« Venez voir les œuvres de D.ieu, Son dessein redoutable sur les enfants des hommes. »

Psaumes 66,5

Le 7 Sivan, Moïse gravit la montagne... Le 17 Tamouz, les Tables furent brisées. Le 18, il brûla le Veau [d’or] et jugea les transgresseurs. Le 19, il monta pour quarante jours et implora la miséricorde. Le 1er Eloul, il monta pour recevoir les secondes Tables, et y resta quarante jours. Le 10 Tichri, D.ieu restaura Sa bienveillance envers le peuple juif, avec joie et de tout cœur, disant à Moïse : « J’ai pardonné, selon ta demande », et lui donna les Secondes Tables.

Rachi, Exode 32,1 et 33,11

Analysée en laboratoire, une seule goutte d’eau de mer révélera les caractéristiques de milliards de ses semblables ; elle vous enseignera même beaucoup de choses sur chaque goutte de tous les océans de la terre.

L’histoire obéit à ce même principe. D’une part, chaque période possède sa propre unicité, chaque année, jour et moment se distingue par son contenu et son caractère propre. Et pourtant, comme nous le reconnaissons souvent, le récit d’une vie individuelle peut dévoiler l’histoire d’un siècle entier, et les événements d’une seule génération peuvent résumer à eux seuls toute une époque. En surface, le temps peut davantage ressembler au terrain disparate de la terre qu’à l’aspect uniforme de la mer ; mais une fois que vous avez écarté les éléments externes du contexte et des circonstances, une goutte dans l’océan du temps reflétera de vastes étendues de ses eaux et, en définitive, toute son étendue.

Nous qui cheminons sur la surface terrestre du temps, le connaissons comme une succession d’événements et d’expériences. Nous franchissons ses reliefs et ses dépressions, ses déserts et ses zones fertiles, ses étendues planes et ses défilés escarpés. Pour nous, la nature universelle du moment reste enfouie profondément sous sa signification la plus immédiate ; pour nous, le moment ne livre pas la totalité de la vie et de l’histoire, seulement les éléments et les aspects spécifiques qu’il incarne.

Il existe néanmoins des panoramas d’une nature plus englobante, des paysages d’une diversité et d’une intensité telles qu’ils constituent de véritables petits mondes. Il y a des étendues dans le voyage d’un individu ou d’un peuple où la dimension universelle de l’instant remonte à la surface, dans lesquelles une séquence d’événements offre une version condensée de l’univers du temps tout entier.

L’une de ces périodes puissantes s’étendit sur 120 jours dans les années 2448-9 depuis la Création (1313 av. è.c.). Les événements de cette période, vécus par le peuple juif aux premiers temps de son existence nationale, chorégraphient l’essence même de l’histoire humaine : les fondements, le processus et le but ultime de la vie sur terre. Les cent vingt jours du 6 Sivan 2448 au 10 Tichri 2449 contiennent tout : les fondements de la création, l’épopée des défis de l’humanité, et le triomphe ultime qui naît des imperfections et faiblesses inhérentes à la condition humaine.

Les événements

Le 6 Sivan de l’an 2448, le peuple d’Israël tout entier se rassembla au pied du mont Sinaï pour recevoir la Torah du Tout-Puissant. Là, ils vécurent l’expérience de la révélation divine et entendirent les Dix Commandements, qui contiennent toute la Torah. Le lendemain matin, Moïse gravit la montagne, où il demeura en communion avec D.ieu durant quarante jours et quarante nuits et reçut la Torah proprement dite, l’expression plus détaillée du message divin destiné à l’humanité.

À la fin des quarante (premiers) jours de Moïse sur le mont Sinaï, D.ieu lui donna deux tables de pierre, œuvre de D.ieu, sur lesquelles les Dix Commandements étaient gravés par le doigt de D.ieu. Mais dans le camp en contrebas, le peuple juif délaissait déjà l’alliance qu’il venait de conclure avec D.ieu. Retournant au paganisme de l’Égypte, ils fabriquèrent un veau d’or et, au milieu de festins et de réjouissances hédonistes, le proclamèrent dieu d’Israël.

D.ieu dit à Moïse : « Descends, car ton peuple, que tu as fait monter du pays d’Égypte, s’est corrompu ; ils se sont rapidement détournés de la voie que Je leur ai commandée... »

« Moïse fit demi-tour et descendit de la montagne, les deux tables du témoignage dans sa main... Lorsque Moïse s’approcha du camp et découvrit le veau et les danses effrénées... il jeta les tables de ses mains et les brisa au pied de la montagne. »

C’était le 17 Tamouz.

Moïse détruisit l’idole et ramena la nation égarée sur le droit chemin. Il remonta ensuite au Sinaï pour un deuxième séjour de quarante jours, afin de plaider devant D.ieu pour le pardon d’Israël. D.ieu acquiesça et accepta de fournir un second jeu de tables pour remplacer celles qui avaient été brisées à la suite du péché d’Israël. Ces tables, cependant, ne devaient pas être l’œuvre de D.ieu, mais de construction humaine :

« D.ieu dit à Moïse : Taille pour toi deux tables de pierre, semblables aux premières ; et J’y inscrirai les paroles qui étaient sur les premières tables que tu as brisées... Monte le matin au mont Sinaï, et présente-toi là-bas devant Moi au sommet de la montagne. »

Moïse gravit le Sinaï, pour ses troisièmes et derniers quarante jours au sommet de la montagne, le 1er Eloul. D.ieu avait déjà pardonné le péché d’Israël, et maintenant une relation nouvelle et revitalisée entre Lui et Son peuple devait être reconstruite sur les ruines de l’ancienne. Le 10 Tichri, ils reçurent leur second ensemble des Dix Commandements, inscrit par D.ieu sur les tables taillées de la main de Moïse.

