Rabbi Chimone bar Yo’haï, malade, était couché dans son lit. Trois de ses disciples vinrent lui rendre visite. C’était Rabbi Pin’has, Rabbi ‘Hiyya et Rabbi Abba. Ils le trouvèrent dans un état grave. Son fils Rabbi Elazar l’entourait de ses soins.

Les disciples ne purent cacher leur chagrin ; ils sentaient que leur saint maître leur serait bientôt enlevé. « Que deviendra le monde quand ses fondements mêmes n’existeront plus ? » pensaient-ils.

Mais Rabbi Chimone bar Yo’haï, lui, ne paraissait nullement inquiet. Il savait qu’il laissait derrière lui un fils qui continuerait à répandre la lumière profonde de la Torah, et apporterait un grand réconfort à son peuple. Rabbi Elazar avait passé treize ans caché dans la grotte avec lui, au temps où, recherchés tous deux par les Romains, leur vie était en danger. Cette période, tant le père que le fils l’avaient mise à profit pour accéder à des cimes rarement atteintes de la connaissance toranique et de la sainteté.

Rabbi Chimone réconforta ses disciples. « Je quitte ce monde le cœur plein d’allégresse, leur dit-il. Mon âme a accompli sa mission sur cette terre ; quand elle paraîtra devant le Juge Suprême, elle sera jugée avec miséricorde, et entrera dans un monde tout de lumière et de sainteté. »

Puis, soudain Rabbi Chimone bar Yo’haï ferma les yeux et tomba dans un profond silence. La crainte envahit le cœur des disciples. Était-ce la fin ? Mais l’instant d’après, leur anxiété fit place à un étrange sentiment de douceur et de joie. La chambre s’était emplie d’un parfum suave et merveilleux qui leur insufflait comme une vie nouvelle. Ils virent remuer en silence les lèvres de leur maître ; on eût dit qu’il poursuivait une conversation avec des anges invisibles.

Quelques minutes plus tard, l’atmosphère surnaturelle disparut et tout redevint normal. Rabbi Chimone rouvrit les yeux et sourit à ses disciples. Ils s’enhardirent jusqu’à lui demander ce qui était arrivé en ces moments extraordinaires,

« Pendant ce laps de temps, ma place au Gan Eden m’a été montrée ; mais elle ne m’a pas satisfait entièrement, répondit Rabbi Chimone. Aussi m’a-t-il été permis d’en choisir une autre. Je l’ai choisie aux côtés du prophète A’hiyah de Chiloh. À mon retour ici, un peu du parfum de Gan Eden restait sur moi. C’est ce qui explique le sentiment merveilleux que vous avez éprouvé. »

Un jour de grâce divine

Vint le jour de Lag BaOmer. Des choses étranges et qui tenaient du prodige se produisirent autour de Rabbi Chimone. Le saint maître commença à réviser nombre de ses enseignements, et révéla beaucoup de secrets de la Torah. Une lumière et une sainteté intenses entouraient Rabbi Chimone et emplissaient sa maison ; si intenses que les disciples ne purent en supporter l’éclat, et durent se retirer, à l’exception de Rabbi Elazar et de Rabbi Abba qui demeurèrent au chevet de Rabbi Chimone.

Ce dernier demanda à son fils d’appeler Rabbi Its’hak. Quand il fut là, Rabbi Chimone lui dit de s’asseoir près de son lit et d’écouter les paroles de Torah qu’il allait prononcer. Puis, il fit entrer ses disciples qui s’étaient rassemblés hors de la maison, et, avec un sourire radieux, il leur dit :

« Aujourd’hui est un jour de grâce et de bienveillance divines. D.ieu est présent parmi nous, le moment est propice pour atteindre aux hauts sommets de l’élévation spirituelle. Je vais vous révéler quelques-uns des secrets de la Torah, secrets que je n’ai, à ce jour, révélés à personne. Que Rabbi Abba se charge de prendre par écrit chacun de mes mots ; et vous tous ici présents, prêtez une oreille attentive, et que mes paroles pénètrent non seulement jusqu’à votre esprit, mais aussi au plus profond de votre cœur. »

Au mot « vie »...

