Le début de la paracha décrit la récompense de D.ieu à Pin’has pour son zèle qui le poussa à punir l’insolence de Zimri : il avait fait entrer une païenne dans le camp des Israélites. Rachi, dans son commentaire, semble être troublé par une répétition, apparemment superflue, de la généalogie de Pin’has, laquelle déclare qu’il était fils d’Élazar, fils lui-même d’Aaron, le Grand-Prêtre. Cela a déjà été mentionné à peine quelques versets plus tôt ; et Rachi conclut que son but, dans notre paracha, n’est pas simplement de nous informer sur l’ascendance de Pin’has, mais de le défendre contre une critique que les Israélites dirigeaient contre lui, et selon laquelle il était le petit-fils de Yitro qui avait été, une fois, idolâtre ; et que, de ce fait, il avait hérité certaines des inclinations de son aïeul au paganisme. Les détails du compte rendu de Rachi soulèvent toutefois quelques difficultés que le Rabbi explore dans ce discours. Son thème central est le concept du zèle même. Le zèle religieux doit-il être encouragé ou critiqué ? Est-il le résultat de l’orgueil et de l’ostentation, ou une dévotion authentique ? Quelle devrait être notre réaction quand les motivations du comportement religieux du zélateur nous paraissent suspectes ? Le discours se termine par une confrontation de ces questions difficiles, mais d’une importance vitale.

1. Les plaintes des tribus

« Et l’Éternel parla à Moïse et dit : Pin’has, fils d’Élazar, fils d’Aaron le Grand-Prêtre, a détourné Ma fureur ». Rachi, commentant cette généalogie, dit : « Parce que les tribus avaient tenu sur lui des propos injurieux (en disant) : « Voyez-vous ce petit-fils de Pouti, le père de sa mère, qui engraissait les veaux destinés aux sacrifices idolâtres ! Il a osé tuer un prince d’une des tribus d’Israël ! » C’est pourquoi la Torah vient rattacher sa généalogie à Aaron ». Ces propos malveillants des Israélites étaient basés sur le fait que le père de Pin’has, Élazar, avait épousé une fille de Poutiel, identifié avec Yitro — le beau-père de Moïse —, qui avait été, en un certain temps, idolâtre.

Qu’y a-t-il dans cette mention de l’ascendance de Pin’has, qui ait suggéré à Rachi cette explication laborieuse ? La réponse est qu’il nous avait déjà été dit, quelques versets auparavant,1 qui étaient le père et grand-père de Pin’has. Et puisqu’il n’y a pas, dans la Torah, de répétition inutile, une raison doit exister qui explique celle-ci. Aussi Rachi est-il obligé de conclure que Pin’has fut critiqué sur son ascendance (il descendait de Yitro), et que la Torah souligne la distinction de son arbre généalogique (il descendait d’Aaron).

Néanmoins, il reste quelques aspects de l’explication de Rachi qu’il est nécessaire de comprendre.

Admettons, par exemple, que Pin’has ait été critiqué. Comment Rachi en déduit-il que l’ensemble des tribus souscrivait à cette plainte ? Il semble plutôt que ce fût seulement la tribu de Chimone, dont le prince, Zimri, avait été tué par Pin’has. En fait, les membres des autres tribus avaient été profondément émus par le geste de Zimri amenant à l’intérieur du camp une Midianite. Comme le dit Rachi2 : « ils fondirent en larmes » à ce moment. Et le zèle de Pin’has eut des conséquences heureuses qui leur profitèrent, car « la plaie s’arrêta parmi les Enfants d’Israël »3. Ils avaient donc toutes les raisons de le louer. Mais Rachi dit qu’ils le critiquèrent, au contraire. Pourquoi ? En second lieu, leurs critiques étaient basées sur le fait que Yitro fut son grand-père maternel. Or, selon le Midrach4 et Rachi lui-même,5 le paganisme de Yitro était tel qu’« il n’y avait pas une seule idole qu’il n’adorât ». Les tribus avaient donc cette accusation globale à leur portée. Pourquoi se sont-elles accrochées seulement au fait qu’il avait « engraissé des veaux » pour les sacrifices païens ?

En troisième lieu, le verset biblique rattache la lignée de Pin’has à « Élazar, fils d’Aaron, le Grand-Prêtre ». Mais Rachi dit seulement « la Torah vient rattacher sa généalogie à Aaron ». Pourquoi omet-il de mentionner le sacerdoce d’Élazar et d’Aaron qui était, à l’époque, Grand-Prêtre d’Israël ?

