibés.19 Ses péchés passés deviennent ses mérites. Là est la vertu unique de l’acte de repentance : il sanctifie non seulement une partie, mais la totalité de l’expérience.
5. Le second Temple
Nous pouvons maintenant comprendre la signification unique du Second Temple. Durant la période du Premier Temple, le peuple juif était en général au niveau de la « vertu », menant une vie d’obéissance aux commandements divins. La lumière que cela donnait au monde était un reflet de la volonté de D.ieu. Tandis que le Second Temple appartenait à une époque de repentance et de retour à D.ieu. Le monde était sanctifié de l’intérieur, au moyen des ressources spirituelles propres d’Israël. Aussi est-il significatif que sa construction ait été ordonnée par Cyrus,20 roi de Perse — un non-juif.
C’est la raison pour laquelle nous avions besoin de deux consolations, « Consolez, consolez Mon peuple ». Car les deux Temples avaient chacun leur vertu distinctive propre. Les révélations de la présence de D.ieu qui appartenaient au Premier étaient plus grandes, mais celles du Second, plus physiques. C’est pourquoi le Talmud dit21 que la grandeur du Second Temple résidait dans ses dimensions (dans l’espace), et sa durée (dans le temps). Car il tirait sa sainteté des propres efforts de l’homme pour purifier son monde fini, non de D.ieu tel qu’il est au-dessus de l’espace et du temps.
La consolation sera le Troisième Temple dans lequel la lumière d’en Haut et la lumière de l’intérieur se combineront.
6. Ce qui peut être perdu, et ce qui ne le peut pas
Toutes les significations de la Torah ont leur reflet dans la Halakha (la loi judaïque).
Nous pouvons voir que le pays d’Israël avait une sainteté plus grande à l’époque du Premier Temple qu’à celle du Second. Car, pour prendre un exemple, quand Roch Hachana tombait un Chabbat, on sonnait du Choffar à travers tout le pays au temps du Premier Temple ; mais seulement dans le Temple au temps du Second.22
D’autre part, le pays perdit une partie de sa sainteté avec la destruction du Premier Temple, mais n’en perdit rien avec la perte du Second.
Les lois régissant le pays d’Israël montrent que le Premier Temple conférait une sainteté plus intense ; le second une sainteté plus permanente.
Cela peut être comparé aux tables sur lesquelles Moïse reçut deux fois les Dix Commandements. Les premières étaient plus miraculeuses, mais elles furent brisées. Les secondes ne le furent point. De même, le Premier Temple conférait une plus grande sainteté à Israël ; mais quand il fut détruit, la sainteté disparut. En revanche, la sainteté du pays à l’époque du Second Temple demeure et persiste à jamais.
En lisant la Haftara de cette semaine, « Consolez, consolez Mon Peuple », nous nous souvenons non seulement de ce qui fut perdu, mais de ce qui survit. La génération de la vertu peut appartenir au passé et à l’avenir ; mais la génération du retour est une possibilité présente. C’est l’héritage durable du Second Temple. Et en transformant la possibilité en un fait, nous rapprochons l’époque du Troisième Temple — la double consolation finale.
(Source : Likoutei Si'hot, vol. 9 p. 6170)
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