La paracha Vayikra traite des sacrifices : les offrandes qui étaient faites dans le Sanctuaire, et le rituel qui les accompagnait. Quelle est la signification de tout cela pour nous aujourd’hui, qui n’avons pas de Temple ? Deux Temples furent détruits. Mais des millions de temples ne le furent pas, et ne pouvaient pas l’être. Ce sont les Temples que les Juifs possèdent à l’intérieur d’eux-mêmes, le saint lieu de l’âme où s’effectue son service divin. Le Judaïsme est invulnérable parce qu’il a autant de Sanctuaires qu’il y a des Juifs. Mais quel est le service de ce sanctuaire intérieur ? La réponse se trouve dans notre paracha, où chaque instruction a une double signification : en premier lieu, elle guide les prêtres dans leur service ; ensuite, elle nous guide dans le nôtre. Le Sanctuaire personnel d’aujourd’hui est un exact reflet du Sanctuaire public du passé. Dans ce discours, le Rabbi examine l’acte du sacrifice, traduisant les étapes du rituel sacerdotal en termes d’influence immédiate sur notre vie spirituelle. C’est un exemple classique du pouvoir de la ‘Hassidout de transformer notre compréhension des parties de la Torah qui sont parfois négligées en une description exacte et frappante du cheminement de l’expérience religieuse du Juif.
1. « Une offrande de vous »
Au commencement de la paracha de Vayikra (la paracha des sacrifices), la Torah dit : « Si un homme apporte de vous une offrande à l’Éternel. » À première vue, on supposerait que les mots « de vous » se réfèrent à « un homme », donnant ainsi : « Si un homme d’entre vous apporte une offrande... » Mais l’ordre des mots dans la Torah exclut une telle lecture. La Torah est précise dans chacun de ses détails. Un mot apparemment déplacé a une grande signification. La phrase doit être lue ainsi : « Si un homme apporte de vous une offrande... », et l’implication est que le sacrifice doit être « de vous ». Qu’est-ce que cela signifie ?
Cette interprétation ‘hassidique bien connue considère la phrase comme un commentaire sur la nature même du sacrifice. Quand D.ieu commanda aux Israélites de Lui construire un Sanctuaire, Il dit : « Ils Me feront un Sanctuaire et Je demeurerai en eux. » Ce n’était pas seulement dans le Sanctuaire qu’Il demeurerait, mais à l’intérieur de chaque Juif. Chaque Juif a, pour ainsi dire, un Sanctuaire au dedans de lui. Et chaque acte, chaque facette du sanctuaire physique, ont leur contrepartie dans le sanctuaire de l’âme.
Il y a donc un acte de sacrifice intérieur dans la vie du Juif, qui reflète avec précision l’acte extérieur qui avait lieu dans le Sanctuaire. Même cet acte extérieur, bien qu’il consistât dans le sacrifice d’un animal physique, était essentiellement spirituel. C’est pourquoi la participation des prêtres (Cohanim) et l’accompagnement des chants des Lévites étaient nécessaires. Le Zohar1 dit que « les Cohanim, avec leur service silencieux et leur désir, faisaient descendre [la Présence Divine], et les Lévites avec leurs chants et leurs louanges faisaient monter [l’âme de l’homme et son sacrifice] ». Le sacrifice physique était ainsi une rencontre spirituelle.
Il en est de même, et plus encore, de l’acte de sacrifice intérieur. Et c’est là le sens de : « Si un homme apporte de vous une offrande... » « Offrande » en hébreu signifie « rapprocher ».2 Et quand un Juif désire se rapprocher de D.ieu, il doit offrir à D.ieu un sacrifice de son propre être. L’offrande doit être « de vous ». C’est le « vous » qui est le sacrifice.
2. L’animal
La phrase continue ainsi : « …vous prélèverez votre offrande de l’animal, du gros bétail et du petit bétail. »
Il y a donc deux sacrifices dans le sanctuaire de l’âme : le premier est « de vous », de vous-mêmes, votre « âme divine » ; le second est pris « de l’animal », de « l’âme animale », qui rassemble tous les désirs physiques, tous les instincts qu’un homme possède du fait qu’il a un corps et qu’il fait partie du monde naturel. C’est cette seconde offrande qui est le but ultime du sacrifice : la sanctification et la réorientation de l’« animal » dans l’homme.
Ce but est suggéré par le verset lui-même et par la suite. L’offrande « de vous » est décrite comme étant faite « à l’Éternel ». Mais dans le verset suivant, il est dit que l’offrande « du gros bétail » sera faite « devant l’Éternel », signifiant par là qu’elle atteindra un niveau plus élevé que l’Éternel,3 le Nom divin de quatre lettres. Il est écrit : « Il y a de nombreuses récoltes dans la force d’un bœuf. »4 Quand l’animal dans l’homme est exploité pour le service de D.ieu, il a le pouvoir de le rapprocher du Créateur plus que son âme divine ne le pourrait à elle seule.
Amener le « vous », l’âme divine, en sacrifice amène l’homme seulement « à l’Éternel », au niveau représenté par le Nom de quatre lettres. Ceci, en soi, est une expérience surnaturelle, mais pas encore une expérience de D.ieu tel qu’Il est en Lui-même, au-delà du temps et du changement. Tandis que la sanctification de « l’âme animale » apporte une expérience de D.ieu dans Sa transcendance absolue : « Quand “l’autre côté” [les instincts naturels] est soumis, la gloire de D.ieu, béni soit-Il, se révèle à travers tous les mondes. »5
3. L’examen
Quand un animal devait être sacrifié sur l’autel, la première chose était de s’assurer qu’il était entier, parfait, sans défaut. Seulement alors pouvait-il être offert. Il en est de même du « rapprochement » de l’homme. « L’animal » en lui doit être sans défaut avant de pouvoir être sacrifié. Le premier pas est l’introspection. L’homme doit fouiller les recoins de son âme à la recherche de défauts, c’est-à-dire de failles dans l’unité de son être. Et, les ayant trouvés, il doit les redresser.
