Vue d’ensemble

Il est important de noter que, chronologiquement, le livre d’Isaïe aurait dû commencer ici, avec le chapitre 6. Les cinq chapitres qui précèdent concernaient surtout la destruction de « Judah et Jérusalem »,1 1 parce que, à cette époque, le royaume d’Israël avait déjà été détruit par les Assyriens. Cela arriva bien longtemps après le règne d’Ouzia, par le règne duquel le début du chapitre 6 est daté. C’est l’un des endroits qui suivent la fameuse règle selon laquelle « il n’y a pas d’ordre chronologique dans la Torah ».2

La corrélation entre la Parachah et la haftarah est la vision des sphères célestes qui ouvrent le récit dans celle-ci. Au moment du don de la Torah, « les cieux s’ouvrirent » et le peuple juif vit tout ce que les prophètes allaient plus tard décrire en termes mystiques. Dans le même esprit, la haftarah du premier jour de Chavouot (la date du don de la Torah) est tirée du premier chapitre d’Ézéchiel, qui décrit sa vision connue sous le nom de Merkavah (le « char » divin). Ce sont des portions du Tanakh qui entrent dans le domaine de la partie ésotérique et « céleste » de la Torah, appelées « Kabbale » dans la langue vernaculaire juive. Tous les termes physiques qui s’y trouvent doivent être dépouillés de leur sens simple, car ils décrivent quelque chose qui est seulement analogue à leur description physique.

Après qu’il ait assisté au service divin des anges célestes, un ange séraphique apporte une « braise » aux lèvres d’Isaïe et fait expiation à son péché (voir ci-dessous). La voix de D.ieu est entendue et, comme s’Il parlait aux anges, Il se demande qui pourrait aller comme messager à Son peuple en bas qui s’est égaré. Isaïe répond à l’appel, tout en réalisant pleinement les conséquences d’une telle position.

D.ieu dit à Isaïe comment le cœur du peuple était devenu « gras », leurs oreilles « lourdes » et leurs yeux « scellés ». Si seulement ils étaient plus sensibles, ils reviendraient à D.ieu et n’auraient pas à supporter les ennuis qui se profilent à l’horizon. Malheureusement, le peuple ne se réveillera pas avant l’avènement de la destruction. Pourtant, il serait assimilé à « un térébinthe et un chêne » à l’automne : même s’ils perdent leurs feuilles et leur beauté, il y a encore de la vitalité dans le tronc. De même, bien que le peuple juif essuie une immense perte, il n’en subsistera pas moins pour toujours.

Lèvres impures

Comme Isaïe voit et entend la scène céleste impressionnante, il exprime un profond sentiment d’inadéquation : « Malheur à moi, car je mourrai, car je suis un homme aux lèvres impures, et je demeure parmi un peuple aux lèvres impures. » Isaïe a estimé qu’il était « impur » par rapport aux anges d’en-haut. Comparant sa parole aux énoncés dont il avait été témoin, il considérait ses lèvres comme « impures ».

Isaïe invoqua également son environnement dans ce sentiment : « Et je demeure au milieu d’un peuple aux lèvres impures. » Cela pouvait être vrai, voire plus vrai encore que « l’impureté » d’Isaïe lui-même, mais D.ieu contesta néanmoins cette dernière partie de la déclaration.

D.ieu dit à Isaïe : « Car ce que tu as dit : “Je suis un homme aux lèvres impures”, cela t’est pardonné, car tu es responsable de toi-même. Mais es-tu responsable de Mes enfants, pour que tu dises : “et je demeure au milieu d’un peuple aux lèvres impures ?” »3

Le verset suivant indique en effet comment un ange descendit avec une « braise » de l’autel céleste avec laquelle il toucha les lèvres d’Isaïe. La braise qui brûla Isaïe servit d’expiation pour son péché d’avoir parlé contre ses frères juifs.

Le Midrash affirme4 : « C’est de là que nous voyons que celui qui est nommé à une position d’autorité sur Israël doit être prudent avec eux. » Outre le cas d’Isaïe, le Midrash apporte deux autres cas où l’un de nos grands fut réprimandé pour avoir mal parlé du peuple juif. Le premier était Moïse. Comme le raconte la Torah, il se tint sur le rocher et, avant de le frapper, proclama : « Écoutez à présente, rebelles. »5 Le résultat fut que Moïse perdit la possibilité d’entrer en Terre Promise.

