Au niveau de Rabbi Israël Baal Chem Tov, l'Histoire et l'histoire se confondent. Chacun de ses actes, chacun de ses pas a été, à travers le temps, source d'émerveillement et d'enseignement pour le monde juif.
Son action marque une nouvelle ère dans l'histoire de la diffusion de l'ésotérisme juif. Avec lui, le mouvement secret des justes cachés prend une dimension universelle et, bien qu'il n'en soit pas l'héritier direct, le 'Hassidisme est la résultante de ce mouvement qui lui a tracé le chemin.
Ce nouveau tournant du peuple juif vient lorsqu'il est à bout de souffle. Les massacres perpétrés par les cosaques de 1648 à 1680 environ avaient ravagé les communautés juives d'Europe centrale et de l'Est. Elles avaient provoqué un exode rural massif des Juifs qui ne se sentaient plus en sécurité dans les villages. Cette affluence des Juifs, le plus souvent démunis de tout, sans parents, voire sans amis, vers les villes, grossit la masse populaire inculte, mise à l'écart par la caste érudite. Cette véritable plèbe vivait de mendicité ou devait assumer de lourdes tâches pour subvenir à ses besoins. Et bien qu'au début du dix-huitième siècle, le danger physique était écarté, les séquelles sociales et morales étaient loin d'être effacées.
La tradition 'hassidique explique que si Rabbi Israël Baal Chem Tov porte le nom générique du peuple juif, c'est parce que le Talmud indique que lorsqu'un homme s'évanouit, il faut crier son prénom à son oreille pour qu'il revienne à lui. Ainsi, Rabbi Israël Baal Chem Tov est venu clamer son nom au peuple juif qui avait perdu conscience de son être véritable.
Rabbi Israël Baal Chem Tov est né le 181 Eloul2 5458 (1698) dans le village d'Akop en Podolie. Agé de cinq ans, il perd ses parents. Son père, Rabbi Eliézer, qui faisait sans doute partie de la confrérie des justes cachés, lui dit avant de s'éteindre :
« Isrolik3, n'aie peur de rien sinon de D.ieu Lui-même... »
Le petit Israël est alors pris en charge par la communauté qui assure sa subsistance et son éducation. Mais celui-ci montre un goût pour l'isolement dans les champs ou dans les forêts qu'il rejoint dès qu'il a un moment de libre pour y répéter ses leçons et dans lesquelles il lui arrive de passer la nuit, fort des dernières recommandations de son père.
Son comportement laisse à penser aux responsables communautaires que ses prédispositions à l'étude sont assez limitées. Livré à lui-même, le Baal Chem Tov multiplie ses randonnées dans la nature. A l'âge de sept ans, une rencontre marque un étape importante de sa vie, comme il le raconte lui-même :
« ...Lorsque j'arrivai dans la forêt après avoir prié tôt le matin à la synagogue, j'entendis la voix d'un homme. Je m'approchai du lieu dont elle provenait et je vis un Juif, revêtu de son Tallith4 et de ses Téphiline5 et qui priait avec une ferveur que je n'avais jamais vue jusqu'alors. Je me cachai derrière les arbres et j'écoutai avec délectation les mots de sa prière. J'étais émerveillé et je pensai qu'il s'agissait sûrement d'un des trente-six justes cachés sur lesquels le monde tenait. Le Juif termina sa prière, replia ses Téphiline et son Tallith et se mit à lire des psaumes avec une grande douceur.
Puis, il étudia pendant un certain temps avec une intonation qui traduisait un profond plaisir. Lorsqu'il eut fini d'étudier, il rangea ses affaires dans son sac qu'il mit sur son épaule, prit son bâton dans sa main et s'apprêta à reprendre sa route. Je sortis alors de ma cachette pour aller à sa rencontre. Lorsqu'il m'aperçut, il me demanda : « Comment un jeune enfant peut-il se trouver seul dans la forêt ? » Je lui répondis que j'aimais me retrouver dans les champs et les forêts car là ne se trouvaient pas des hommes pleins d'orgueil et de mensonges et que je n'avais peur de rien. J'étais un orphelin de père et de mère et mon père -qu'il repose en paix- m'avait recommandé, avant de quitter ce monde, de ne rien craindre sinon D.ieu et c'est pourquoi je n'avais peur de rien.
Le Juif me demanda alors si j'étais le fils de Rabbi Eliézer et, quand je lui répondis par l'affirmative, il sortit de son sac le traité Péssa'him6 du Talmud et étudia avec moi pendant un certain temps. Puis, je le suivis sans savoir où nous allions.
