Rabbi Moché Haguiz, dans son livre Michnat ‘Hakhamim, écrit qu’il a entendu cette histoire de gens fiables à Safed qui étaient présents lors de cet événement.

Dans le milieu du 16ème siècle, un Juif converso du Portugal s’installa dans la ville sainte de Safed. Privé dans sa jeunesse de la possibilité de pratiquer ouvertement la religion de ses pères, il était ravi d’être enfin capable de faire.

Des années plus tard, il entendit de la bouche du rabbin de sa synagogue un exposé sur le le’hem hapanim, le « pain de proposition » qui était offert au Saint Temple chaque Chabbat (voir Lévitique 24, 5-9). Après avoir examiné les diverses lois et procédures régissant la préparation de cette offrande et abordé sa signification mystique, le rabbin déplora le fait que, à cause de nos péchés, nous n’avons plus ce moyen simple d’être agréés par D.ieu.

Le Juif prit ces paroles à cœur. Une fois rentré chez lui, il demanda à sa femme de préparer deux ‘hallahs spéciales ce vendredi. Il lui raconta tous les détails dont il se souvenait de la leçon sur les pains de proposition. Elle devrait tamiser la farine treize fois, la pétrir en étant elle-même dans un état de pureté rituelle et très bien cuire la pâte dans leur four. Il lui dit qu’il voulait présenter ces pains comme une offrande à D.ieu ; il espérait que D.ieu les considérerait comme un sacrifice acceptable et qu’Il les consommerait.

Son épouse accomplit fidèlement sa requête et, tôt dans l’après-midi de vendredi, alors que la synagogue était vide, l’homme y apporta les pains dissimulés sous son manteau. Il pria et supplia D.ieu de considérer favorablement son offrande, et de manger et d’apprécier ce merveilleux pain fraîchement cuit. Il insista encore et encore, comme un fils rebelle mendiant le pardon de son père. Puis il plaça les pains, enveloppés dans un linge, dans l’Arche Sainte, sous les rouleaux de la Torah et quitta rapidement les lieux en direction de sa maison.

Le chamach (bedeau) de la synagogue arriva plus tard sur place pour terminer la préparation de la choul pour le saint Chabbat. L’une des tâches dont il devait s’acquitter était de vérifier que le rouleau de la Torah était roulé au bon endroit pour la lecture du lendemain matin. Quand il ouvrit l’Arche, il fut surpris de voir qu’un paquet avait été soigneusement placé à l’intérieur. Il l’ouvrit et voilà qu’il contenait deux magnifiques pains de Chabbat ! Il n’avait pas la moindre idée d’où ils provenaient, mais il n’y pensa pas trop ; il décida simplement de les ramener chez lui et de les manger – après tous, ils avaient l’air et sentaient délicieusement bon !

Et ils étaient effectivement délicieux. Le gardien fut enchanté de cet « avantage en nature » inattendu dans son travail.

Ce soir-là, le Juif attendait avec impatience la fin des prières. Quand tout le monde eut quitté la synagogue, il s’approcha de l’Arche avec émoi et en ouvrit vivement les portes. Les pains n’étaient plus là ! Il était tellement heureux. Il se précipita à la maison pour partager sa joie avec sa femme. Il proclama innocemment que D.ieu n’avait pas dédaigné les pauvres efforts de gens aussi insignifiants qu’eux. Oui, Il avait accepté leurs deux pains, et les avait mangés pendant qu’ils étaient encore chauds !

« Par conséquent, l’exhorta-t-il, ne soyons pas paresseux, car nous n’avons pas d’autre moyen de L’honorer et nous voyons qu’Il aime notre pain. Chaque semaine, nous devons essayer de Lui donner ce plaisir avec le même soin et le même dévouement que cette première fois. »

Sa femme fut conquise par son enthousiasme sans réserve et coopéra volontiers. Chaque vendredi matin, elle prépara fidèlement deux superbes pains, accordant une attention particulière à chaque détail, grand ou petit, et, chaque vendredi après-midi, il les déposait à la synagogue et priait avec ferveur que D.ieu les accepte.

Et, chaque vendredi, le bedeau arrivait et mangeait joyeusement les délicieuses ‘hallahs. Et tous les vendredis soirs, le Juif portugais en extase annonçait à sa femme qu’une fois de plus leur maigre offrande avait été acceptée.