Alors Rabbi Chimone bar Yo’haï s’enveloppa du Talith et poursuivit son monologue. Paroles et versets de la Torah sortaient de sa bouche dans une lumière nouvelle qui révélait la Sagesse Divine et secrète contenue dans ces mots d’apparence si simples. À un moment, il s’interrompit pour dire : « Placez une chaise pour mon beau-père Rabbi Pin’has ben Yaïr dont l’âme est venue du Gan Eden. » Et encore une fois, tous les présents furent envahis d’un profond sentiment de respect mêlé de crainte. Ils s’assirent sur le sol et, la tête baissée, retenant leur souffle, ils continuèrent à écouter avec la plus grande attention les enseignements de leur maître.

Rabbi Chimone commença à expliquer le verset : « Car c’est là que l’Éternel envoie la bénédiction, la vie pour l’éternité » (Psaume 133,3). Mais quand il parvint au mot « vie », il y eut un silence. Rabbi Abba, tenant la plume d’oie d’une main tremblante, attendait que le saint maître parlât à nouveau. Mais les lèvres de ce dernier demeurèrent fermées. L’instant d’après, une lumière d’une intensité insoutenable inonda la chambre. Complètement aveuglés par elle, les présents se prosternèrent face contre terre. Ils tremblaient de tous leurs membres et ne purent retenir leurs sanglots.

Quand ils relevèrent la tête, l’aveuglante lumière avait disparu. Ils virent alors le saint Rabbi, immobile sur son lit et les yeux clos. Une expression de félicité infinie se lisait sur ses traits ; ils comprirent que l’âme de leur maître bien-aimé avait regagné sa demeure céleste. Ce fut Rabbi ‘Hiyya qui rompit le silence :

« Le moment est venu de rendre un dernier hommage à notre saint maître, lui, la Brillante Ménorah, le Saint des Saints. »

Un miracle après l’autre

La nouvelle de la mort de Rabbi Chimone bar Yo’haï se répandit rapidement dans la ville. Des milliers de dévots ne tardèrent pas à prendre le chemin de la maison de l’illustre Tanna. Les représentants des différentes communautés où il avait vécu et dispensé ses enseignements se disputèrent le privilège d’avoir auprès d’eux sa précieuse dépouille. Au moment de la levée du corps, les disciples furent surpris de constater que, contrairement aux lois de la nature, celui-ci n’avait absolument aucun poids ; il demeurait suspendu à la hauteur de leurs épaules, et avançait tout seul ; ils n’avaient qu’à le suivre. Une colonne de feu précédait, montrant le chemin ; et le cortège la suivait lentement jusqu’à ce qu’elle fût parvenue à une grotte, non loin du village de Méron. Là, elle s’arrêta. Alors, les fidèles comprirent que c’était le lieu qu’avait choisi le saint Tanna pour dormir de son dernier sommeil. À un moment, une voix céleste se fit entendre ; elle dit : « Qu’il vienne et demeure ici en paix. »

Ainsi mourut le saint Tanna Rabbi Chimone bar Yo’haï, dont les enseignements sur la lumière intérieure de la Torah sont consignés dans le saint livre du Zohar (« Éclat ») ; livre qui, jusqu’à nos jours, n’a cessé d’être une source inépuisable de lumière et de sagesse divines, la lumière de la Kabbalah et de la ‘Hassidout.

Chaque année à Lag BaOmer, des milliers de Juifs se rassemblent à Méron pour célébrer l’anniversaire de sa mort. À proximité de sa tombe se trouve un Beth-Hamidrache où les fidèles se livrent à la prière et à l’étude du saint Zohar toute la nuit et le jour suivant. Dans la cour de ce Beth-Hamidrache une flamme est allumée dans un grand vase plein d’huile d’olive ; et, éclairés par cette lumière, les Juifs pieux, jeunes et vieux, dansent dans un état d’inspiration fervente. « Heureux es-tu, Bar Yo’haï ! », chantent-ils. Ces mots qui forment refrain reviennent souvent et résonnent à travers les collines et les vallées tout au long de la nuit.