Il y a quatre choses dont D.ieu regrette la création tous les jours. La première est la galouth (l’exil)... (Talmud, Soukka 52b)1

Dire que D.ieu « regrette » quelque chose est évidemment en contradiction avec notre compréhension de Son omniscience et de Son omnipotence. Le regret implique que l’on sait à présent quelque chose que l’on ne savait pas auparavant ; qu’une décision ou un acte antérieur était défaillant ou mal informé ; que l’on a désormais mûri au point de pouvoir regarder en arrière et de rejeter un passé déficient. Rien de tout cela, bien sûr, ne peut être lié à D.ieu. Selon les mots du verset : « D.ieu n’est pas un homme pour mentir, ni un fils d’Adam pour se raviser. »2

Attribuer le regret à D.ieu représente un autre problème : si D.ieu regrette la création d’une chose, comment celle-ci pourrait-elle continuer d’exister ? Comme l’expliquent les maîtres ‘hassidiques, la création est un acte perpétuel de la part de D.ieu. Quand la Torah nous dit que « D.ieu a dit : “Que la lumière soit !” et la lumière fut », cela ne décrit pas un événement unique qui se produisit le premier jour de la création ; cela nous dit que ce que nous connaissons comme étant « la lumière » est l’incarnation de la formulation continue par D.ieu de Son désir que la lumière soit. Dans chaque fraction de chaque instant, D.ieu « dit » « Que la lumière soit ! » et c’est cet énoncé divin qui constitue l’essence de la lumière physique. Car aucun être ou phénomène ne peut exister indépendamment de l’implication constante de D.ieu dans Sa création.3

[On raconte l’histoire d’un jeune homme qui quitta sa ville natale pendant plusieurs années pour étudier sous la tutelle du maître ‘hassidique Rabbi DovBer de Mézeritch.4 À son retour, l’un de ses amis lui demanda : « Pourquoi devais-tu donc quitter ta famille et ta communauté pour aller étudier dans une ville éloignée ? Qu’as-tu donc appris à Mézeritch que tu n’aurais pas pu apprendre dans nos propres salles d’étude de nos propres rabbins ? »

– Dis-moi, dit le jeune ‘hassid, crois-tu en D.ieu ?

– Je crois certainement en D.ieu.

– Si D.ieu ne voulait plus que cette table existe, que se passerait-il ?

– Quel genre de question est-ce là ? D.ieu peut tout faire ! S’Il ne voulait plus que cette table existe, Il pourrait la détruire immédiatement.

– Que pourrait-il faire ?

– Que pourrait-il faire ? Tout ce qu’il veut ! Il pourrait envoyer un feu et l’incinérer sur place.

– Mais si D.ieu incinère la table, il resterait encore les cendres.

– D.ieu peut créer un feu si puissant que rien ne restera.

– Si telle est ta conception de D.ieu, déclara le nouvel élève de Rabbi DovBer, autant te jeter, toi et ton dieu, dans ce feu. Qu’est-ce donc que cette table, sinon l’incarnation du désir de D.ieu qu’elle soit ? Au moment où D.ieu ne désire plus son existence, elle n’a plus d’existence !]

Donc, si D.ieu regrette la création de la galouth chaque jour, pourquoi sommes-nous toujours en exil ? Comment la galouth pourrait-elle exister, même en tant que concept, sans le désir continu de D.ieu qu’elle existe ?

L’art de la métaphore

Là encore, rien de ce que nous disons à propos de D.ieu ne peut signifier tout à fait la même chose lorsque c’est appliqué à un être mortel. Par exemple, quand nous disons que D.ieu « entend » nos prières, voulons-nous dire que les ondes sonores générées par nos cordes vocales font vibrer un tympan divin et stimulent un cerveau divin pour que D.ieu « entende » notre demande ? Voulons-nous dire que nos prières informent D.ieu de ce qui nous manque – D.ieu qui connaît chacun de nos désirs avant que nous en soyons conscients, et avant même notre naissance ? Évidemment pas. Quand nous disons que D.ieu entend nos prières, cela signifie « entendre » dans un sens purement conceptuel – « entendre » comme « remarquer » et « prêter attention à » et, espérons-le, « répondre à ».