Ainsi, nous distinguons trois périodes de quarante jours, auxquelles correspondent trois états de la Torah : les premières tables, les tables brisées et les secondes tables. Elles incarnent le fondement de l’existence juive, l’épreuve de l’existence et l’accomplissement suprême de l’être humain.

L’intrigue

Nos Sages enseignent que le premier verset du récit de la Torah sur la création, Béréchit bara Elokim... (« Au commencement, D.ieu créa le ciel et la terre »), commence par la lettre beth, la deuxième lettre de l’alphabet hébreu. Ceci nous enseigne qu’un alef précède le beth de l’existence créée, c’est-à-dire que la création ne constitue pas une finalité en elle-même, mais vient servir un principe qui la précède en séquence et en substance.

L’alef pré-Genèse est l’alef de Anokhi Hachem Elokekha... (« Je suis l’Éternel ton D.ieu... »), la première lettre des Dix Commandements. La Torah constitue le dessein divin préalable de ce que la vie sur terre est appelée à devenir ; le fondement et la finalité même de la création est que nous nous développions, nous et notre environnement, selon cet idéal.

Mais D.ieu aspirait à davantage. Plus que la simple réalisation de Son dessein primordial pour l’existence, plus que la mise en place d’une perfection préprogrammée. Plus qu’un « monde des premières tables » qui serait entièrement l’œuvre divine.

Un être créé n’a, par essence, rien qui lui appartienne véritablement : tous les outils, potentiels et possibilités qu’il possède lui ont été donnés par son créateur. Mais D.ieu désirait que l’expérience humaine produise un profit au-delà de ce qui est projeté – ou même garanti – par Son investissement initial en nous. Il nous a donc façonnés avec les vulnérabilités propres à la condition humaine.

Il nous a dotés du libre arbitre, nous conférant ainsi la possibilité de l’échec. Lorsque nous agissons correctement et de manière constructive, nous nous comportons conformément au plan divin et déployons le potentiel dont notre Créateur nous a dotés. Mais lorsque nous choisissons d’agir mal et de manière destructive, nous entrons dans un état d’être qui ne fait pas partie du plan de la Torah, qui est même l’antithèse de ce que la Torah prescrit. Pourtant, cet état d’être est le tremplin vers la techouva (le retour spirituel), le pouvoir de s’élever des ruines de notre chute vers une nouvelle dimension de perfection, une perfection qui n’était pas envisageable dans notre passé intact.

Voilà comment l’enseignement ‘hassidique explique pourquoi D.ieu a créé la possibilité du mal. C’est « Son dessein redoutable sur les enfants des hommes ». L’âme de l’homme est une étincelle de divinité, intrinsèquement et complètement bonne ; en elle-même, elle n’est en aucune façon susceptible de corruption. Ses fragilités humaines ne constituent rien de moins qu’un scénario élaboré, imposé en totale contradiction avec sa nature essentielle.

Si les premières tables sont la vision divine de la création, les tables brisées représentent notre monde familier, un monde qui tolère l’imperfection, l’échec, voire le mal manifeste. C’est un monde dont les premières tables ont été brisées, un monde qui s’est détourné de son fondement et de sa véritable essence, un monde désynchronisé de sa bonté fondamentale.

Les tables brisées sont une intrigue conçue par l’Auteur de l’existence pour permettre la possibilité des secondes tables. Chaque faille, chaque chute peut être retournée et redirigée en force constructive. Chaque rupture de la perfection des « premières tables » de l’âme est une occasion pour l’homme de « tailler pour soi » une seconde paire, sur lesquelles l’écriture divine est ciselée sur les tables de l’initiative et de la création humaines. Une seconde paire qui inclut tout un panorama de potentiels qui dépassaient la portée de la première paire, entièrement divine.

D.ieu dit à Moïse : « Ne te désole pas pour les premières tables, qui ne contenaient que les Dix Commandements. Dans les secondes tables, Je te donne aussi la halakha, le midrash et la aggada. »

Si Israël n’avait pas péché avec le Veau d’Or, concluent nos sages, ils n’auraient reçu que les cinq livres de Moïse et le livre de Josué. Car, comme le dit le verset : « La grande sagesse naît souvent d’une grande souffrance. »

Commémorés et accomplis

Ces cent vingt jours ont marqué d’une empreinte indélébile notre rapport au temps. Car le calendrier juif fait bien plus que mesurer et marquer le temps ; selon les mots du livre d’Esther : « Ces jours sont commémorés et accomplis ». Les fêtes et dates commémoratives qui marquent notre périple annuel à travers le temps sont des occasions de réactualiser les événements et les accomplissements qu’elles commémorent.

Chaque Chavouot, nous revivons l’expérience de la révélation au Sinaï et de notre acquisition du plan et du fondement de nos vies. Chaque année, le 17 Tamouz, nous traitons à nouveau les revers et les effondrements incarnés par les événements de ce jour. Le mois d’Eloul et les dix premiers jours de Tichri, correspondant au troisième séjour de 40 jours de Moïse sur le mont Sinaï, sont, comme ils l’étaient alors, des jours de bienveillance entre D.ieu et l’homme, des jours durant lesquels le Tout-Puissant est beaucoup plus accessible à tous ceux qui Le cherchent.

Et Yom Kippour, jour culminant de sainteté et de puissance spirituelle dans le cycle annuel, marque le point culminant de la saga de 120 jours. Depuis le jour où D.ieu donna les secondes tables au peuple d’Israël, ce jour constitue la source par excellence de la techouva, celle de notre faculté à transmuter les déficiences du passé en énergie et en élan vers des sommets spirituels inédits ; la source de notre aptitude à faire fructifier l’investissement de D.ieu, aussi volatil que risqué, dans l’existence humaine.