Yediot Aharonot – 5 mai 1957

Depuis quatre jours, le village de Kfar 'Habad s’était enveloppé de deuil. Une nuit, des « Fedayines » (on ne les appelait pas encore des terroristes) s’étaient introduits dans le village. Ils avaient pénétré dans la petite synagogue et avaient abattu de sang-froid avec leurs fusils cinq jeunes élèves et leur professeur, en avaient blessé dix autres, en pleine prière : leur sang avait giclé sur leurs livres encore ouverts.

Les habitants du village étaient tous horrifiés : à peine sortis d’Union Soviétique où ils avaient enduré toutes sortes de persécutions, ils étaient enfin arrivés sur la Terre promise mais y avaient subi l’impensable : un pogrome en Israël ! Un pogrome contre Loubavitch ! Les hommes à la barbe fournie, les femmes à la tête couverte, les enfants aux yeux écarquillés ne pouvaient s’arrêter de pleurer. Priant en hébreu, se lamentant en russe et en yiddish, tous se demandaient : et maintenant ?

Ces ‘Hassidim qui avaient survécu aux pogromes du Tsar Nicolas et que l’Armée Rouge n’avait pas intimidés, qui avaient été exilés en Sibérie dans les terrifiants « camps de rééducation » du Goulag, qui ne s’étaient pas inclinés devant le KGB, étaient maintenant paralysés, désespérés. Au cœur du nouvel Etat juif, ils avaient été frappés au plus profond d’eux-mêmes.

Rav Avraham Myers avait été officier dans l’Armée Rouge. On disait qu’il avait calmement chanté des mélodies ‘hassidiques tandis qu’une bande de soldats l’avait battu avec les crosses de leurs fusils.

Maintenant, il se lamentait : « Maître de l’univers ! Pourquoi ? Ces enfants n’ont rien fait de mal ! Ils étudiaient la Torah ! »

Le village tremblait sur ses fondations. Certains y voyaient un signe : leur rêve d’une vie sereine sur la Terre Sainte était-il prématuré ? Peut-être devaient-ils démanteler le village naissant, se disperser sous d’autres cieux, se réfugier dans des pays plus sûrs ? Le village se mourrait lentement.

Mais il était clair qu’avant toute décision, il fallait consulter le Rabbi. Rien ne pouvait être fait sans qu’il le sache, sans qu’il y consente. Tous attendaient le télégramme de là-bas, de New York. Mais, inexplicablement, le télégramme n’arrivait pas. Quatre jours s’étaient lentement écoulés depuis l’attaque terroriste. Pourtant, un long télégramme avait été envoyé au Rabbi, l’informant en détail de la tragédie et on avait espéré une réponse le soir même. Mais le Rabbi gardait le silence. Que se passait-il ? Pas un mot de réconfort pour les ‘Hassidim en deuil ?

Il faut savoir qu’un télégramme du Rabbi est partie intégrante de la vie Loubavitch. Chaque problème, chaque décision, que ce soit la vie publique ou privée, dépend du Rabbi et, quelle que soit la réponse, elle est exécutée. La réponse vient par courrier, par express ou par télégramme, selon l’urgence mais elle est toujours courte et précise.

Alors pourquoi le Rabbi tardait-il ? Les anciens du village n’avaient pas d’explication et leur angoisse devenait palpable.

Finalement, au bout de quatre jours, le télégramme arriva ! La nouvelle se répandit dans tout le village. Un télégramme du Rabbi ! Enfin ! Tous, hommes, femmes et enfants se rassemblèrent pour écouter la réponse du Rabbi.

Elle était remarquablement succincte. Trois mots en hébreu mais ces trois mots allaient sauver le village de la désintégration et ses habitants du désespoir, « Behémchèkh Habinyane Tina’hémou » : en continuant la construction, vous trouverez la consolation ! »

Les ‘Hassidim de Kfar ‘Habad envisageaient à nouveau l’avenir. Ils savaient ce qu’ils devaient faire.

Construire ! Le Rabbi avait dit de construire ! Et en continuant de construire, ils seraient consolés ! Ce même soir, les anciens du village se réunirent pour discuter comment mettre en application la directive du Rabbi. Après une courte discussion, la décision fut prise : on construirait une école professionnelle dans laquelle les enfants de familles défavorisées apprendraient l’imprimerie, à l’endroit même où les livres de prières avaient été éclaboussés du sang des victimes !

Dès le lendemain, tous les habitants du village se rassemblèrent et se mirent à dégager un endroit sur lequel s’élèverait le nouveau bâtiment. Leurs yeux brillaient à nouveau.

Dans les semaines qui suivirent, les lettres arrivèrent de la part d’amis et de cousins vivant à New York. Ils décrivaient ce qui s’était passé durant ces quatre jours interminables.

Pendant le mois de Nissan, le mois de la délivrance, le Rabbi se consacrait à son service de D.ieu, réduisant son contact avec les ‘Hassidim. Peu de personnes étaient reçues en audience privée, peu de lettres recevaient une réponse.

A la fin du mois de Nissan, le Rabbi tenait un Farbrenguen, une réunion ‘hassidique au 770 Eastern Parkway à Brooklyn. Le Rabbi parlait durant des heures, s’interrompant pour laisser les ‘Hassidim chanter. Cette année, aussi, le Rabbi avait parlé.

Les nouvelles de la Terre Sainte n’étant parvenues que quelques minutes avant le Farbrenguen, les secrétaires du Rabbi avaient décidé de ne l’en informer qu’après la réunion. Mais ce que ses secrétaires tentaient de cacher, son cœur l’avait révélé. Cette nuit-là, le Rabbi parla du dévouement de chaque Juif, du martyrologue Al Kiddouch Hachem, pour la sanctification du Nom de D.ieu, de la reconstruction de la Terre Sainte et de la Délivrance. Les larmes coulaient de ses yeux. Toute la nuit, le Rabbi parla et pleura, chanta et pleura et pleura encore.

A la fin du Farbrenguen, les ‘Hassidim rentrèrent chez eux. Le Rabbi se retira dans son bureau. Le cœur battant, deux des ‘Hassidim les plus proches frappèrent à la porte et tendirent au Rabbi le télégramme en provenance d’Israël. Le Rabbi s’effondra dans son fauteuil. Il referma la porte et ne l’ouvrit pas durant trois jours. Puis il appela son secrétaire et dicta la réponse.

Les ‘Hassidim de Kfar ‘Habad ont accompli ce que le Rabbi avait encouragé. Sans l’aide de philanthrope ou de fondations, ils ont amassé 50.000 livres israéliennes et aujourd’hui, juste un an après la tragédie, le nouveau bâtiment de l’école professionnelle est achevé.