Dans sa célèbre introduction au chapitre talmudique ‘Helek, Maïmonide énumère les treize principes fondamentaux de la foi juive.

Les quatre premiers principes ont trait à la foi en D.ieu : qu’Il est la Cause Originelle dont toute créature dépend pour exister ; qu’Il est absolument un et unique ; qu’Il est incorporel et intemporel. Le cinquième principe établit le devoir de l’homme de Le servir et de remplir le rôle pour lequel il a été créé. Les sixième et septième principes établissent la relation de D.ieu avec l’humanité : qu’Il communique Sa volonté à l’homme ; que D.ieu observe le comportement humain et s’en soucie ; qu’Il punit le méchant et récompense le vertueux.

Les deux derniers principes traitent de l’ère de Machia’h : la croyance qu’un chef se lèvera qui amènera le monde entier à reconnaître et à servir le Créateur, introduisant une ère de paix universelle et de perfection divine.

Que signifie de dire qu’une idée est un « principe fondamental » du Judaïsme ? Une définition simple serait de dire que pour être qualifié de « Juif croyant », il faut accepter la vérité de ces treize principes. Mais la Torah ne fait pas ce genre de distinctions. Comme Maïmonide l’écrit lui-même dans son huitième principe :

« ...Cette Torah tout entière qui nous a été donnée par Moïse, vient de la bouche du Tout-Puissant, c’est-à-dire qu’elle lui a été communiquée par D.ieu... En cela, il n’y a aucune différence entre les versets “Les fils de Ham furent Kouch et Mitsrayim”, “Le nom de sa femme était Meithavel”, “Timna était une concubine” et les versets “Je suis l’É-ternel ton D.ieu” et “Écoute, ô Israël [l’É-ternel est ton D.ieu, l’É-ternel est Un]” : tous viennent de la bouche du Tout-Puissant, tout est la Torah de D.ieu, parfaite, pure, sainte et vraie... Nos sages ont dit ; quiconque croit que toute la Torah vient de la bouche du Tout-Puissant à part un seul verset, est un hérétique... »

Ainsi, un « principe fondamental » est bien plus qu’un ensemble de croyances requises. Ceci est vrai pour chaque mot de la Torah. Plutôt, ce sont treize principes qui sous-tendent tout le reste. Le terme hébraïque employé par Maïmondie est yéssodot, « fondements » : on pourrait imaginer que les différentes parties d’un édifice puissent exister indépendamment les unes des autres, mais, sans les fondations, le bâtiment tout entier s’effondrerait. De même, chacun de ces treize principes est une « fondation » de la Torah tout entière.

En d’autres termes, si chaque mot de la Torah possède la même importance aux yeux du croyant en tant que personne, ces principes sont cruciaux en ce qui concerne la foi elle-même. Renier que « Tu ne voleras pas » est un commandement divin n’est pas moins hérétique que renier l’existence de D.ieu ; mais la croyance dans le reste de la Torah ne dépend pas du fait que D.ieu ait ordonné de ne pas voler. D’un autre côté, la foi en des sujets comme l’existence de D.ieu, Son pouvoir absolu et exclusif, Son implication dans les affaires humaines et Sa communication de la Torah à l’homme, est une condition préalable évidente du Judaïsme. Sans ces « fondations », tout le reste est, pour ainsi dire, sans objet.

Une difficulté, cependant, résiste à cette explication : pourquoi la croyance au Machia’h est-elle incluse parmi les fondations de la foi juive ? Il est certes évident que le concept de Machia’h est une partie importante du Judaïsme. La Torah en parle (chapitre 30 du Deutéronome, chapitre 24 des Nombres, entre autres), les Prophètes en sont remplis. Mais ne pourrait-on pas concevoir de croire dans le reste de la Torah sans pour autant accepter la vision d’un monde parfait à venir ?

Pas dans les cieux

La Torah détaille un code de comportement astreignant et exigeant, régissant chaque heure de la journée, chaque étape de la vie et chaque aspect de l’expérience humaine. Il faut une vie de travail engagé, de grande autodiscipline, et toutes les ressources intellectuelles, émotionnelles et spirituelles que l’on recèle pour mettre sa vie en conformité absolue avec les commandements et les idéaux de la Torah.

Dès lors, il y a deux approches possibles quant à la conception de la vie prescrite par la Torah.

