La force et la fermeté sont des traits de caractère qui suscitent une réponse mitigée. Tout le monde admire la force d’âme et respecte celui qui a le courage de persévérer dans ses convictions malgré les épreuves. Mais une personne forte peut également être perçue comme rigide et insensible, s’entêtant dans ses façons de voir et s’avérant incapable de faire des compromis par respect d’autrui. Souhaitant nous prémunir contre cette tendance, nos Sages commentent : « On doit être toujours souple comme le roseau et non rigide comme le cèdre. »1
Bien que l’image de la force personnelle véhiculée par la société fasse parfois l’amalgame entre ces deux types de fermetés, il convient d’être lucide et de ne pas se laisser confondre : la dureté de l’insensibilité reflète une inaptitude à répondre aux signaux de la vie, alors que la force intérieure positive permet une réponse active à ces demandes déterminée non pas par les pressions de l’entourage, mais par la profondeur des convictions.
Flexibilité ou fermeté absolue
Ces concepts sont exprimés dans le nom de la paracha de cette semaine : Matot. La forme singulière du mot, mateh, signifie littéralement « bâton ». Ce terme est également utilisé pour désigner les tribus du peuple juif, au nom du bâton de commandement que portait chaque chef de tribu.2 Pour des raisons similaires, le mot chévèt, signifiant littéralement « tige » est également utilisé pour synonyme de « tribu ».
Quelle différence entre ces deux termes ? Une tige est souple, flexible alors qu’un bâton est ferme et ne plie pas. Car une tige est fraîchement cueillie ou toujours rattachée à l’arbre sur lequel elle a grandi et est donc ployable. Un bâton, en revanche, a depuis longtemps été détaché de l’arbre et est devenu sec et dur.
Ces deux termes sont des analogies des différents niveaux du potentiel de notre âme.3 « Tige » fait référence à l’âme telle qu’elle existe dans les sphères spirituelles où sa connexion avec le Divin est tangible. Elle se sent liée à la nourriture vitale et spirituelle qu’elle reçoit. « Bâton » désigne l’âme comme elle existe dans notre monde matériel, revêtue d’un corps physique. Sur le plan de sa conscience, elle a été coupée de sa source spirituelle et son lien avec le Divin n’est plus ressenti.
Dans cette dernière perspective, tant la force positive que la force négative sont possibles. Il existe une tendance à l’insensibilité spirituelle, une indifférence sèche vis-à-vis de la Divinité investie dans la création. D’un autre côté, c’est dans notre monde matériel que peut se révéler la pouvoir de la détermination humaine. Car observer la Torah et ses mitsvot malgré les difficultés de notre environnement requiert une détermination inébranlable qui découle de la conscience profonde de la vérité de sa mission ici-bas.
Bien plus encore, quand une personne s’engage de la sorte, elle se voit accorder plus de force que celle qu’elle n’en possède personnellement ; l’essence de la force de son âme se révèle à travers ses efforts. Cela manifeste une source spirituelle plus profonde que le niveau de l’âme révélée dans les mondes spirituels. Car, dans les royaumes spirituels, les forces de perception de l’âme sont de première importance. L’essence, le cœur même de l’âme, en revanche, transcende toute perception, car elle est « véritablement une parcelle de D.ieu »,4 un potentiel spirituel que même les limites les plus ténues de l’existence spirituelle ne peuvent contenir. C’est ce potentiel essentiel qui est pour l’âme revêtue dans le corps une source de grande puissance lui permettant de persévérer dans son service divin.5
Ceci exprime la qualité unique de notre monde d’être le « jardin »6 où poussent les « arbres » desquels proviennent ces « bâtons ». Bien que l’existence matérielle fasse que l’âme se sente séparée de sa source, ce défi suscite l’expression de notre potentiel spirituel le plus profond. Cela même nous donne la force d’un roi, c’est-à-dire la capacité de maîtriser notre environnement et de le façonner selon les désirs de la Torah.
