Pour le lecteur non averti, les noms des 54 Parachas de la Torah semblent dus au hasard : il s’agit pour la plupart du premier mot distinctif qui apparaît dans chaque Paracha. Toutefois, la ‘Hassidout, qui considère chaque événement et chaque phénomène comme étant spécifiquement déterminé par la Providence Divine, rejette le concept même de « hasard ». Bien plus, ajoute le Rabbi de Loubavitch, la ‘Hassidout enseigne que le nom d’une chose dans la Langue Sainte constitue son âme et son essence. Le Rabbi fait également remarquer que le mot Torah signifie « enseignement », ce qui implique qu’il n’existe rien dans la Torah qui ne soit instruction. Ainsi, conclut le Rabbi, le nom d’une section de la Torah ne peut certainement pas être dû au « hasard ».

Lors de ses farbrengen de Chabbat hebdomadaires, le Rabbi s’attardait souvent sur le nom de la Paracha de la semaine, démontrant de quelle manière un mot ou une phrase contient en soi l’intégralité de la Paracha, aussi vaste et variée soit-elle, et comment le nom de la Paracha, lorsque ses nuances sont analysées et examinées dans la perspective des autres éléments du calendrier juif marquant cette période, est porteur d’un trésor d’informations et d’instructions pour notre vie de tous les jours.

Vayakhel  signifie « assemblée » et « communauté » alors que le mot Pekoudei connote le détail et l’individualité. Il s’en trouve donc que ces deux Parachas – qui se succèdent dans la Torah et sont parfois lues ensemble de sorte à ne former qu’une Paracha – expriment le conflit, l’interaction et le paradoxe de ces deux composantes de l’âme humaine : a) notre désir et notre besoin de nous lier dans une identité commune, et b) notre besoin et notre désir d’une identité unique et distincte de celle des autres.

Mais le plus étonnant au sujet de Vayakhel  et Pekoudei n’est pas qu’une importance égale leur être attribuée dans la Torah, ni qu’elles apparaissent si proches l’une de l’autre dans le texte, pas plus que le fait que ces deux concepts opposés soient souvent fusionnés en une lecture unique nommée « Vayakhel-Pekoudei ». Ce qui est le plus étonnant est que leurs noms semblent avoir été intervertis.

Si, au-delà de ces noms, nous observons le contenu de leur Paracha respective, nous découvrons que le contenu de la Paracha qui porte le nom de Vayakhel aurait plutôt dû recevoir le nom de Pekoudei, alors que le contenu de Pekoudei correspond parfaitement à Vayakhel !

Vayakhel, débute en racontant comment Moïse assembla le peuple pour leur ordonner l’observance du Chabbat et l’édification du Sanctuaire ; cet action de rassemblement donne son nom à la Paracha (Vayakhel signifie « et il assembla » est dérive du mot kahal, « assemblée »). Mais le reste de la Paracha est rempli des détails de la construction du Michkan. Chaque détail du Sanctuaire est individuellement dénombré et décrit : ses tentures de toit, ses panneaux muraux, les socles de ces derniers, les piliers, les attaches, les crochets et les rideaux : l’Arche, la Table, la Ménorah, les deux Autels, et même le bassin rituel et son piédestal. La dimension exacte de chacun de ces éléments est précisée, ainsi que les matériaux à partir desquels ils furent confectionnés et les détails de leurs formes.

Pekoudei signifie « compte » et la Paracha commence avec l’affirmation : « Voici les comptes du Michkan… ». La racine du mot Pekoudei, Pakod, signifie compter, se rappeler et attribuer – tous termes exprimant une catégorisation, une attention particulière aux détails (en hébreu moderne, un pakid est un bureaucrate). Cependant, s’il est vrai que Pekoudei comprend également des détails concernant la construction du Michkan (spécifiquement, ceux relatifs aux vêtements sacerdotaux), la majeure partie de la Paracha est consacrée à l’assemblement du Michkan. Dans Pekoudei, la Torah relate comment les divers éléments énumérés et décrits dans Vayakhel furent assemblés pour former le Sanctuaire et comment la Présence Divine vint résider dans la structure achevée. Car les éléments du Michkan, quand bien même avaient-ils tous été confectionnés en conformité absolue avec les spécifications divinement prescrites, ne pouvaient pas héberger la Présence Divine jusqu’à ce qu’ils soient assemblés ensemble pour former collectivement le Michkan tout entier.

En d’autres termes, la Paracha de Vayakhel se consacre aux natures particulières des éléments du Sanctuaire, alors que Pekoudei décrit comment ceux-ci s’associent pour former une structure plus grande – chaque Paracha étant à l’opposé de ce que son nom signifie !

Cinq leçons

En résumé :

1. la Torah contient une Paracha nommée Vayakhel et une autre nommée Pekoudei.