Au cours de nos pérégrinations, nous parcourûmes différentes villes et villages sans que le Juif ne me dise jamais son nom. Il étudiait chaque jour avec moi. Je ne le vis jamais prendre une quelconque obole de qui que ce soit mais il subvenait à mes besoins sans aucune difficulté. Je le suivis ainsi pendant trois ans.
Un jour, alors que nous étions dans un petit village, le Juif me dit : « A proximité d'ici habite un Juif d'une grande piété et d'une grande érudition. Je vais te confier à lui pour un certain temps ». Nous allâmes donc chez lui et après m'avoir remis entre les mains de ce Juif qui s'appelait Rabbi Méir, mon premier maître me quitta.
Je restai dans la maison de Rabbi Méir, qui se trouvait au milieu de la forêt, pendant quatre ans au cours desquels il me dispensa un enseignement profond et vivifiant. Chaque jour, il se joignait à la communauté dans leurs prières quotidiennes mais nul ne se doutait que Rabbi Méir était un juste et un grand érudit. A leurs yeux, il apparaissait comme un simple artisan.
Chez Rabbi Méir, je pris connaissance du mouvement des justes cachés7 ainsi que de leur dirigeant, Rabbi Adam Baal Chem. Je me joignis donc à eux et je repris mes pérégrinations de ville en ville, de village en village, pour accomplir un certain nombre de missions que la direction du mouvement des justes cachés me confia.
Alors que je n'avais pas encore seize ans, j'avais une assez bonne connaissance de la Kabbale et, de temps à autre, je priais selon les enseignements du ARIZaL8 et me concentrais sur différents noms divins9 comme me l'avait appris le saint juste caché, Rabbi 'Haïm, de mémoire bénie.
Le jour de mes seize ans, je me trouvais dans un petit village. L'aubergiste de ce village était un Juif très simple. Il arrivait à prononcer les mots de la prière avec difficulté et n'avait aucune notion de leur sens. Cependant c'était un homme d'une grande piété qui répétait, en toute occasion : « Qu'Il soit béni à tout jamais! ». Son épouse, quant à elle, répétait souvent : « Que Son saint nom soit béni! ».
Ce jour-là, je partis m'isoler dans un champ, selon le rite ésotérique ancestral qui voulait que l'on s'isole un certain temps le jour de son anniversaire. Je m'isolai donc et je me mis à réciter des psaumes en me concentrant sur les différents noms divins qu'ils contenaient.
Comme j'étais absorbé par ma lecture, je ne m'apercevais pas de ce qui se passait autour de moi. Soudain, j'aperçus le prophète Elie10, un sourire aux lèvres. Je fus très étonné de mériter sa visite alors que j'étais seul. Chez Rabbi Méir et lorsque j'étais en compagnie des justes cachés, je l'avais déjà vu à plusieurs reprises mais c'était la première fois que je le voyais alors que j'étais seul. De plus, je ne comprenais pas la raison de son sourire.
Il me dit alors :
« Tu fais de grands efforts pour te concentrer sur les noms divins qui apparaissent dans les versets des psaumes rédigés par le roi David. Cependant, Aharon Chlomo, l'aubergiste et Zlota Rivka, son épouse, bien que n'ayant aucune notion de ces noms divins, font trembler les mondes spirituels par les simples louanges qu'ils prononcent et cela, d'une façon bien plus grande que celle réalisée par les noms divins sur lesquels se concentrent les justes de haut niveau. »
Il m'expliqua alors la grande satisfaction que procurent en haut, si l'on peut dire, les bénédictions et les louanges à D.ieu prononcées par les hommes, les femmes et les enfants, en particulier lorsque celles-ci proviennent de gens simples. Plus particulièrement lorsque ces louanges sont prononcées régulièrement, elles restent constamment attachées à D.ieu grâce à la foi entière et la pureté des cœurs de ceux qui les prononcent.
Ce jour-là, je découvris un nouveau chemin dans le service du Créateur qui me fit m'efforcer de faire prononcer aux hommes, femmes et enfants des louanges à D.ieu. Pour cela, je leur demandais constamment comment allait leur santé, celle de leurs enfants, leurs affaires et ils répondaient par différentes formes de louanges à D.ieu, chacun selon son habitude.
Je me comportai ainsi pendant plusieurs années et, au cours d'une réunion, ce comportement fut adopté par tous les justes cachés car il était le préambule de la diffusion de l'amour du prochain. »
Ce discours du Baal Chem Tov, rapporté par le précédent Rabbi de Loubavitch11, relate en lui-même son enfance et son adolescence. Il en ressort que très jeune, Rabbi Israël Baal Chem Tov était déjà un membre actif du mouvement des justes cachés. Son activité ne s'est pas limitée à la simple exécution des missions qui lui furent confiées mais il fut aussi à l'origine d'un certain nombre d'innovations.