L’expression de la force
Le concept de force est également exprimé dans la paracha de Matot qui débute par les lois des vœux. Ici s’exprimer la puissance que tout Juif possède. Chaque membre de notre peuple, même un jeune qui n’a pas encore atteint l’âge de bar mitsva, a la capacité d’investir de sainteté les entités de notre monde matériel, leur conférant la sainteté des sacrifices qui étaient offerts dans le Temple.
Et ces lois ne concernent pas seulement l’époque du Temple, mais elles s’appliquent aussi dans notre exil actuel.
La paracha poursuit en décrivant la guerre contre Midian qui, comme l’explique la ‘Hassidout, symbolise nos efforts pour réduire à néant les forces de la querelle et de la discorde. En disséminant un amour illimité, nous avons la force d’effacer ces traits de caractère,7 tout comme la guerre contre Midian entraîna la disparition de cette nation.
Un message double
La paracha Matot est souvent lue conjointement avec la paracha Massei. « Massei » signifie « voyages » : la Torah y décrit les voyages du peuple juif à travers le désert qui sont une métaphore du voyage des âmes depuis le royaume spirituel jusqu’à notre monde matériel.
Plus spécifiquement, les deux dimensions de cette descente que reflète la dureté d’un mateh sont également apparentes dans la paracha Massei :
La dimension négative, celle de l’absence d’une relation consciente avec son essence divine, est exprimée dans le nom « voyages », car la descente de l’âme dans ce monde matériel est véritablement radicale.
La dimension positive de la puissante manifestation de l’essence de l’âme est également exprimée par le nom Massei, car c’est à travers cette descente dans le monde matériel que l’âme acquiert le potentiel d’une ascension d’une ampleur sans précédent. Car le lien entre l’essence de l’âme et l’essence de D.ieu qui s’opère dans ce monde hisse l’âme à un niveau bien plus élevé que celui qu’elle connaissait auparavant.
De plus, lorsque la paracha Matot est lue conjointement avec la paracha Massei, le Chabbat est alors appelé Chabbat ‘Hazak, « le Chabbat du renforcement », de par la coutume8 de proclamer « ‘Hazak, ‘hazak, venit’hazèk » (« Sois fort, sois fort et que nous soyons renforcés »), à la fin de la lecture de la Torah, en référence à la conclusion du Livre des Nombres. Cela associe à la force de la paracha Matot celle qu’obtient le peuple juif par l’achèvement de l’un des livres du ‘Houmach.
La force en exil, la force ultime lors de la Rédemption
La paracha Matot est toujours lue durant la période de Beïn Hamétsarim, les Trois Semaines entre le jeûne du 17 Tamouz et celui de Tichea BeAv (le 9 Av), associée à la destruction de Jérusalem et du Temple. Cela rappelle les caractéristiques négatives de la rigidité du bâton, la rupture du lien avec la source de vitalité.9
Cependant, cette période est également liée à l’espoir de Rédemption de notre peuple.10 De fait, le Tichea BeAv, l’anniversaire de la destruction du Temple est décrit comme étant « l’anniversaire de la naissance de Machia’h »,11 un jour qui donne une impulsion nouvelle pour la venue de la Rédemption. Il y a là également un lien avec la qualité positive de fermeté d’un bâton, parce que : a) à l’Ère de la Rédemption, notre peuple récoltera les fruits de sa ferme détermination à accomplir la volonté de D.ieu malgré les difficultés de l’exil et b) c’est à l’Ère de la Rédemption que l’essence de D.ieu, l’ultime source de force, deviendra manifeste dans notre monde, Sa résidence.
Adapté de
Likoutei Si’hot, Vol. XVIII, p. 378ff; Vol. XXIII, p. 206ff;
Sefer HaSi’hot 5748, p. 554ff;
Sefer HaSi’hot 5751, p. 709ff;
Si’hot Shabbot Matot-Massei, 5742
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