La foi en la venue du Machia’h – le Messie – est un élément central de la religion juive, l’un des « Treize Principes de Foi » énoncés par Maïmonide selon lequel chaque Juif se doit de croire en lui et d’attendre sa venue.

Que manque-t-il donc de nos jours à un Juif qui souhaite servir D.ieu de tout son cœur, pour qu’il souhaite la venue du Machia’h avec tellement d’ardeur ?

De fait, parmi les dix-huit bénédictions que compte la prière tri-quotidienne de la Amida, pas moins de six expriment la demande à D.ieu que la Délivrance messianique intervienne au plus tôt.

Pourquoi ce sujet, qui semble a priori secondaire en regard de l’importance de croire en D.ieu et d’accomplir Ses commandements, revêt-il un caractère si fondamental ?

De prime abord, il semble que la venue du Messie soit un fait qui ne concerne que l’avenir. La Torah écrite contient de nombreuses prophéties qui traitent de « la fin des temps » en lesquelles, en tant que Juifs croyants, nous avons évidemment foi. Cependant, concernant le Machia’h, la Torah nous enseigne que la simple « foi » à elle seule n’est pas suffisante. Au-delà de la croyance, il nous est requis au quotidien une attente « active » et impatiente, une prière continuelle, une expectative empreinte d’un espoir vers lequel s’oriente toute notre vie.

Ceci nécessite d’être bien compris, car, en effet, pourquoi un « bon Juif » ne pourrait-il pas étudier la Torah et servir convenablement son Créateur sans qu’on exige de lui d’attendre la venue du Machia’h avec une telle intensité ?

La question est d’autant plus forte si l’on considère qu’à notre époque il nous est possible de vivre un judaïsme riche et entier. Le temps des pogroms, des autodafés et des conversions forcées est en effet révolu. Le temps où les Juifs étaient exclus de la plupart des métiers et vivaient dans la misère l’est également. Aujourd’hui, au contraire, les institutions vouées à l’étude de la Torah et du judaïsme ne cessent de prospérer. Il peut, dès lors, sembler paradoxal de réclamer à cor et à cri un Messie qui vienne arranger nos problèmes.

Que manque-t-il donc de nos jours à un Juif qui souhaite servir D.ieu de tout son cœur, pour qu’il souhaite la venue du Machia’h avec tellement d’ardeur ?

La plénitude du judaïsme

La réponse à ces questions est contenue en substance dans le corpus législatif de Maïmonide, au onzième chapitre des « Lois des Rois » :

« Le Roi Machia’h se lèvera un jour pour restaurer la royauté de David telle qu’elle était jadis. Il reconstruira le Sanctuaire et rassemblera les exilés d’Israël et toutes les lois seront rétablies comme auparavant. »

Fait remarquable, dans cette définition halakhique du Machia’h, Maïmonide ne parle nullement des changements miraculeux dans le monde que les Écritures annoncent pour l’ère messianique. Il ne traite que de la plénitude de la Torah et du judaïsme qui reviendra par l’action du Machia’h.

En effet, l’attente du Machia’h exprime en premier lieu le souhait d’un Juif de parvenir à la perfection dans l’accomplissement de la Torah et des Mitsvot. Nous savons qu’il est aujourd’hui impossible d’accomplir toutes les lois de la Torah. Pas seulement à cause de nos ennemis ou du mal présent dans le monde, mais aussi parce que des parties entières de la Torah sont hors de notre portée. Parmi les 613 Commandements que celle-ci nous ordonne, nous ne pouvons actuellement en accomplir que 207. Toutes les Mitsvot concernant le Roi, le Sanhédrine (le grand tribunal rabbinique), le Temple et son service, l’année sabbatique et celle du jubilé, etc., nous sont aujourd’hui inaccessibles.

Il ne s’agit pas là que d’un problème quantitatif. La vie juive dans son ensemble s’organise actuellement autour de l’individu et non de l’ensemble en tant que peuple, à l’opposé de la structure prévue par la Torah. La Torah est ainsi aujourd’hui majoritairement théorique et non pratique.

La foi en l’avènement d’une ère de plénitude dans l’accomplissement de la Torah et des Mitsvot

En son for intérieur, un Juif ne peut se résoudre à une situation dans laquelle la Torah ne peut être vécue intégralement. Il croit en la Torah et en son caractère éternel et refuse qu’une partie si importante et essentielle de celle-ci soit mise de côté. Il est persuadé qu’en définitive cette situation ne peut être que temporaire et que très bientôt les conditions qui permettent son plein accomplissement seront rétablies.

C’est là la teneur de la foi en la venue du Machia’h : la foi en l’avènement d’une ère de plénitude dans l’accomplissement de la Torah et des Mitsvot.

Le Machia’h ne se contentera pas de restaurer la situation qui prévalait avant l’exil, mais amènera une plénitude jamais connue auparavant.

L’une des preuves sur lesquelles s’appuie Maïmonide pour démontrer que le sujet du Machia’h est mentionné dans le Pentateuque est l’un des versets qui concerne les « villes de refuge ». La Torah nous ordonne en effet : « Lorsque D.ieu élargira ta frontière, tu ajouteras trois autres villes » — Deutéronome 19, 8. Or, cet évènement ne s’est pas encore accompli. C’est donc le Machia’h, au temps duquel s’accomplira la promesse « Lorsque D.ieu élargira ta frontière », qui dirigera la manière dont le peuple juif « ajoutera trois autres villes ».

Être disponibles pour servir D.ieu

La révélation des secrets de la Torah permettra de s’attacher toujours plus profondément à D.ieu

Tous les prodiges que le Machia’h accomplira auront pour but d’atteindre cette plénitude dans le judaïsme : plus aucun ennemi n’aura la capacité de gêner le peuple juif dans son service divin ; l’abondance des bienfaits permettra à chacun d’être disponible pour s’adonner à l’étude de la Torah ; la révélation des secrets de la Torah par le Machia’h permettra de s’attacher toujours plus profondément à D.ieu.

La centralité de la croyance en la venue du Machia’h est, dès lors, tout à fait compréhensible. Un Juif qui a foi en la Torah et les Mitsvot et qui sait que leur accomplissement ne peut se faire pleinement à l’heure actuelle a donc nécessairement foi en l’avènement d’un jour où ceci sera rectifié.

Et lorsque la Torah et les Mitsvot sont pour quelqu’un sa raison de vivre, cette foi se traduit par une attente impatiente et un espoir constant.