Jadis, le temps était rond. Et puis un jour, nous l’avons redressé et étiré, nous lui avons collé une pointe de flèche à son extrémité et nous nous sommes mis à surfer dessus. Cependant, n’importe quel élève de collège sait que pour aplatir un cercle, il faut produire un calcul infini du nombre irrationnel pi. Il en ressort que, lorsque l’on aplatit un cercle, quelque chose d’infini apparaît.

Laissez-moi vous raconter ce qui s’est passé. Voyez-vous, nos ancêtres comptaient leurs jours en commençant par l’automne. Pourquoi l’automne ? Parce que, disaient-ils, c’est à ce moment que le cycle de la nature a commencé. D.ieu a mis le monde en rotation le premier jour du mois d’automne de Tichri et il continue depuis lors de tournoyer selon son cycle annuel.

Puis vint l’Exode et avec lui un nouveau départ. C’est quand D.ieu dit à Moïse : « Moïse, J’ai une mitsva pour toi. La toute première mitsva que Je vais commander aux Enfants d’Israël. À partir d’aujourd’hui, vous commencerez l’année en ce mois du printemps, le mois dans lequel Je vais vous libérer d’Égypte. »

Dès lors, si le premier jour de Tichri demeura la tête de tous les jours de l’année, Nissan, au printemps, devint la tête de tous les mois de l’année.

Cela paraît simple. Mais il y eut une légère complication :

« Et puis, Moïse, tu devras aligner ton calendrier sur les phases de la lune. La réapparition de la nouvelle lune dans le ciel marquera le début de chaque mois. »

Le problème est que les années lunaires ne correspondent pas aux années solaires. Elles ont vis-à-vis d’elles un déficit de onze jours et quelques. Pourtant, D.ieu ne fournit aucune indication supplémentaire.

« Le choix de mesurer les années d’après le cycle de la lune plutôt que celui du soleil, écrivait Rabbi Avraham Ibn Ezra au 12ème siècle, ne touche pas seulement au choix d’un cycle différent. Les musulmans suivent aussi un cycle lunaire, de sorte que 34 années lunaires s’effectuent en 33 années solaires. Mais il nous a été également prescrit de veiller à ce que le premier mois, dans lequel tombe Pessa’h, demeure toujours au printemps. Dès lors, il ne s’agit pas pour nous seulement de suivre un cycle. Nous devons le déterminer. »1

Dès lors, il ne s’agit pas pour nous seulement de suivre un cycle. Nous devons le déterminer

En d’autres termes, d’après Rabbi Ibn Ezra, si Moïse avait demandé à D.ieu comment exactement nous devons résoudre cette énigme, D.ieu aurait répondu : « Là est justement Mon intention : Je m’en remets à vous. »

Alors nous avons décidé qu’une fois de temps en temps nous ajouterions un mois à l’année, pour repousser Pessa’h vers sa place, au printemps. Que signifie ce « de temps en temps » ? C’est quand nous – c’est-à-dire la Cour Suprême juive qui représente le peuple – le déterminons.2

« La cour céleste tout entière se présente devant le Saint béni soit-Il, et demande “Quand tombe Roch ‘Hodech ? Quand tombe Yom Kippour ?” Et Il leur répond : “Pourquoi vous adressez-vous à Moi, alors que j’ai mis cela entre les mains des Enfants d’Israël. Rendons-nous ensemble au tribunal terrestre et voyons ce qu’ils ont tranché.”3

Si cela vous semble trivial, considérez le contexte : Vous êtes en Égypte Ancienne. Et comme tout le monde le faisait dans ce monde-là, vous levez vos yeux vers les étoiles et ce sont elles qui dictent votre destin. Les cycles de la nature, la crue du Nil, la pousse de vos cultures, la fécondité de votre ventre, tout est déterminé par les mouvements prédictibles des constellations. Ainsi en allait-il en Égypte, ainsi était-ce dans la civilisation de Summer de laquelle provenait notre père Abraham, ainsi était-ce pour les sages de l’Inde, pour ceux du Tao, du I Ching, et de tout système de sagesse antérieur à la Torah. Chaque homme est né dans sa caste, son statut et son sort dans la vie sont scellés par le karma/matta/cosmos depuis l’aube des temps. Les dieux eux-mêmes sont soumis à ce grand cycle de l’existence dans la pyramide du temps. La Grande Roue de la Vie tourne et tourne, indifférente aux efforts de l’homme ou à ses aspirations, déclamant : « ... la vie de l’homme est un cycle de l’enfance à l’enfance et il en est de même pour toute chose dans laquelle s’imprime un mouvement. »4 « Tout ce qui fut sera, et tout ce qui sera a déjà été, car il n’est rien de nouveau sous le soleil. »5 Et dans ce cas, « ...quel bénéfice peut-il y avoir à tous les efforts de l’homme ? »6

