Des signes de vitalité

Vie et activité sont des termes qui sont presque synonymes, car le mouvement est l’un des signes fondamentaux de la vie. La matière simple, inerte est limitée à son emplacement ou à sa trajectoire spécifiques, alors qu’une entité dotée d’une âme a l’aptitude de se mouvoir de là où elle se trouve vers le lieu de son choix.

De plus, en ce qui concerne l’être humain, le mouvement physique, mental ou spirituel tend à une direction « ascendante ». L’homme cherche à grandir et à avancer. Cela s’exprime particulièrement dans notre service divin. Car, associés à notre perception du spirituel, se trouvent notre conscience de notre volonté d’aller au-delà de nous-mêmes et de nous réaliser à travers le développement d’une relation avec notre source divine et infinie.

Les voyages personnels

Ces concepts ont leur écho dans la Paracha de cette semaine : Massei. Massei signifie « voyages » et la Torah évoque 42 étapes différentes dans le voyage de la nation juive naissante depuis la terre d’Égypte jusqu’à son entrée en Erets Israël. Le Baal Chem Tov explique1 que ces 42 étapes du voyage de notre peuple se retrouvent dans la vie de chaque individu lorsqu’il avance depuis sa naissance, son « exode d’Égypte » personnel jusqu’à son entrée dans la « Terre de la vie », correspondant spirituellement à Erets Israël.

Ce voyage à travers le désert (et à travers la vie) a pour objet de refléter une constante ascension spirituelle. Même les étapes associées à des événements négatifs ont, à leur source, un élan positif.

Pour donner un exemple, l’un des campements du peuple juif fut celui de Kivrot HaTaavah,  « les tombes de [ceux qui étaient possédés par le] désir », les Juifs y ayant enterré ceux qui avaient été punis pour leur appétit insatiable de viande.2

Ce nom, Kivrot Hataavah, signifie littéralement « les tombes du désir insatiable », c'est-à-dire qu’en ce lieu, les Juifs devaient atteindre un tel degré de connexion avec D.ieu qu’ils y auraient « enterré » tous leurs désirs matériels. Mais, dans la mesure où D.ieu désire que les accomplissements spirituels des Juifs soient menés par leurs propres efforts, le peuple avait reçu le libre arbitre et, dans ce cas précis, ils échouèrent. Malgré cet échec, l’impulsion associée à ce lieu et le potentiel correspondant qui peuvent être réalisés par chaque Juif, sont positifs.

De plus, même si une personne ne réalise pas d’emblée son potentiel à une étape particulière de sa vie et hésite à relever un défi spirituel, elle doit savoir que son « voyage » n’est pas terminé. Ce n’est qu’une étape, et une descente temporaire peut par la suite mener à une ascension,3 si elle corrigée par le service de la téchouva (retour à D.ieu).

Un campement ou un voyage ?

Ce qui précède soulève une question relative à la terminologie choisie par la Torah. Comme il a été mentionné, le mot massei signifie « voyages » et pourtant, dans le texte de la Torah, le sens en est « campements ». D’un point de vue linguistique, un tel usage ne pose pas de problème puisque, comme l’a précédemment commenté Rachi,4 « Comme [les Juifs] allaient plus tard voyager du lieu de ces campements, il est approprié de les décrire par le terme massaot [voyages]. » Néanmoins, la question reste pertinente. Apparemment, le fait que chaque campement soit nommé semble indiquer que chacun de ces points d’arrêt fut une entité à part entière.

Il est possible d’expliquer que l’intention est de souligner le fait que tous ces campements constituaient simplement des étapes intermédiaires dans le voyage vers Erets Israël. Notre vision doit toujours porter sur le but ultime ; en aucune façon un lieu de repos temporaire ne doit être considéré comme quelque chose de plus que cela.

Sans nier les aspects intéressants d’une telle explication, elle n’apparaît pourtant pas appropriée dans le contexte de la Paracha. La Torah recense en effet ces 42 étapes de façon à souligner les événements qui eurent lieu dans chacune d’entre elles,5 pour en tirer une leçon et, selon les enseignements du Baal Chem Tov, les appliquer à nos propres entreprises spirituelles.