Enfin, tout le but des remarques défavorables des tribus sur l’ascendance de Pin’has n’est pas clair. L’objet de leur mépris était Pin’has lui-même qui avait tué Zimri pour avoir amené une païenne dans le camp. Or, ou bien elles ignoraient la loi qui dit que « celui qui a des rapports avec une païenne, les zélateurs peuvent l’attaquer », auquel cas elles auraient dû accuser Pin’has de meurtre. Ou bien elles pensaient que Pin’has n’entrait pas dans la catégorie des « zélateurs », et dans ce cas, elles auraient dû l’accuser d’avoir d’autres motifs à son acte. La seule possibilité est qu’elles savaient et la loi, et que Pin’has était un zélateur,6 et s’il en était ainsi, leurs plaintes seraient sans fondement. Ainsi, de toute manière, la référence à Yitro, son grand-père maternel, ne semble pas adaptée à la question.

2. Le motif des Israélites

On trouvera la réponse à ces difficultés si l’on se rend compte que les tribus en dénigrant Pin’has, cherchaient à défendre l’honneur d’Israël et de Moïse.

Zimri avait amené la Midianite dans le camp « sous les yeux de Moïse, et sous les yeux de toute l’assemblée des Enfants d’Israël ».7 Et de tous ces hommes, seul Pin’has eut le zèle de se lever et de venger la profanation de D.ieu. Certes, le reste des Israélites connaissaient la loi aussi bien que Pin’has, car elle avait été transmise au peuple entier8 réuni. Et nul doute que Moïse la connût, car Pin’has lui dit : « je l’ai reçue comme une tradition de toi. »9 La réponse solitaire de Pin’has avait jeté la honte sur Israël et sur Moïse.

C’est pourquoi les tribus tâchèrent de mettre en doute la pureté des motifs de Pin’has. Ils l’accusèrent d’une pointe de cruauté, héritée de son grand-père Yitro ; cruauté qui avait sa part dans le zèle de son acte. C’est la raison pour laquelle elles s’accrochèrent à la pratique de Yitro consistant à engraisser des veaux pour le sacrifice ; car c’est une cruauté suprême de paraître agir pour le bien de quelqu’un — en le nourrissant abondamment — alors qu’on le fait pour l’abattage final.10 La défense des Israélites était la suivante : « Pourquoi seul Pin’has se leva et se chargea de la vengeance ? Parce qu’il était animé aussi par la cruauté, et pas seulement par un sursaut de sa conscience. Quant à nous, nous n’avions pas cette cruauté ; c’est pourquoi nous avons hésité ».

C’est la raison pour laquelle Rachi inclut toutes les tribus dans le dénigrement dont Pin’has fut l’objet. Seule la tribu de Chimone avait à défendre l’honneur de Zimri ; mais toutes les tribus étaient intéressées à défendre l’honneur de Moïse et du peuple juif.

3. Le motif de Pin’has

Maintenant nous pouvons voir le point précis de la Torah où est répétée la généalogie de Pin’has, à savoir qu’il était le « fils d’Élazar, fils d’Aaron le prêtre ». Ce point tend à montrer que, dans son acte, Pin’has ne fut pas le « petit-fils de Yitro », mais seulement le « petit-fils d’Aaron ». En d’autres termes qu’il n’était pas du tout animé par la cruauté, mais seulement par un zèle religieux dévorant. Et Rachi souligne tacitement que dans cette phrase, les mots cruciaux sont « le fils d’Aaron ». La Torah ne met pas l’accent simplement sur le fait que Pin’has fut le fils d’Élazar, qui était le Grand-Prêtre en second, et devint Grand-Prêtre à la mort d’Aaron ; ni que Pin’has fut le petit-fils d’Aaron le prêtre. L’accent est mis plutôt sur le caractère d’Aaron mis à part sa fonction sacerdotale, à savoir qu’il « rechercha la paix et fit en sorte que l’amour s’établît entre parties adverses ».11 Là où la tension existait entre les Israélites et D.ieu, Pin’has chercha à lui substituer l’amour ; ainsi que le dit D.ieu : « Pin’has... a détourné Ma fureur des Enfants d’Israël. »12 C’était la nature profonde du zèle de Pin’has — un grand amour de la paix qu’il avait hérité d’Aaron, et un désir d’éliminer la cause de l’amertume existant entre D.ieu et Son peuple.