En discutant de D.ieu, nous employons inévitablement des termes dont la signification est colorée par la dynamique de notre expérience, une expérience limitée par le temps, l’espace et nos limites humaines. Notre seule autre option serait de ne pas parler du tout de D.ieu.5 Ainsi, en utilisant ces termes, nous devons toujours prendre soin de les dépouiller de leurs attributs humains et d’appliquer uniquement leur essence pure et non corporelle à notre compréhension de la relation de D.ieu avec notre existence.

Dès lors, lorsque la Torah nous dit que D.ieu regrette quelque chose, elle s’attend à ce que nous réduisions le terme « regret » à ses éléments les plus essentiels en le dépouillant de toute connotation d’échec et d’ignorance passée – et même de la notion de temps elle-même – avant de l’appliquer à D.ieu.

Le regret, pour nous, signifie que quelque chose est à la fois désiré et non désiré : désiré dans le passé, mais non désiré dans le présent. Appliqué à un D.ieu intemporel, le « regret » implique ces deux états simultanément : quelque chose à la fois désiré et non désiré, le désir appartenant à la dimension la plus éloignée de la chose (son « passé »), et le non-désir appartenant à sa dimension la plus apparente et la plus immédiate (son « présent »).

Telle est l’attitude de D.ieu à l’égard de la galouth « tous les jours » – y compris le jour même où Il détruisit le Saint Temple et nous bannit de la Terre Sainte.

D.ieu désire la galouth et ne la désire pas en même temps. Il désire ses fonctions positives : la force qu’elle révèle en nous, la profondeur de la foi à laquelle elle nous invite, sa globalisation de notre mission comme étant Sa « lumière pour les nations ».6 Mais Il abhorre sa réalité manifeste : la souffrance physique et l’éloignement spirituel auxquels elle nous soumet. Lors de notre ultime délivrance de l’exil, l’essence positive de la galouth apparaîtra – mais alors, bien sûr, nous ne serons plus dans un état de galouth. La galouth, par définition, est un état dans lequel les aspects extérieurs de la vie obscurcissent son contenu intérieur. Ainsi, l’état de galouth est un état de « regret » : un état dont l’élément non souhaitable est manifeste et « présent », tandis que son aspect souhaitable est « dans le passé » – lointain et obscurci.

Et comme « l’existence » d’une chose est l’expression d’un désir divin qu’elle existe, l’état de galouth n’existe que dans un sens très limité : seulement dans la mesure où D.ieu la désire. Seul son élément « désiré » possède une véritable existence ; son élément « non désiré », malgré sa réalité apparemment plus importante, plus « présente », est une non-entité, rien de plus que l’ombre illusoire de sa fonction positive véritablement réelle, bien qu’actuellement obscurcie.

Deux leçons

Aujourd’hui, la galouth n’est plus ce qu’elle était. Bien que nous souffrions encore du déracinement spirituel de la galouth, ses expressions les plus flagrantes disparaissent : aujourd’hui, un Juif peut vivre pratiquement n’importe où dans le monde dans la liberté et la prospérité.

Mais se sentir à l’aise dans la galouth est la plus grande galouth qui puisse être. C’est le symptôme ultime de l’aliénation de sa propre essence et de sa propre source. Se sentir à l’aise dans la galouth – la percevoir comme un état de choses viable, voire désirable –, c’est vivre en contradiction avec le regret quotidien de D.ieu de la galouth. Le Juif qui vit en harmonie avec D.ieu considérera toujours l’état de galouth comme odieux et indésirable.7

En même temps, nous savons que la galouth, dotée seulement du plus faible écho du désir divin, ne possède pas de vraie réalité, aussi redoutable soit le visage qu’elle puisse nous présenter. Nous comprenons qu’elle est toujours au bord de la dissolution ; qu’à tout moment, son essence désirable peut se manifester et envoyer la « réalité » de la galouth au passé regretté qu’elle est.8