Étant donné que chaque étape de ce voyage représente une phase de sainteté, elle possède une importance propre. En effet, nos Sages statuent6 que parce que ces campements furent faits « selon la parole de D.ieu »,7 chacun reçut une dimension d’éternité. Pourquoi, dans ce cas, la Torah les évoque-t-elle d’une manière qui souligne plutôt leur nature temporaire ?

Le but de notre service divin

Il est possible d’expliquer que la Torah utilise le terme massaot « voyages », parce que c’est l’expression ultime du potentiel humain. Comme nous l’avons dit, notre potentiel spirituel s’exprime en transcendant les circonstances immédiates. C’est dans cet esprit que la ‘Hassidout8 interprète le verset9 « Je t’accorderai [le potentiel] de progresser parmi ceux qui sont debout. »

« Ceux qui sont debout » se réfère aux anges ou aux âmes désincarnées qui vivent dans les sphères spirituelles. Ils sont décrits comme « statiques » du fait que leur service spirituel reste toujours au même niveau.10 En revanche, l’être humain a la possibilité de s’élever de façon illimitée et peut « progresser » bien au-delà de son état présent.11 C’est pour souligner ce potentiel et présenter son expression comme l’un des buts du service divin que la Torah appelle ces campements massaot.

Sur la voie du changement

Chaque avancée connaît deux phases : le départ de l’état précédant et l’approche de l’état futur. Massei met principalement l’accent sur le départ. Nous le voyons dans l’expression hessia (qui a la même racine que massei) et dato, qui signifie « il a détourné son attention ».

Pourquoi mettre l’accent sur le départ ? Parce que lorsqu’une personne peut voir sa destination, son degré de progrès s’en trouve déterminé et donc délimité. Massei, à l’inverse, souligne le fait de se mettre en route vers des horizons inconnus, comme les Juifs qui suivaient la colonne de nuée dans le désert. Car une avancée radicale n’est possible que lorsque l’on s’engage au changement sans aucune réserve.

Le voyage ultime

À propos du verset12 : « Voici les voyages des Enfants d’Israël qui quittèrent la terre d’Égypte », Rabbi Chnéour Zalman de Lyadi s’interroge13 : « C’est par un seul voyage de Ramsès à Soukkot que les Juifs quittèrent l’Égypte. Pourquoi donc tous les “voyages” suivants sont-ils associés à l’exode d’Égypte ?

Il explique alors que la forme plurielle est utilisée car tous les voyages du peuple juif à travers les siècles se sont fait « depuis la terre d’Égypte » (un état de limitation) vers Erets Israël (l’état de la liberté ultime que nous vivrons avec l’Ère de la Rédemption).14

Se concentrer sur ce but ultime rend tous nos accomplissements secondaires. Car, quelle que soit leur importance, ils sont minimisés par la conscience du but final, la venue de Machia’h.

L’individu et le tout

Le grand voyage de l’humanité se reflète dans le voyage personnel de chaque individu. Car chacun doit réaliser qu’il a sa propre mission, et un rythme auquel celle-ci doit s’accomplir. Pour certains, le voyage signifie dépasser son niveau de conscience spirituelle, alors que pour d’autres, cela signifie résister à s’enliser dans la plus grossière matérialité et s’engager sur le chemin de la quête spirituelle.

Il y a toutefois un dénominateur commun à tous ces voyages individuels. Ils impliquent tous un « départ d’Égypte », car même l’état spirituel le plus développé est limité par rapport au but ultime. Et aucun de ces voyages n’a d’objectif pour lui-même : ils font tous partie de notre progression vers ce but.

Avec un seul voyage, un homme peut quitter son Égypte personnelle et se joindre à la progression de l’humanité vers la Rédemption. Et ce premier voyage annonce le suivant, initiant de ce fait une dynamique qui se perpétuera jusqu’à ce que le but ultime soit atteint et que nous pénétrions tous à nouveau en Erets Israël sous la conduite de Machia’h.

Adapté de
Likoutei Si'hot vol. 2, p. 348;
vol. 6, p. 111ff: vol. 23, p. 224.