Le Cycle du Temps n’a plus d’emprise sur nous. Maintenant nous sommes libres.

Mais désormais, bam ! : hors du cercle et dans le siège du pilote. Le Cycle du Temps n’a plus d’emprise sur nous. Maintenant nous sommes libres. Maintenant, c’est nous qui allons déterminer le Temps.

C’est là notre première mitsva. La proto-mitsva de toutes les autres. Non pas le commandement d’obéir comme des robots, mais de prendre en charge notre propre monde. Un commandement qui libère et qui investit de pouvoir. Un commandement pour briser les chaines du sort et prendre le Destin lui-même entre nos mains.

Ce qui éclaire une nuance fascinante de la langue hébraïque que beaucoup ne remarquent pas : une année se dit en hébreu chana. Un mois est un ‘hodech. Chana désigne quelque chose qui se répète indéfiniment, un cycle. ‘Hodech signifie « nouveau ». Le soleil passe et repasse sans fin, mais la lune se renouvelle.

Voilà deux descriptions du temps diamétralement opposées : Chana est le temps en tant que cycle, la prison décrite plus haut. Mais le temps peut également être décrit comme ‘Hodech, comme nouveauté, comme réel changement. Un temps dans lequel nous allons quelque part, où le futur réserve quelque chose dont le passé était dépourvu. Un temps dans lequel la vie a un sens et une finalité. Le temps dans le sens de ce mot tellement puissant qui a érigé la société moderne en une anomalie de l’histoire : le Temps comme Progrès.

C’est à ce moment que la vie humaine prit tout son sens et qu’Il nous dit : « Prenez votre destin en mains. »

Lorsque Celui qui transcende tout temps et tout espace nous a arrachés aux entraves de la servitude égyptienne, jetant à bas sa pyramide des castes sociales et faisant voler en éclats son concept de déterminisme naturaliste, ce fut le moment où la liberté fit son entrée dans le monde pour la première fois. Quand aujourd’hui des êtres humains luttent quelque part pour un monde meilleur, leur histoire début avec cet Exode. Pas seulement parce que des esclaves furent alors libérés. Pas seulement parce qu’un simple serf put appeler à l’aide le Maître de l’Univers, comme s’il s’agissait de son propre père, et que les lois de la nature furent brisées pour lui. Mais parce que l’humanité fut élevée en dehors et au-delà du cercle, détachée de la meule tyrannique des dieux de la Nature, du Temps et du Sort. C’est à ce moment que la vie humaine prit tout son sens et qu’Il nous dit : « Prenez votre destin en mains. Allez de l’avant. Si ce n’est pas un monde dans lequel vous pouvez faire régner la paix, changez-le, faites-le devenir ainsi. Si vous rencontrez de la souffrance, supprimez-la. Si votre karma sent mauvais, dépassez-le. Ne soyez jamais satisfaits. Ne soyez pas les prisonniers du sort, mais ses maîtres. »

« Ce monde est celui des fiançailles, mais le monde futur sera un mariage. Dans ce monde, Il nous a donné la lune. Dans le monde futur, Il nous donnera le soleil, les étoiles et tous les cycles de la nature. »7

Nous avons reçu une Torah avec une boite d’outils pour diriger le monde, pour le mener vers son destin, pour révéler l’intention profonde pour laquelle il fut originellement créé. Jusqu’à ce que, en fin de compte, la liberté pénétrera le monde entier, et le cercle sera révélé dans sa véritable nature : l’infinité dissimulée.