Comment l’être fini a-t-il émergé de l’infini... ?

Une question qui a intrigué aussi bien les philosophes que les théologiens juifs porte sur la manière dont un monde fini a pu venir à exister au sein de l’être infini de D.ieu. Avant la Création, il n’y avait que D.ieu et Sa révélation infinie de Lui-même, le Or Eïn Sof, qui remplissait toute l’existence (Ets ‘Haïm, Heikhal A”K, anaf 2). Comment l’être fini a-t-il émergé de l’infini ? On ne peut pas affirmer que la Création a toujours existé, ni que l’être fini n’est qu’une simple illusion, puisque la Torah déclare explicitement : « Au commencement de la création par D.ieu des cieux et de la terre » (Genèse 1,1).

Avant le Arizal, la conception dominante de la manière dont le Créateur a donné naissance à la Création peut se résumer comme suit : pour qu’un monde fini puisse venir à l’existence au sein de la révélation de l’infinité de D.ieu, un processus de contraction divine ou de limitation divine de l’infini (du Or Eïn Sof) était nécessaire. Les mondes sont alors apparus, selon cette perspective, par une série d’émanations procédant selon une séquence de cause à effet, dans laquelle le Créateur a progressivement réduit l’intensité du Or Eïn Sof et l’a fait descendre de degré en degré jusqu’à ce que les mondes soient créés (voir par exemple, Eilima Rabbati, Ein Kol Tamar partie 2, ch. 3-5, 11-12 ; partie 3, ch. 1). Par conséquent, le Or Eïn Sof n’a jamais été véritablement « retiré » d’un endroit quelconque ; son intensité a simplement été réduite.

Dans la relation de cause à effet, l’effet est déjà contenu dans la cause...

Cette vision pose cependant problème : si D.ieu s’était contenté de réduire l’intensité de Sa révélation infinie (le Or Eïn Sof) de manière quantitative, c’est-à-dire par un affaiblissement graduel de degré en degré au moyen de la cause et de l’effet, un monde fini n’aurait pas pu venir à l’existence, puisque dans un processus causal « l’effet est englobé par la cause, par rapport à laquelle il est essentiellement non-existant... de sorte que même de nombreuses contractions n’auraient pas pu engendrer la matière physique... » (Tanya, Iguéret HaKodech, ch. 20) par voie d’évolution à partir de la spiritualité. En d’autres termes, dans la relation de cause à effet, l’effet est déjà contenu dans la cause, bien que dans un état non réalisé.

Ainsi, lorsque l’effet final se manifeste, ce n’est pas une entité nouvellement créée ; c’est simplement la révélation de son état antérieur de potentialité ou d’occultation. Par conséquent, l’effet reste toujours d’une certaine manière proportionnel à la cause première qui l’a produit. Ainsi, l’infini ne peut jamais devenir fini par une réduction graduelle : « La création des mondes ne se fait pas par voie de développement de cause à effet... car même des myriades et des myriades de diminutions et d’évolutions de degré en degré [du Or Eïn Sof] dans un processus causal n’amèneront pas le développement et l’être de la matière physique... C’est plutôt la puissance du Eïn Sof qui crée ex nihilo, non pas progressivement, mais par voie de “saut” radical » (Likoutei Torah, Devarim 46c). Ainsi, le tsimtsoum défini comme contraction ou auto-limitation empêche l’existence d’êtres finis et ne peut expliquer comment la Création finie est venue à l’existence.

De plus, le tsimtsoum en tant que contraction ou auto-limitation semble également contredire le principe important du « yech méaïn » – que le monde a été créé ex nihilo,1 et non qu’il a évolué à partir d’un état d’être antérieur.

En conséquence, le Arizal a expliqué que nous devons comprendre le tsimtsoum d’une manière entièrement différente – dans un sens qualitatif – comme étant le retrait total du Or Eïn Sof infini de son état de révélation, permettant ainsi aux mondes finis d’exister :

Avant la Création, il n’y avait que le Or Eïn Sof infini remplissant toute l’existence. Lorsqu’il s’éleva dans la Volonté divine de créer des mondes et d’émaner l’émané... Il Se contracta (en hébreu « tsimtsoum ») Lui-même dans le point au centre, au centre même de Sa lumière. Il restreignit cette lumière, l’éloignant vers les côtés entourant le point central, de sorte que demeura un vide, un espace creux et vide, éloigné du point central... Après ce tsimtsoum... Il fit descendre du Or Eïn Sof une seule ligne droite [de lumière] de Sa lumière entourant [le vide] de haut en bas [dans le vide], et elle descendit en chaîne dans ce vide.... Dans l’espace de ce vide, Il émana, créa, forma et fit tous les mondes. (Ets ‘Haïm, Heikhal A”K, anaf 2)

La nature exacte du tsimtsoum suscita des divergences d’interprétation parmi les kabbalistes postérieurs. Certains considéraient le tsimtsoum comme un acte métaphorique de limitation divine dans lequel le Or Eïn Sof était simplement dissimulé,2 plutôt que retiré, tandis que l’essence de D.ieu demeurait complètement inchangée. D’autres soutenaient que le Or Eïn Sof était réellement retiré, et non pas simplement dissimulé.3 Une autre école soutenait que le tsimtsoum était le retrait effectif de l’essence de D.ieu ainsi que le retrait du Or Eïn Sof.4 Une quatrième perspective considérait que le tsimtsoum consistait en une dissimulation (mais pas un retrait) à la fois de l’essence de D.ieu et du Or Eïn Sof.5

L’effet du tsimtsoum (quelle que soit l’explication proposée) est néanmoins clair : il établit une distinction radicale entre le Créateur et le créé (bien que cette distinction n’existe pas du point de vue du Créateur6), entre la cause et l’effet, de sorte que la création se produit par un « saut quantique » plutôt que par un ordre de développement évolutif.7