Cet examen doit être sincère, et pas seulement dicté machinalement par un sens du devoir. Car c’est toute son intégrité spirituelle qui en dépend. Si un Juif prend conscience de l’importance de l’enjeu, il ne dissimulera pas ses défauts en s’abusant soi-même, ou ne les laissera pas s’aggraver sans y apporter remède.
4. Le poids du passé
Quand un homme entame sérieusement ce processus d’introspection, il peut souvent arriver que, même s’il n’est pas actuellement coupable d’un quelconque péché, tous ses manquements passés, voire même ceux de son enfance, refassent surface dans sa mémoire,6 au point où il puisse dire : « Mon péché est continuellement devant moi. »7 Ils persistent parce qu’elles n’ont pas été redressées.
S’ils avaient été redressés, ils auraient été effacés, et remplacés par un grand enthousiasme dans le service de D.ieu. Car lorsque l’homme a traversé « la terre aride de l’ombre de la mort » qui l’envahit au moment de la séparation d’avec D.ieu à cause du péché, son désir d’être réuni avec Lui s’enflamme en une ferveur de « repentance par le moyen d’un grand amour », qui transforme « les péchés intentionnels en mérites ».8
Mais son examen de conscience lui dit qu’il n’en est pas ainsi pour lui. Ses péchés demeurent des péchés dans sa mémoire. Il n’est pas passé par la transformation du feu de l’amour. Le péché entraîne le péché,9 et même maintenant, il ressent parfois la pression de désirs inopportuns.
Ce n’est pas comme si sa repentance n’avait besoin que d’une dernière touche pour être parfaite, mais plutôt comme si elle n’avait jamais réussi à abattre la barrière qui le sépare de D.ieu,10 créée par ses actes passés.
Mais cela peut lui donner à réfléchir. Il se présente devant D.ieu dans un acte de sacrifice, de « rapprochement », de tout son être, afin d’être attiré dans le feu divin qui l’élèvera vers le haut, vers l’Essence de D.ieu.11 Et il pourrait se dire : « Que suis-je pour être digne de l’acte ? Je suis imparfait. Je suis plein de défauts. C’est au-delà de mes possibilités. »
Rabbi Yossef Its’hak de Loubavitch répondit12 : le sacrifice n’est pas seulement de « vous » ; il dépend de « vous ». Il est à la portée de chaque Juif, quel que soit son présent et quel que soit son passé. De sorte que chaque Juif a le droit de se demander : « Quand mes actions seront-elles à l’image des actions de mes pères, Abraham, Isaac et Jacob ? »13
5. Le feu
Une fois examiné et trouvé sans défauts, l’animal doit être tué. C’est-à-dire qu’on ne détruit pas son corps, mais qu’on lui ôte simplement la vie. Il est ensuite offert sur l’autel, où il est consumé (dans certains cas seulement la graisse, dans d’autres, l’animal entier) par le feu envoyé d’en Haut par D.ieu.
Telle était la procédure mise en œuvre pour les sacrifices matériels dans le Sanctuaire, et elle s’applique aussi au sacrifice intérieur dans la personnalité juive.
Après que l’on a redressé les fautes ou les défauts dans son mode de vie, l’« animal » doit être tué. La vie doit être retirée des désirs physiques et instinctifs. Leur énergie doit être réorientée. Le « corps », c’est-à-dire l’action physique, demeure. Mais sa motivation sera désormais exclusivement spirituelle : elle sera destinée à donner force à la vie du service divin. Ainsi dans le Talmud,14 Rabba dit : « Le vin et les épices odorantes m’ont rendu sage. » Réaliser cela, c’est arriver au stade de : « Dans toutes tes voies, connais-Le »,15 quand chaque action est accomplie pour la seule sainteté, jusqu’à ce que chaque action devienne elle-même sainte. C’est le cas, par exemple, du Chabbat, lors duquel le manger et le boire ne sont pas simplement un moyen de sanctifier le jour, mais sont eux-mêmes commandés comme faisant partie de cette sainteté ; la laine physique des Tsitsit, le cuir physique des Tefiline, toute action peut être sanctifiée à ce degré.
Puis vient le moment du « rapprochement ». Le corps et « l’âme animale » sont attirés dans le feu de l’âme, le feu de l’amour divin : « Ses flammes sont des flammes de feu, la flamme de D.ieu. »16 L’amour dont nos Sages disent17 qu’il est semblable « au feu du ciel » transforme la force animale en énergie fondue et remodelée en amour de D.ieu.
« Et tu aimeras l’Éternel, ton D.ieu, de tout ton cœur. » Nos Sages ont demandé : « Que signifie de tout ton cœur ? » Et ils ont répondu : « Avec tes deux penchants. »18 Quand la force et la passion de l’homme naturel sont exploitées pour l’amour de D.ieu de l’homme spirituel, le feu intérieur du Juif fusionne avec le feu céleste qui lui répond, et alors l’homme et D.ieu « se rapprochent ».
(Source : Likoutei Si’hot vol. 1, p. 205-208)
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