– Ce genre d’appels n’est pas de mon domaine ! s’exclama le professeur Léon Zelman, secrétaire de la communauté juive de Vienne. Autant le transmettre à mon ami Rav Yaakov Biderman, l’émissaire du Rabbi de Loubavitch. Qu’il s’en occupe !
Effectivement cet appel sortait de l’ordinaire. A l’autre bout du fil se trouvait un homme plus qu’important. La voix chevrotante, il se présenta : « Hans D. »
– Hans D. ! s’étonna Rav Biderman. C’est l’éditeur du « Kronen », le quotidien le plus lu du pays, qui se targue d’être lu par trois millions de gens alors que le pays ne compte que sept millions d’habitants. On chuchote qu’il est le personnage le plus important du pays. Que veut-il ?
– Monsieur le rabbin ! Je sollicite auprès de vous un rendez-vous. C’est un problème qui pèse sur ma conscience. Quand puis-je vous voir ? Le lendemain matin, le puissant Hans D. – celui que certains surnommaient l’Empereur d’Autriche – entrait respectueusement dans le modeste bureau de Rav Biderman dans la synagogue.
– Comme vous le savez, l’un de mes éditorialistes a récemment publié des articles d’un ton frôlant l’antisémitisme. J’aurais dû le censurer mais je n’y ai pas prêté suffisamment attention et je les ai laissés passer. Maintenant je me rends compte de la gravité de ce manque de vigilance et je cherche à me faire pardonner. Que me conseillez-vous ?
Abasourdi par l’énormité de ce qu’il venait d’entendre, Rav Biderman pensa d’abord suggérer à son interlocuteur de demander l’aide d’un représentant de sa religion. Mais l’homme insistait : il désirait un conseil d’un rabbin.
« Je n’étais vraiment pas préparé à ce genre de requête, » se souvient Rav Biderman. « Soudain j’ai eu une idée. Depuis quelque temps, notre mouvement était confronté à un gros problème et le puissant M. Hans D. pouvait peut-être trouver une solution. »
Quelques temps auparavant, un employé municipal avait découvert qu’une vaste partie du Parc Central Augarten avait abrité – avant la seconde Guerre Mondiale – un sanatorium pour enfants juifs. L’emplacement de cet hôpital était maintenant inclus dans cet immense jardin public. « Ne serait-il pas juste de rendre cet emplacement à sa fonction première ? » avait publiquement suggéré cet employé.
A l’époque, l’école Lauder-Chabad comptait quatre cents élèves dispersés dans plusieurs appartements et désespérait de disposer de locaux mieux adaptés. Cette parcelle de terrain située au centre de la ville, au centre du quartier juif – et, de surcroît, dans un grand jardin – aurait été un cadeau du ciel : on aurait pu y construire l’école, une synagogue et un centre communautaire ! De plus, c’était là la meilleure façon de rendre hommage aux enfants malades qui avaient été assassinés durant la Shoa.
Discrètement, Rav Biderman avait pris contact avec les autorités municipales. Quand des esprits malveillants avaient eu vent de cette entreprise, la presse s’était déchaînée. Les médias de toutes les sensibilités politiques s’étaient comme par hasard unis pour dénoncer « cette atteinte au besoin d’air pur, cette folie du béton qui gâcherait le poumon de la ville etc. » Des pétitions avaient circulé, des affiches étaient apposées sur les arbres implorant « la pitié pour nos amis les arbres ». De braves gens étaient incités à manifester…
Et maintenant cette requête étrange de M. Hans D. !…
Justement le matin même, Rav Biderman avait faxé une lettre qui devait être lue au Ohel, sur le tombeau du Rabbi de Loubavitch pour que la situation se débloque.
Soudain, toutes les pièces du puzzle se mettaient en place. C’était l’occasion rêvée pour M. Hans D. de se faire pardonner les éditoriaux incendiaires du « Kronen ». Si son journal mettait tout son poids derrière cette noble cause, permettant ainsi à des enfants juifs bien vivants d’étudier et d’évoluer dans un cadre adapté, l’injustice commise aussi bien par ses éditoriaux que par les bourreaux nazis un demi-siècle auparavant serait un peu réparée et la communauté juive pourrait se développer.
M. Hans D. écouta intensément.
Cette même semaine, le problème fit à nouveau la une des journaux. Mais cette fois-ci sur un tout autre ton. « Les enfants et les arbres font bon ménage et méritent de pousser ensemble ! » déclarait le « Kronen ». « Que les enfants jouent joyeusement dans le parc ! » conseillait un autre quotidien. Et des articles enthousiastes soutenaient l’idée d’installer l’école au centre du jardin. Des commentaires élogieux décrivaient l’école Loubavitch et ses excellents résultats. En même temps, le directeur de l’école et ses professeurs faisaient circuler une pétition en sa faveur.
Tous ces efforts provoquèrent un changement radical dans l’opinion publique : les stations de télévision, les radios et même les politiciens multipliaient les interviews et les prises de position en faveur du projet. Finalement le maire lui-même se déclara satisfait de cette initiative et la proposition fut acceptée à l’unanimité par la municipalité.
Et c’est ainsi qu’à l’emplacement de l’ancien sanatorium juif, des enfants en bonne santé évoluent dans un complexe scolaire de toute beauté, agrémenté d’un magnifique parc : comme une renaissance pour le judaïsme autrichien.
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