D’aucuns pourraient avancer que le degré de perfection attendu par la Torah est hors d’atteinte pour la majorité des gens. Dans cette optique, la Torah est un idéal vers lequel il convient de tendre. Elle est la vision d’un bien absolu conçu pour être un point de référence pour l’homme imparfait. Une personne devrait chercher à se rapprocher de cet idéal – selon cette opinion – bien qu’elle ne l’atteindra probablement jamais, car elle s’améliorera grandement à travers cette quête.

Le second point de vue prend la Torah au pied de la lettre : tout individu est capable et enjoint d’atteindre la vie parfaite et vertueuse que la Torah ordonne. La Torah n’est pas un idéal abstrait, mais un plan d’action pour la vie pratique et réalisable.

La Torah elle-même ne laisse pas place au doute quant à sa propre vision : « Car la Mitsva que Je te prescris aujourd’hui, » dit-elle, « elle n’est pas trop élevée pour toi, ni trop lointaine. Elle n’est pas au ciel... ni au-delà des mers... Elle est au contraire très proche de toi, dans ta bouche, dans ton cœur, pour l’accomplir. » (Deutéronome 30, 11-14)

Perspectives sous-jacentes

Ces deux approches reflètent deux manières différentes de considérer l’essence de la création de D.ieu. Si l’homme est essentiellement ou même partiellement mauvais, alors il peut évidemment évoluer dans un sens ou dans l’autre. Il n’y a aucune raison de penser qu’il devra, ou même pourra, atteindre une parfaite intégrité. Une société humaine résolument engagée dans le bien, dans laquelle chaque individu agira conformément à la raison pour laquelle il fut créé, ne peut être que le rêve d’un utopiste pathologique, ou de quelqu’un d’irrémédiablement en décalage avec la « réalité ».

Cependant, si l’on croit que le monde est intrinsèquement bon, que D.ieu a investi Sa création tout entière du potentiel de refléter Sa bonté et Sa perfection absolues, on a alors une perception de la réalité radicalement différente. Alors, la dureté de notre réalité actuelle est un état anormal, et la réalité de Machia’h est la chose la plus naturelle qui soit.

En d’autres termes, votre appréciation de l’idée messianique conditionne votre approche de la Torah dans son ensemble. La formule de vie de la Torah est-elle une fantaisie ou bien la description de la nature véritable de la création ? Si la Torah n’est rien de plus qu’une utopie, alors il n’y a pas à espérer un monde dénué d’avidité, de jalousie et de haine dans un futur proche. Mais si la Torah ne fait qu’exprimer l’essence réelle de l’homme, alors non seulement peut-on croire à un Machia’h « futur », mais on comprend que le monde est capable de répondre instantanément à son appel.

Cela explique pourquoi la croyance au Machia’h n’implique pas uniquement la conviction qu’il « finira » par venir, mais aussi l’anticipation de sa venue imminente. Dans les mots de Maïmonide, « Le douzième principe concerne l’ère de Machia’h : de croire et de certifier qu’il viendra, de ne pas penser qu’il tardera – même s’il traîne à venir, attends-le... » Et dans son Michné Torah, Maïmonide statue : « Celui qui ne croit pas en lui, ou celui qui n’attend pas sa venue, non seulement renie les prophètes, mais renie la Torah elle-même. » (Michné Torah, Lois des Rois 11, 1)

Lorsque Machia’h est une possibilité à ce point réelle, qu’un moment de plus passe sans que la Rédemption se fasse est dès lors bien plus « irréaliste » (c’est-à-dire moins conforme à la vraie nature des choses) que la perspective de sa réalisation immédiate.

La nature et la définition de la vérité

Bien sûr, l’homme a reçu le libre arbitre. Mais le choix entre le bien et le mal n’est pas le choix de ce que l’on doit être – car on ne peut pas changer sa propre essence – mais le choix de comment agir. L’homme peut choisir d’exprimer sa véritable essence à travers son comportement, ou choisir de l’occulter.

En définitive, la vérité, de par sa nature et sa définition, finit toujours par faire surface. Ainsi, bien que l’homme puisse choisir comment agir à tout instant, la nature même de l’humanité et de la création divine dans son ensemble dicte que non seulement elle peut, mais qu’elle atteindra concrètement la perfection de l’ère de Machia’h.

La foi en Machia’h signifie que la véritable nature de la création finira par faire surface. Que le « mal » n’est qu’une déformation superficielle de cette vérité et ne possède pas de réalité durable. Que l’homme se libérera de la haine et de l’ignorance. Que chaque être humain accomplira sa mission divine telle qu’elle est décrite dans la Torah, transformant le monde en un endroit rempli de la sagesse, de la bonté et de la perfection de son Créateur.

La foi en Machia’h signifie que la Torah est pour de vrai.