Il en fut ainsi pendant des semaines et des mois.

Un vendredi, le rabbin de la synagogue resta sur place beaucoup plus tard que d’habitude, jusque dans l’après-midi. C’était ce même rabbin qui avait fait le discours au sujet des « pains de proposition » qui avait tant inspiré le converso du Portugal. Il se tenait sur la bimah (l’estrade de lecture), révisant le sermon qu’il envisageait de donner le lendemain quand, à sa grande surprise, il vit un de ses fidèles entrer en transportant deux miches de pain, s’avancer jusqu’à l’Arche et les déposer à l’intérieur. Il se rendit compte que l’homme n’avait pas remarqué sa présence et il l’entendit prononcer des prières ferventes pour que D.ieu accepte son offrande et profite des ‘hallahs.

Le rabbin écouta avec stupéfaction. Au début, il était silencieux, mais comme il commençait à comprendre ce qui se passait, sa colère s’enflamma. Incapable de se contenir plus longtemps, il éclata : « Arrête ! Tu es fou ! Comment peux-tu penser que notre D.ieu mange et boit ? C’est un terrible péché d’attribuer des qualités humaines ou physiques à D.ieu Tout-Puissant. Crois-tu vraiment que c’est D.ieu qui prend tes misérables pains ? C’est probablement le chamach qui les mange ! »

À ce moment, le bedeau entra dans la synagogue, s’apprêtant allègrement à prendre ses ‘hallahs, comme d’habitude. Il fut un peu surpris de voir le rabbin et un autre homme dans les lieux. Le rabbin s’adressa immédiatement à lui : « Dis à cet homme pourquoi tu es venu ici aujourd’hui, et qui prend chaque semaine les deux ‘hallahs qu’il apporte ici ! »

Le bedeau reconnut les faits sans problème. Il n’était pas gêné du tout. Il ne pouvait pas comprendre pourquoi le rabbin était si agité, ni pourquoi il criait à l’autre homme qui avait l’air si malheureux et qu’il savait être un Juif ignorant, mais sincère.

Alors que le rabbin continuait sa réprimande, l’homme fondit en larmes. Il était écrasé. Non seulement n’avait-il pas fait une mitsva comme il l’avait cru, mais il semblait qu’il s’était plutôt rendu coupable d’un grand péché. Il s’excusa auprès du rabbin pour avoir mal compris sa leçon sur les pains de proposition et le supplia de lui pardonner. Il quitta la synagogue dans la honte et le désespoir. Comment avait-il pu se tromper à ce point ? Que pouvait-il faire maintenant?

Peu de temps après, un messager du « Saint Ari », Rabbi Its’hak Louria, entra dans la synagogue et s’approcha du rabbin. Au nom de son maître, il dit au rabbin de rentrer à la maison, de dire au revoir à sa famille et de se préparer : à l’heure fixée pour son sermon du lendemain matin, son âme aurait déjà quitté ce monde vers son repos éternel. Ainsi avait-il été annoncé au Ciel.

Le rabbin ne pouvait pas croire ce qu’il venait d’entendre, et le disciple ne savait pas non plus le lui expliquer. Alors il alla directement voir le Ari. Celui-ci confirma le message et ajouta, aussi doucement que possible : « J’ai entendu que c’est parce que tu as interrompu le plaisir de D.ieu, un plaisir tel qu’Il n’en avait pas connu depuis le jour où le Saint Temple fut détruit. C’est ce qu’Il ressentait quand cet innocent converso apportait ses deux précieux pains dans ta synagogue chaque semaine, les offrant sincèrement à D.ieu du profondde son cœur, avec joie et crainte, et croyant que D.ieu les prenait, jusqu’à ce que tu aies irrémédiablement détruit son innocence. Pour cela, le décret a été scellé contre toi, et il n’y a aucune possibilité de le modifier. »

Le rabbin rentra chez lui et dit à sa famille tout ce qui s’était passé. Au moment du sermon, le lendemain matin, son âme était déjà partie pour entendre la Torah dans l’Académie céleste, exactement comme l’avait dit le Ari.

Note biographique :
Rabbi Its’hak Louria (1534-1572), connu comme « le Saint Ari », a révolutionné l’étude de la Kabbale et son intégration dans le système traditionnel du Judaïsme au cours des deux années qu’il a passées à Safed avant son décès à l’âge de 38 ans.

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