Vue d’ensemble
Pendant une période d’environ quatre cents ans après qu’ils furent entrés dans la terre d’Israël, les Juifs n’eurent pas roi, ni même un État uni. L’Écriture décrit cette époque selon une formule fixe : lorsque les Juifs suivaient les voies de la Torah, il y avait la paix et la prospérité ; quand ce n’était pas le cas, des problèmes surgissaient rapidement. Quand les ennuis venaient et que les Juifs priaient pour le salut, D.ieu désignait un individu qui conduisait le peuple juif dans la guerre contre ses ennemis. Ces personnes étaient les Choftim (« juges »), parmi lesquels il y eut Deborah.
Les versets antérieurs à cette haftarah décrivent juste une époque : « Les enfants d’Israël continuèrent à faire ce qui était mauvais aux yeux de D.ieu... D.ieu les livra entre les mains de Jabin, roi de Canaan, qui régnait à ‘Hatsor ; le chef de son armée était Sissera... Les enfants d’Israël crièrent à D.ieu, car [Jabin] avait neuf cents chars de fer, et il opprima durement les enfants d’Israël pendant vingt ans. »
Deborah fait son entrée. Elle nous est présentée comme étant une prophétesse et un juge du peuple. Elle fit appeler Barak ben Abinoam et lui dit au nom de D.ieu qu’il devait rassembler une armée parmi les tribus de Nephthali et de Zabulon pour combattre les armées de Sissera. Ces tribus furent choisies de par leurs actes méritoires dans le passé : Naphtali avait servi Jacob et lui avait fait plaisir, et Zabulon avait facilité l’apprentissage de la Torah de son frère Issakhar.1
Barak accepta d’y aller seulement si Deborah l’accompagnait. Il croyait fermement que sa victoire viendrait seulement en son mérite. Deborah accepta, mais elle lui fit comprendre qu’il ne serait pas le héros de la victoire au final ; ce serait une femme entre les mains de qui D.ieu allait délivrer Sissera. Deborah faisait prophétiquement référence à Yaël, comme le dit plus loin la haftarah.
En apprenant que les Juifs se préparaient à la guerre, Sissera mobilisa toute son armée en vue de la bataille. Au commandement de Deborah, l’armée juive de dix mille hommes déferla du mont Tabor. D.ieu sema la confusion dans l’armée de Sissera de sorte que ses soldats commencèrent à se battre les uns contre les autres et prirent ensuite la fuite. Sissera lui-même descendit de son char et s’enfuit à pied vers la tente de ‘Hever (Heber) et de Yaël (Jaël) les Kénéens. ‘Hever était de la famille de Jethro (ici appelé ‘Hovav, l’un des sept noms par lesquels il est appelé dans la Torah), le beau-père de Moïse. ‘Hever était amical avec, Jabin, le roi de Sissera, et celui-ci espérait que ‘Hever l’épargnerait jusqu’à ce qu’il puisse s’échapper sans être remarqué. Yaël, la femme de ‘Hever, le salua et l’introduisit dans sa tente. Il avait soif et demanda de l’eau, mais au lieu de cela elle lui donna du lait, ce qui eut pour effet de le plonger dans un profond sommeil. Yaël prit alors un pieu de la tente d’une main et un marteau de l’autre et elle planta le pieu dans le crâne de Sissera, le tuant instantanément. Pendant ce temps, Barak était à la poursuite de Sissera et passa devant la tente de Yaël. Yaël sortit et lui montra que l’homme qu’il cherchait était mort. Suite à cet événement, les forces juives connurent de nombreux succès militaires, jusqu’à ce qu’elles aient complètement détruit le reste de l’armée de Jabin et tout son royaume.
La deuxième partie de la haftarah est le « Cantique de Deborah ». C’est l’un des « dix cantiques » sacrés de l’histoire juive, parmi lesquels on trouve le cantique qui suivit l’ouverture de la mer (dans la paracha de cette semaine), celui au puits de Myriam, et le cantique de Haazinou que dit Moïse. Le dixième cantique sera chanté quand Machia’h viendra. Les vers du Cantique de Deborah sont exprimés dans un langage élevé et poétique.
Le cantique commence par la louange de D.ieu. Bien qu’au moment de l’exode d’Égypte et du don de la Torah les nations aient ressenti une grande frayeur devant Israël et son D.ieu, cela n’avait plus été le cas depuis un certain temps. Dans les années précédant la bataille, les gens avaient peur de voyager sur les routes et avaient quitté les villages pour les villes fortifiées, craignant le harcèlement de l’ennemi. Cela n’était pas apparu du néant, c’était le résultat de l’état spirituel dégradé des Juifs.
Maintenant, tout cela avait changé. Désormais les fonctionnaires, les marchands et même les aristocrates (« chevauchant des ânes blancs ») pouvaient vaquer à leurs affaires sans crainte. Une tactique de l’ennemi était d’envoyer des volées de flèches sur les zones autour des sources d’eau pour tourmenter les personnes en proie à la soif. Au lieu du bruit des flèches, ce serait de ces mêmes lieux que la louange de D.ieu jaillirait.
Déborah évoque les enseignants de la Torah qui s’étaient portés volontaires pour aller à la guerre. Elle chante les éloges des individus et des tribus qui se joignirent à l’armée, et se moque de ceux qui restèrent de côté, qui s’enfuirent, ou – pire – qui attendirent pour voir qui serait victorieux et prendre parti pour lui. Plus loin, elle maudit aussi avec véhémence Méroz, une ville (certains disent un individu particulièrement puissant) qui ne sortit pas pour se battre, bien qu’elle fût située sur la ligne du front.