Ainsi, en 1716, il fit adopter une mesure éducative dans laquelle il s'investit tout particulièrement. Les difficiles conditions de vie des communautés d'Europe centrale et de l'Est firent qu'un grand nombre d'enfants juifs, de condition sociale modeste, ne pouvaient prétendre à une éducation de bon niveau. Le Baal Chem Tov proposa de créer un réseau d'enseignants qui seraient à la charge des justes cachés. Ceux-ci acceptèrent sa proposition et ajoutèrent qu'ils se transformeraient eux-mêmes en maîtres d'école si cela était nécessaire.
C'est pourquoi le Baal Chem Tov devint lui-même l'adjoint d'un maître d'école. Il faisait réciter à des enfants de cinq à six ans les prières et bénédictions quotidiennes et leur faisait répéter leurs leçons. Plus tard, il confia à ses disciples que cette période fut la plus heureuse de sa vie. « Je sentais, ajouta-t-il, que la pureté d'âme de ces petis enfants provoquait un grande satisfaction en haut, au point de susciter la jalousie des anges.» Son successeur, le Maguid de Mézéritch dit un jour qu'il se souhaitait d'embrasser une fois un Séfer Torah12 avec le même amour que le Baal Chem Tov ressentait envers ces enfants.
Cette action éducative fut en fait le premier jalon de la reconstruction du peuple juif, détruit par les épreuves, que devait mener Rabbi Israël Baal Chem Tov. C'était la première étape d'une vaste campagne de remise à l'honneur de l'amour du prochain, quel que soit son niveau social ou d'érudition qui manquait tant dans une Europe dévastée par les massacres et les pogroms.
Cette action éducative fut suivie d'une importante action sociale dont le Baal Chem Tov prit la direction. Comme nous l'avons dit, les Juifs des villages avaient accouru vers les villes où ils menaient une existence misérable. Mais le traumatisme des massacres qu'ils avaient subis leur faisait préférer leur condition au retour dans leurs villages qu'ils avaient quittés pour garder leurs vies sauves. Au fil des années, on s'était installé dans ce mode de vie, oubliant même qu'il était possible de vivre autrement.
A cette époque, il était habituel que des Maguidim, dont le rôle était de raffermir les Juifs de la ville dans leur service de D.ieu, allaient de ville en ville pour haranguer les communautés. Leurs discours étaient remplis de morale illustrée par des paraboles menaçantes, qui promettaient les pires punitions à ceux qui n'avaient pas un comportement parfait. Souvent, ils évoquaient les terribles épreuves qu'avaient subies leurs parents, ce qui terrorisait les assemblées et contribuait à entretenir une profonde sensation de désespoir.
Rabbi Israël Baal Chem et les justes cachés se donnèrent pour mission de relever le niveau de ces Juifs tant du point de vue moral que matériel.
Vers 1720, ils entreprirent d'œuvrer pour le retour des Juifs vers les villages où ils encouragèrent l'artisanat ou s'efforcèrent de leur procurer des terres qu'ils pourraient cultiver. Ils créèrent ainsi de véritables communautés rurales dans lesquels les Juifs revenaient peu à peu à une vie saine à l'abri du besoin.
Ce réseau, dans un premier temps secret, fut organisé avec minutie. Il agissait en Podolie et dans les régions avoisinantes. Chacun des justes cachés s'était installé dans un lieu précis et ne ménageait pas ses forces pour mener à bien la mission dont il était investi. Régulièrement, on envoyait des comptes-rendus détaillé au Baal Chem Tov qui, dissimulé sous l'aspect d'un simple homme du peuple, coordonnait leurs actions. Lorsque le Baal Chem Tov se révéla comme fondateur du 'Hassidisme, il fortifia cette organisation et fonda à travers elle des centres de diffusion de la pensée 'hassidique.
Le Baal Hatanya13 expliqua un jours à son petit-fils, le Tséma'h Tsédek14, que l'action de Rabbi Israël Baal Chem Tov et de ses condisciples, les justes cachés avait pour but de guérir, dans un premier temps, le corps du peuple juif et, dans un second temps, de guérir son âme. C'est pour cette raison que sa première action, avant qu'il ne se révèle, fut d'aider les Juifs à améliorer leur condition sociale. Il s'occupa pour cela des Juifs les plus simples qui forment le corps du peuple. Dans un second temps, lorsqu'il agit au grand jour, il s'intéressa aux érudits qui constituent l'âme du peuple juif.
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