Et Jacob appela ses fils et il dit : Rassemblez-vous pour que je puisse vous révéler ce qui vous arrivera à la fin des temps.

Genèse 49, 1

Le Talmud explique que « Jacob désirait révéler à ses fils « la fin des jours » (Kets Hayamim, le moment de la rédemption totale et définitive lors de la venue de Machia’h), et c’est alors que la Présence Divine le quitta. »

Cette affirmation soulève une question évidente : pourquoi Jacob avait-il un tel désir ? Qu’aurait apporté une telle connaissance ? Le fait que les Enfants d’Israël connussent la date de la venue de Machia’h n’aurait-il pas eu sur leur moral un effet dévastateur ? Savoir que la rédemption n’aurait pas lieu avant plus de 3500 ans n’aurait-il pas été une source de découragement et de désespoir pour les Juifs en Égypte ?

L’opportunité

Dans le « Cantique de la mer » (le chant de louange que le peuple d’Israël adressa à D.ieu sur les rives de la mer Rouge lorsqu’il fut sauvé des armées de Pharaon), un verset nous dit : « Apporte-les et plante-les sur la montagne de Ton héritage, la base de Ta résidence que Toi, D.ieu, as faite ; le sanctuaire, ô D.ieu, que Tes Mains ont établi. » Le Zohar explique que, si nous l’avions mérité, D.ieu Lui-Même nous aurait transportés en Terre Sainte et Lui-Même aurait construit le Temple à Jérusalem, ces actes devenant éternels et inaltérables. En d’autres termes, l’Exode d’Égypte aurait constitué la rédemption ultime. Ce n’est que par une série de défaillances de notre part (comme le péché du veau d’or et celui des explorateurs) que notre entrée en Terre d’Israël et la construction du Temple furent entreprises par des efforts humains et furent aussi mortelles et vulnérables que leurs auteurs humains. Ainsi, attendons-nous encore le jour où D.ieu Lui-Même nous rassemblera de tous les coins de la terre et reconstruira le Temple, rendant Sa présence manifeste dans nos vies de manière inaltérable et éternelle.

C’est cette  « fin » que Jacob désirait révéler. Au moment de sa mort, l’Exode était encore éloigné de 193 ans, au-delà de l’espérance de vie plausible des enfants et des petits-enfants de Jacob, mais proche au regard de son potentiel comme événement culminant de l’histoire. De plus, la « fin des jours » n’est pas un temps fixé mais une limite : un point dans le temps qui marque la date la plus tardive possible pour la rédemption, qui peut néanmoins être atteinte plus tôt grâce aux actions positives des hommes. Et en effet, l’Exode eut bien lieu avant son échéance annoncée, après 210 ans en Égypte au lieu des 400 ans prédits à Abraham.

Si nous avions su que la sortie d’Égypte devait constituer l’ultime et finale rédemption, nous aurions été poussés à saisir l’occasion et assurer que tout son potentiel soit effectivement réalisé.

Construire dans l’obscurité

Pourtant, D.ieu empêcha Jacob de révéler cela à ses enfants. La « fin des jours » devait rester un mystère, même si sa révélation eût pu encourager nos efforts pour perfectionner le monde et le préparer à la rédemption. Car pour que l’homme participe réellement au perfectionnement de la création, il est crucial que le calendrier de l’avènement messianique lui reste inconnu.

Comme il a été dit précédemment, la rédemption finale est un acte divin, inaltérable et éternel. Dès lors, si l’homme est amené à jouer un rôle significatif dans sa réalisation, c’est par des actes qui sont eux-mêmes inaltérables et éternels. De là découle l’état de galout (exil) dans lequel nous nous trouvons, un état de déplacement physique et spirituel, un état dans lequel la Main de D.ieu qui guide l’histoire nous est cachée et nos vies semblent livrées au hasard et à la chance. Quand un individu garde son intégrité et sa loyauté envers D.ieu malgré de telles conditions, il manifeste un engagement éternel, un engagement que ni les aléas du temps, ni ceux de l’histoire ne viendront ébranler.

Ainsi, le galout n’est-il pas seulement une situation dont nous devons être sauvés, mais également la condition qui permet notre participation significative dans le processus de la rédemption. Être en galout signifie être dans l’obscurité : habiter un monde dans lequel une gangue corporelle voile son riche contenu spirituel ; un monde sourd aux tintements de l’horloge cosmique de l’histoire et aveugle à sa propre progression régulière vers la perfection et l’harmonie. C’est seulement dans de telles conditions que nos actes positifs revêtent l’éternité qui relève du messianique. Si nous connaissions la date de l’ère messianique, nos actes seraient de nature prévisionnelle, stimulés par notre claire vision du progrès de l’histoire vers la perfection.

La conscience supra rationnelle

Et pourtant, Jacob nous révéla bien la fin des temps. Il ne nous indiqua pas la date précise de la venue de Machia’h – cela, D.ieu l’en empêcha, pour garantir que notre expérience du galout sera complète et donnera lieu à l’engagement éternel qui fait de nous de véritables partenaires dans le projet divin d’un monde messianique parfait. Mais le fait même qu’il désira nous l’indiquer eut ses conséquences. La Torah déclare que D.ieu accomplit le désir de ceux qui Le craignent. Si Jacob désirait que nous sachions, alors, d’une manière ou d’une autre, cette connaissance nous fut transmise.

Bien plus, Jacob est l’un des trois Avot (Patriarches) d’Israël, que nos Sages ont décrits comme ne servant que comme véhicules de la volonté divine, à chaque instant de leur vie. Si Jacob désirait que nous connaissions le secret de la « fin des jours », c’est un désir qui était en toute adéquation avec la volonté divine. D.ieu veut que nous voulions savoir, et que nous sachions réellement, pour que nous soyons poussés par ce désir et cette connaissance. Mais en même temps, Il ne nous permet pas de savoir exactement pour que nos actes soient vrais et inconditionnels et non basés sur ce « délit d’initié ».

Ainsi menons-nous nos vies dans l’obscurité, dépourvus de toute conscience de notre place dans l’histoire. Quelques secondes avant l’aube, nous ne percevons que la nuit la plus noire. Mais cela n’a lieu qu’à la surface de nos vies, au niveau dans lequel nous agissons pour apporter la rédemption au monde. Mais à l’intérieur, il existe une âme consciente, une âme en phase avec le calendrier divin, une âme sensible aux moments les plus opportuns pour la rédemption et apte à révéler ce savoir et ce potentiel.