Aimer l’Eternel ton D.ieu et Le servir de tout ton cœur et de toute ton âme.
(Deutéronome 11,13)
Quel est le service du cœur ? C’est la prière.
(Sifri)
La Haftara (lecture tirée des Prophètes) du premier jour de Roch Hachana nous relate l’histoire de ‘Hanna, la mère du prophète Chmouel.
‘Hanna, l’épouse sans enfant d’Elkana, vint à Chilo, où se tenait le Sanctuaire, avant que le roi Chlomo ne construise le Temple de Jérusalem, pour prier afin d’avoir un enfant, ce qu’elle fit, en pleurant abondamment. Et elle émit un vœu et dit : « Ô D.ieu des Hôtes... si Tu donnes à Ta servante un enfant, je le consacrerai à D.ieu tous les jours de sa vie... »
Eli, le Grand Prêtre, l’observait alors qu’elle « priait profusément devant D.ieu… Seules ses lèvres bougeaient, sa voix ne se faisait pas entendre.
Eli pensa qu’elle était saoule. Et il lui dit: “Combien de temps seras-tu ivre ? Mets de côté ton vin !” ‘Hanna répliqua : “Non, mon Maître… je n’ai bu ni vin ni aucune boisson forte, j’ai épanché mon âme devant D.ieu...” »
Eli accepta sa réponse et la bénit pour que D.ieu exauce sa requête. Cette année-là, ‘Hanna donna naissance à un fils qu’elle nomma Chmouel (« demandé à D.ieu »). Quand elle l’eut sevré, elle accomplit son vœu de le consacrer au service de D.ieu, en le conduisant à Chilo où il fut élevé par Eli et les prêtres. Chmouel grandit et devint l’un des plus grands prophètes d’Israël.
La prière de ‘Hanna, comme l’on dénomme cette lecture, constitue l’une des sources bibliques fondamentales du concept de la prière. En fait, le dialogue entre Eli et ‘Hanna touche l’essence de la prière en général, et la prière de Roch Hachana en particulier.
Le paradoxe
Le concept de la prière à D.ieu, comme il est présenté dans la Torah et exposé dans les écrits de nos Sages, semble renfermer une contradiction interne.
D’une part, la prière est décrite comme la communion de l’âme avec le Créateur, une île de Ciel dans une journée du monde du quotidien. « Les pieux méditaient une heure, disent nos Sages, et seulement alors ils se mettaient à prier. Ils se retiraient du monde et se concentraient jusqu’à s’être complètement départis de leur matérialité et avoir atteint la suprématie de l’esprit de la raison, de sorte qu’ils atteignaient un état proche de la prophétie. » Ils « attachaient leur âme au Maître de Tout, dans un état de crainte et d’amour absolus et de véritable attachement. » En fait, le mot hébreu pour « prière », Tefila, signifie « attachement » ; la prière consiste en effet en la décision de s’élever au-dessus des soucis quotidiens et de s’attacher à sa source en D.ieu.
Et pourtant, l’essence de la prière est notre demande à D.ieu de pourvoir à nos besoins quotidiens matériels. C’est là le fondement sur lequel repose son édifice spirituel tout entier. Maïmonide définit ainsi le principe de la prière :
…Chaque jour, l’homme doit prier et solliciter, dire les louanges de D.ieu et Lui demander de pourvoir à ses besoins avec supplication; après cela, il offre sa prière et ses remerciements à D.ieu pour le bien qu’Il lui a attribué.
Mais ces deux aspects de la prière ne sont-ils pas incompatibles et même contradictoires ? Celui qui s’est complètement départi de sa matérialité demande-t-il à D.ieu de pourvoir à ses besoins ? Celui qui a atteint un état proche de la prophétie a-t-il ces préoccupations dans son esprit ?
Le paradoxe de la prière s’accentue encore le jour de Roch Hachana. En ce jour, non seulement nous nous tenons devant D.ieu, mais nous Le couronnons, faisant abnégation totale de notre personne et de nos besoins. Et pourtant, un seul regard sur la prière de Roch Hachana montre qu’elle est pleine de requêtes pour la vie, la santé et la subsistance pour l’année à venir.
Une Maison sur terre
D.ieu créa le monde, disent nos Sages, parce qu’Il « désirait une demeure dans les mondes inférieurs. » Les « mondes inférieurs » sont notre monde matériel, inférieur à cause de sa distance spirituelle de notre source, son illusion d’autosuffisance et son retrait quasi absolu de tout ce qui est transcendant et divin. Mais c’est là que D.ieu a désiré résider, souhaitant que « ce monde inférieur » soit celui qui héberge et exprime Sa vérité.
C’est pourquoi la Torah décrit notre mission dans la vie comme essentiellement faite d’actions impliquant des objets matériels. En fait, virtuellement, chaque ressource matérielle sur terre, chaque membre et organe de notre corps a sa Mitsva spécifique, la manière pour D.ieu d’établir comment elle peut être l’instrument de Sa volonté.
Ainsi, nos actes ne sont pas personnels et nos demandes ne sont pas égocentriques. Oui, nous demandons à manger, la bonne santé et la richesse ; mais nous les demandons comme un serviteur demande à son maître les moyens de mieux le servir. Nous demandons de l’argent pour accomplir la Mitsva de la charité, la force pour construire une Soukka, la nourriture pour maintenir ensemble le corps et l’âme afin que notre vie serve de « résidence dans les mondes inférieurs » qui abrite la présence divine dans notre monde.
Et Roch Hachana, le jour qui couronne D.ieu, est le plus propice pour lui demander de pourvoir à tous nos besoins et désirs matériels. Couronner D.ieu signifie l’accepter comme souverain dans tous les domaines de notre vie, nous vouer non seulement à une quête spirituelle, mais aussi et surtout à accomplir Son désir pour une demeure ici-bas.
Une accusation d’ivrognerie
C’est là le sens profond de l’échange entre Eli et ‘Hanna.
L’accusation d’Eli peut aussi se comprendre comme une critique de ce qu’il jugeait comme un excès dans les demandes matérielles. «Tu es dans le lieu le plus saint, dit-il, et c’est dans ce lieu que tu demandes à D.ieu d’accéder à tes désirs matériels ? »
« Tu m’as mal comprise, répond ‘Hanna. J’ai épanché mon âme devant D.ieu. Je ne demande pas simplement un fils, je demande un fils que je puisse consacrer à D.ieu tous les jours de sa vie. »
Nos Sages nous disent que Chmouel fut conçu à Roch Hachana. Que D.ieu ait exaucé cette prière en ce jour nous encourage à L’approcher avec toutes nos demandes matérielles en ce jour éminent. Car à Roch Hachana nos besoins personnels et notre désir de servir notre Roi sont les mêmes.
Adapté de Likoutei Si’hot, vol. XIX, p. 291-297
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