2. Certaines années celles-ci sont associées pour former une seule lecture, nommée « Vayakhel-Pekoudei ».

3. Les autres années, ces deux Parachas forment deux lectures différentes, lues des semaines différentes.

4. Vayakhel signifie « communauté », mais évoque la valeur de l’individualité. Pekoudei signifie « individualité », mais évoque l’avantage de l’union et de l’intégration.

5. Vayakhel vient en premier dans la Torah, suivie ensuite par Pekoudei.

Chacune de ces nuances, enseigne le Rabbi, est porteuse de sens. Chacune éclaire la relation entre notre identité individuelle et notre identité communautaire.

Première leçon : Nous avons les deux et avons besoin des deux. Le fait que la Torah contienne deux Parachas, appelées l’une Vayakhel et l’autre Pekoudei, signifie que notre besoin de communauté et notre aspiration à l’individualité sont tous deux des composantes importantes et désirables de l’âme humaine.

Deuxième leçon : Nous pouvons, et devons, effectuer la synthèse des deux. Si ces deux Parachas ne devaient apparaître dans la Torah que séparées, cela signifierait que, si elles sont toutes deux nécessaires, chacune à son temps et son lieu défini : il y a des moments où vous devez mettre l’accent sur votre communalité (au point de nier votre individualité), et d’autres où une affirmation de l’individualité est exigée (bien qu’elle perturbe voter communalité). Nous ne saurions pas que les deux peuvent être intégrées.

Le fait que, certaines années, Vayakhel et Pekoudei sont jointes pour ne former qu’une seule lecture nous enseigne que nous pouvons, et donc devons, parvenir à la synthèse des deux : une communauté qui n’est pas une masse anonyme, mais une communauté d’individus, chacun contribuant avec sa personnalité et ses aptitudes au but commun, et la communauté, en retour, procure le cadre au sein duquel chacun peut rechercher son bonheur personnel.

Troisième leçon : Nous devons également préserver chacune des deux comme quelque chose ayant une valeur propre. D’un autre côté, si Vayakhel et Pekoudei devaient apparaître seulement jointes, cela signifierait que le seul objectif désirable est d’atteindre une sorte d’équilibre entre ces deux tendances contradictoires. Un équilibre qui pourrait nécessiter un compromis de l’une ou de l’autre (ou des deux). Peut-être que notre individualité n’aurait de valeur que dans la mesure où elle contribue d’une quelconque manière à la communauté ; ou peut-être la seule fonction de la communauté est-elle de procurer un cadre pour le développement de l’individu. Nous ne saurions pas que chacune d’entre elles est également une fin en soi.

Le fait que Vayakhel et Pekoudei apparaissent également dans la Torah comme deux lectures séparées nous enseigne que, outre l’objectif d’intégrer les deux, l’individualité et la communauté sont en eux-mêmes des objectifs légitimes. Le perfectionnement individuel possède une valeur propre, indépendamment de la façon dont il contribue au bien de la communauté ; et la création d’une communauté est également une fin en elle-même, car elle représente une entité supérieure à la somme de ses composants individuels.

La quatrième leçon : Chacune est faite de l’autre. Nous avons vu comment la communauté (« Vayakhel ») et l’individualité (« Pekoudei ») représentent chacune un objectif souhaitable, et comment elles peuvent être combinées pour former un troisième modèle, une communauté d’individus (« Vayakhel-Pekoudei »). Mais la Torah va encore plus loin. Elle nous dit que même lorsque chacune est considérée comme une fin en soi, les deux sont inexorablement liées l’une à l’autre.

C’est la leçon qui découle du fait que le contenu de « Vayakhel » évoque la nature des choses individuelles, alors que « Pekoudei » décrit comment les différentes parties sont assemblées pour former un tout. La Torah nous dit que, lorsque l’objectif est uniquement la création d’une communauté parfaite, celle-ci est une communauté composée d’individus qui assument et exercent pleinement leur individualité (de même que Vayakhel, même en tant que Paracha seule, est composée de parties manifestement individuelles). Et la Torah nous dit que, même lorsque l’objectif est exclusivement la réalisation du potentiel de l’individu, celui-ci ne peut pleinement réaliser son unicité que lorsqu’il est membre d’une communauté (comme la Paracha de Pekoudei qui inclut la création d’une communauté).

La cinquième leçon : Des individus imparfaits forment une communauté parfaite. La dernière question est : qu’est-ce qui vient d’abord ?

Il semblerait logique que le développement individuel (« Pekoudei ») précède la construction d’une communauté (« Vayakhel ») : on a d’abord besoin des éléments, puis on peut ensuite les assembler pour former un tout. Ainsi, l’accent devrait d’abord être mis sur la perfection de l’individu, après quoi ces individus parfaits pourraient s’insérer dans la communauté idéale.

Or la Torah place Vayakhel avant Pekoudei, nous enseignant qu’en réalité, c’est tout le contraire qui est vrai : notre tout premier objectif, conclut la Rabbi, doit être de rassembler les gens, quel que soit leur niveau personnel. Le perfectionnement individuel suivra, alimenté par l’amour et la solidarité que nous nous témoignons mutuellement.