4. Motifs ultérieurs et intérieurs

Dans Rachi, nous trouvons plus qu’un simple commentaire littéral des versets de la Torah. Nous trouvons des vérités générales et profondes qui ont un rapport avec notre vie. De sa compréhension de cet épisode particulier de Pin’has, il ressort que lorsque nous voyons un homme engagé dans une action religieuse, il nous est interdit de le dénigrer, de le diminuer, même si nous croyons avoir des preuves irréfutables qu’il le fait pour un motif autre.

Même s’il se vérifie qu’il a d’autres mobiles, il y a une déclaration catégorique dans le Talmud13 selon laquelle « un homme doit toujours être absorbé par la Torah et les commandements, même si ce n’est pas pour eux-mêmes, car en agissant pour d’autres mobiles, il arrivera qu’au cours de son action, il agisse pour la Torah et les commandements eux-mêmes ». Le bon motif remplacera, en temps voulu, le mauvais.

En fait, le texte original hébraïque de cette déclaration dit, non « au cours de son action », mais « au milieu (mitokh) de son action ». Et l’implication profonde en est que le Juif puisse formuler des motifs autres à son obéissance à la volonté divine, il cherchera subconsciemment, dans les véritables profondeurs de son être, à rester fidèle à la Torah pour elle-même seulement.

De plus, l’obligation d’un Juif, quand il en voit un autre accomplissant une action juste pour une mauvaise raison, n’est pas de le dissuader de faire cet acte, mais de l’aider vers une intelligence véritable de son but et de l’orienter plus rapidement vers l’état où il accomplira la volonté de D.ieu pour la chose elle-même.

Il en est ainsi même quand il y a en réalité un motif autre. Mais en fait, il ne nous est jamais donné de connaître avec certitude les motifs d’autrui. Les tribus avaient de bonnes raisons de suspecter ceux de Pin’has ; mais l’Éternel qui « regarde au fond des cœurs »14 témoigna qu’elles se trompaient.

5. Modestie et fierté

Celui qui suit l’exemple des tribus peut tomber dans une erreur plus profonde ; celle de se leurrer soi-même. Car lorsqu’un homme empêche un autre de faire quelque chose qui, en soi, est bien, simplement parce que ses motivations sont suspectes. Celui-ci pourrait raisonner de la façon suivante : puisque je suis, par nature, modeste et effacé, je ne puis supporter l’orgueil. Aussi, quand je vois quelqu’un étudier la Torah avec une ferveur manifeste, ou accomplir les commandements en allant au-delà de ce que requiert la Torah, et que cela trahit l’ostentation, je ne puis passer cela sous silence ». En fait, il est dans l’erreur, et celui qu’il critique a raison. Les tribus critiquèrent Pin’has dans leur désir de justifier et Moïse et eux-mêmes ; mais c’est de Pin’has que D.ieu dit : « il a montré du zèle pour Ma jalousie ». Il pourrait y avoir, en effet, un élément d’orgueil justement dans cette démonstration de modestie.

La réaction sincère, à la vue d’un Juif qui étudie avec passion et observe très scrupuleusement les commandements, serait de se sentir stimulé soi-même vers une ardeur semblable.15 Si, au contraire, on formule des critiques, c’est presque comme si l’on ne pouvait souffrir la vue de quelqu’un plus vertueux que soi. Nos Sages disent : « Pèse tous les hommes dans la balance du mérite. »16 Quand une personne éprouve à l’égard d’une autre un sentiment qui ne concorde pas avec cette maxime, il faut en conclure que c’est un sentiment dont la source n’est pas dans la sainteté et la vérité.

6. La récompense du zélateur

L’épisode de Pin’has eut lieu alors qu’un fléau affligeait les Israélites. Et, bien que Pin’has ne fût pas, comme Moïse, un chef de sa génération, ni (pas encore) un prêtre, néanmoins son action eut pour effet de mettre fin au fléau, et la paix fut rétablie entre les Juifs et D.ieu : « Voici, je lui donne Mon pacte de paix. »

Ainsi, même en une période d’affliction spirituelle, quand nous voyons un Juif zélé dans son service divin, même s’il n’a aucune prétention à un poste de chef ou à une distinction quelconque, nous ne devons pas le dissuader ou le décourager. Car, comme Pin’has, il est porteur de la paix véritable entre D.ieu et Son peuple ; la paix qui est le contraire de la séparation et de l’exil. Il est l’annonciateur de l’Ère Messianique,17 qui fera que « les cœurs des pères se tourneront vers les enfants, et les cœurs des enfants vers les pères»,18 dans la paix finale et éternelle.

(Source : Likoutei Si’hot, Vol. VIII, p. 160-170)