Le Talmud ne se soucie pas de l’égalité du temps de parole. D’après cette antique somme de la sagesse juive, si un type bien et un affreux sont candidats à une élection, il convient de faire un maximum de publicité pour le bon et totalement ignorer le méchant. Ne citez même pas son nom.

Le Talmud a une source pour ce parti-pris : le Livre – encore plus ancien – des Proverbes, rédigé par le Roi Salomon, qui dit : « L’évocation du juste est pour la bénédiction, et le nom des méchants pourrira. »1 Citant ce verset, le Talmud statue qu’« il est interdit de nommer son enfant d’après une personne méchante. »

Cela suscite une question : pourquoi donc la Paracha de cette semaine (Nombres 16 à 8) s’appelle-t-elle « Kora’h », du nom de celui qui conduisit une mutinerie contre Moïse et Aharon ? Si la Torah ne veut pas que nous appelions nos enfants Pharaon, Joseph Vissarionovich ou Capitaine Crochet, pourquoi nomme-t-elle l’une de ses propres sections du nom d’un pécheur impénitent, une personne dont les actes mirent l’existence même du peuple d’Israël au point où D.ieu le fit avaler par la terre de sorte qu’il « descende vivant dans l’abîme » ?


« Le chemin de l’enfer, » dit le dicton, « est pavée de bonnes intentions ». Kora’h, le seul homme dont il est dit qu’il rejoignit vivant ce lieu inconfortable, s’y retrouva aussi par l’effet de motivations tout à fait positives. Comme nous le rapporte la Torah, Kora’h était animé d’une noble et sainte aspiration : le désir de devenir Kohen Gadol (« Grand Prêtre »), qui le plus haut degré de service de D.ieu qu’une personne puisse atteindre.

Comment savons-nous qu’il s’agissait d’un désir positif ? D’abord parce que nos Sages nous disent que dans le monde futur parfait de Machia’h, chacun d’entre nous atteindra le même niveau d’intimité avec D.ieu que celui auquel aspirait Kora’h. Deuxièmement, parce que nous connaissons une autre personne à qui il fut interdit par décret divin, tout comme Kora’h, d’officier comme Kohen Gadol et qui pourtant était animé d’un désir insatiable de le faire. Qui était cette autre personne ? Moïse lui-même.

Voici Moïse s’adressant à Kora’h : « Nous n’avons qu’un seul D.ieu, une seule Torah, une seule loi, un seul Kohen Gadol et un seul Sanctuaire. Et pourtant, tu désires la Haute Prêtrise. Moi aussi je la désire ! »2

« Moi aussi je la désire ! » dit-il. Moïse plaisante-t-il ? Joue-t-il l’avocat du diable ? Ou bien avons-nous là un aperçu de ce qui se passe dans son âme, une âme animée d’un désir brûlant de quelque chose de tellement exalté et divin que c’en est hors d’atteinte même d’un Moïse, une âme dont l’aspiration la plus profonde se voit frustrée par un commandement divin qui lui barre le chemin et lui intime : « Arrête. Non. Pas encore. »

Kora’h et Moïse désiraient tous deux l’interdit. Chez Kora’h, ce désir apporta la destruction sur lui-même et ses partisans. Chez Moïse, le même désir alimenta une vie de grandeur.

Le chemin de l’enfer est pavé de désirs saints. Tout comme la route du ciel. La différence est subtile, mais cruciale : c’est la différence entre agir selon un désir saint au mépris du commandement de D.ieu et nourrir ce désir, lutter contre lui, vivre une vie passionnément vouée à sa poursuite tout en s’abstenant de toute action interdite par l’objet du désir.

C’est la raison pour laquelle, explique le Rabbi, cette section de la Torah s’appelle Kora’h. La Torah nous dit ici qu’il existe deux Kora’h : Kora’h l’être humain et Kora’h la section de la Torah. Ou si vous voulez, le corps de Kora’h et l’esprit de Kora’h.

Kora’h, l’être humain qui traverse la ligne séparant le bien du mal, la ligne définie par les commandements de D.ieu, doit être rejeté. Mais Kora’h, la section de la Torah – l’aspiration sainte qui assaille les barricades que D.ieu a construites pour contenir l’élan de notre âme vers le ciel, notre âme qui y aspire, qui y tend, mais n’ose pas violer la volonté divine –, ce Kora’h là doit être rallié.