L’autre occasion mentionnée est d’Élie. Élie était poursuivi par Jézabel, la méchante épouse du roi juif Achab. D.ieu vint à lui alors qu’il fuyait et lui demanda : « Que fais-tu ici, Élie ? » Dans son angoisse, Élie répondit : « J’ai été zélé pour D.ieu, le Seigneur des Armées, car les enfants d’Israël ont abandonné Ton alliance ». Quelques versets plus tard, il est chargé d’oindre Elisha comme prophète après lui, lui faisant savoir que ses jours dans ce monde étaient comptés.

En retournant à Isaïe, le Midrash note que les versets font plus tard allusion au fait qu’Isaïe avait fait un revirement complet. Il s’enorgueillit d’avoir prononcé plus de prophéties de consolation que tout autre prophète. Non seulement cela, mais ses mots réconfortants prenaient souvent une double expression, soulignant ainsi leur pouvoir et leur profondeur.6

La « mort » d’Ouzia

La haftarah commence par une référence à la mort du roi Ouzia. Les commentaires montrent clairement que le texte n’évoque pas sa véritable mort, mais une expérience qui lui fut assimilée.

Au début, Ouzia lui-même et son royaume connurent la réussite. Ouzia était un grand, voire un saint. Il mena un mode de vie vertueux et, selon certains, atteignit même un niveau de prophétie. Le verset7 atteste que « lorsqu’il chercha D.ieu, le Seigneur le fit prospérer ». Il dirigea un certain nombre de campagnes militaires réussies, construisit des fortifications autour de Jérusalem et fit de nombreuses améliorations agricoles. Il réorganisa et arma l’armée de Judah de la manière la plus sophistiquée et la plus moderne. En conséquence, son royaume prospéra, et les nations environnantes le craignaient.

Malheureusement, le succès d’Ouzia lui monta à la tête. Dans son arrogance, il crut qu’il convenait que lui, en tant que roi, serve le « Roi des rois » dans le Temple. Or, le privilège de servir dans le Temple a été dévolu exclusivement aux kohanim, les descendants du grand prêtre Aaron, comme prescrit dans la Torah. Un célèbre précédent à cette sorte d’aspiration était l’histoire de Kora’h et de ses adeptes à l’époque de Moïse, qui n’étaient pas satisfaits des positions éminentes qu’ils étaient déjà les leurs, et voulurent aussi atteindre la position consacrée de la prêtrise. Dans une étrange similitude avec l’histoire de Kora’h, Ouziahou pénétra dans le Temple et commença à se préparer à offrir la ketoret (l’encens) devant D.ieu. C’était précisément le service qui avait causé la mort de Kora’h et de ses partisans des siècles auparavant.

Quand Ouzia entra dans le Temple, il fut suivi par Azariah, le grand prêtre, et quatre-vingts des plus importants kohanim. « Ils se tinrent auprès du roi Ouzia, et lui dirent : “Ce n’est pas à toi, Ouzia, de brûler de l’encens à l’Éternel, mais aux prêtres, fils d’Aaron, qui sont consacrés pour brûler [l’encens]. Quitte le sanctuaire, car tu as péché, et il n’y aura pas de gloire pour toi de la part du Seigneur D.ieu. »8 Ouzia devint furieux. Il leva l’encensoir dans la main pour frapper le kohen qui avait osé réprimander le roi. À ce moment même, la tsaraat, la célèbre affection de la peau, éclata sur le front d’Ouzia. Il fut rapidement exfiltré du Temple, car un métsora (une personne frappée de tsaraat) ne pouvait pas se trouver dans l’enceinte du mont du Temple, ni même n’importe où à Jérusalem. Ouzia ne revint jamais au Temple ni à son trône. Honteux, il quitta sa position et passa le reste de ses jours à l’écart de la vie publique.

La Torah compare un métsora à un mort. Nous trouvons cela dans l’épisode où Miriam, la sœur de Moïse, fut frappée de tsaraat, et pour laquelle Aaron implora Moïse : « Qu’elle ne soit pas comme un cadavre ! »9 Rachi explique que la gravité de la toumah (l’impureté halakhique) d’un métsora est semblable à celle d’un cadavre : si l’un d’eux pénètre ou est amené dans un bâtiment, tout ce qui se trouve sous le même toit que lui devient tamé (impur).

Ainsi, lorsque le verset évoque la « mort » d’Ouzia, il fait référence à cet incident.