Sissera avait des alliés qui vinrent l’aider, et cela gratuitement ; mais D.ieu avait aussi ses « bataillons » prêts à vaincre Sissera. Le verset fait allusion au récit de la guerre dans le Talmud2 : au moment de la bataille, D.ieu suscita une grande chaleur pour affecter l’armée de Sissera. Les soldats qui portaient une armure métallique eurent si chaud qu’ils allèrent se rafraîchir dans le ruisseau Kishon. D.ieu suscita une crue du Kishon, ce qui noya les soldats.
Deborah termine en louant les actions courageuses de Yaël. Elle décrit le sanglot de la mère de Sissera, et le vain réconfort que lui offrirent ses amies en décrivant le riche butin et les servantes juives que Sissera était occupé à ramener, suggérant que c’était la raison pour laquelle il tardait à rentrer. « Que tous Tes ennemis soient ainsi défaits, ô D.ieu ! » termine Deborah.
Une femme de feu
En identifiant Deborah, le verset l’appelle Eshet Lapidot, qui se traduit littéralement par « l’épouse de Lapidot ». Selon une source Midrashique, Lapidot était bien son mari. Il était également connu sous un autre nom, Barak ben Abinoam, l’un des héros de cette histoire. Le nom Lapidot dérive de la racine lapid, qui signifie une flamme ardente.
« Nos sages ont dit : le mari de Deborah n’était pas un homme savant. Sa femme lui dit : “Viens, fais des mèches pour le sanctuaire de Shiloh ; de cette façon, ton sort sera parmi les hommes justes, et tu mériteras le monde à venir.”3 Barak suivit le conseil de Deborah et adopta cette mitsva. Il fit de belles et épaisses mèches pour le Sanctuaire. C’est ce qui lui valut le nom de Lapidot.
La plupart des commentaires ont une compréhension différente. Eshet Lapidot ne doit pas être traduit comme « la femme de Lapidot », mais plutôt comme « une femme de lapidot », une expression décrivant Deborah elle-même. Le Talmud4 dit que c’est elle qui confectionnait les mèches pour le Sanctuaire à Shiloh. Le Metsoudat David et Abarbanel considèrent cela comme une description du genre de femme qu’elle était : « Une femme de force et de dévouement, que les gens comparaient à une flamme de feu. »
Le palmier de Deborah
Le début de la haftarah nous dit que Deborah s’asseyait et jugeait les gens sous « le palmier de Deborah ». Quelle était le sens de cela, et pourquoi l’Écriture le souligne-t-elle ?
Abarbanel explique que c’était le nom donné à l’endroit où l’homonyme de Deborah avait été enterrée. Dans le livre de la Genèse,5 nous lisons que Deborah était la nourrice de notre matriarche Rebecca. Elle avait été envoyée par Rebecca pour ramener Jacob de la maison de son beau-père, Laban, et elle était décédée en accompagnant Jacob sur le chemin du retour. Jacob l’enterra « au-dessous de Beth-el ». L’endroit où Deborah la prophétesse avait établi son quartier général était en effet « entre Ramah et Beth-el », c’est-à-dire dans la zone même où la première Deborah avait été enterrée.
Rachi (parmi d’autres commentaires) choisit d’adopter l’explication du Targoum.6 Pour le Targoum, le fait que Deborah fut « assise » sous un arbre se réfère aux nombreuses sources de subsistance qui étaient les siennes et qui lui permettait de consacrer sa vie à son peuple : « Sa subsistance provenait de ses propres biens : elle avait des palmiers à Jéricho, des vignes à Ramah, des oliveraies dans la vallée luxuriante de Beth-el et des champs de terre blanche (pour la poterie)7 sur la montagne d’Éphraïm. »
Le Talmud,8 cependant, comprend le verset plus littéralement : Deborah était assise sous un palmier qui en vint à porter son nom. La raison pour laquelle l’Écriture rapporte ceci est de souligner comment Deborah évitait le problème du yi’houd, l’isolement interdit d’un homme et d’une femme en dehors du mariage. En tant que juge, les querelles qu’elle jugeait étaient généralement entre des hommes. Être assise dans sa maison, ou sous un arbre avec beaucoup de feuillage, l’aurait empêchée d’être en présence d’un autre homme. Elle choisit donc de se placer sous un palmier, un arbre entièrement ouvert sur son tronc, pour éviter cette situation.
(Le commentaire ‘Homat Anash9 soulève une difficulté dans cette explication. La halakha est que l’interdiction de yi’houd n’est pas aussi catégorique lorsque deux hommes sont isolés avec une femme,10 parce que chacun des hommes peut servir de « garde » pour veiller à ce que rien d’inconvenant ne se passe entre la femme et l’autre homme. Puisque Deborah menait des procès qui impliquaient toujours deux personnes, comment le Talmud pourrait-il affirmer qu’il y avait un problème de yi’houd ?
Il répond à cela en se basant sur une michna de Pirkei Avot (Éthique des Pères) : « Quand les plaidants se tiennent devant vous, considérez-les tous deux comme méchants. »11 Le sens de ceci est qu’un juge ne doit pas considérer favorablement l’un ou l’autre des plaidants, de peur qu’il n’éprouve une difficulté à le déclarer coupable si tel est le cas.12 La loi est que si les hommes isolés avec la femme sont peu scrupuleux, alors deux – voire dix – hommes ne suffisent pas, et l’isolement avec eux est interdit. Ceci explique pourquoi Deborah devait se prémunir contre une situation de yi’houd dans tous les cas.)
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