« Et Dina, la fille de Léa qu’elle avait donnée à Jacob, sortit voir les filles du pays. Et Chkhem, le fils de ‘Hamor le ‘Hivite, prince du pays, la vit et il l’enleva... »

(Genèse 34, 1-2)

Dans le 34ème chapitre de la Genèse, nous lisons l’enlèvement de Dina, le complot de ses frères pour neutraliser le peuple de Chkhem, son sauvetage et la destruction de la ville.

C’est le fait que Jacob avait isolé Dina – et non la propension de Léa et de Dina à sortir – qui fut la cause de la détresse de Dina.

Nos Sages remarquent que dans le verset qui ouvre le récit, la Torah introduit Dina comme étant la fille de Léa. On ne se réfère pas à elle comme « fille de Jacob » ni comme « fille de Jacob et de Léa », ni même en tant que « fille de Léa et de Jacob », mais comme « fille de Léa qu’elle avait donnée à Jacob ». Rachi explique :

Parce qu’elle sortit, elle est appelée la « fille de Léa ». Car [Léa] également était une femme qui sortait, comme il est écrit : « Et Léa sortit pour l’accueillir » (Genèse 30, 16). À son sujet, il a été dit : « Telle mère, telle fille. »

À première vue, cela paraît constituer une critique des comportements de Léa et de Dina. La caractéristique d’une femme juive est en effet sa discrétion dans son vêtement et dans son comportement comme cela s’exprime dans le verset (Psaumes 45, 14). « כָּל כְּבוּדָּה בַת מֶלֶךְ פְּנִימָה – Toute la gloire de la fille du roi se trouve dans l’intériorité. » Une jeune fille juive, semble impliquer Rachi, n’a pas à sortir visiter les filles d’une terre païenne ; quand elle le fait, elle ne se comporte pas comme la fille de Jacob, mais comme sa mère, connue pour s’être, à certaines occasions, avancée à sortir de son propre gré. Pour la fille du roi, quitter son sanctuaire intérieur, c’est s’exposer à toutes sortes de rencontres dangereuses, comme le démontre tragiquement l’histoire de Dina.1

Cependant, cela ne peut pas être l’intention de Rachi car cela va à l’encontre de ce qu’il écrit dans son commentaire dans un verset précédent. Quelques chapitres plus tôt, lorsque Jacob se prépare à la rencontre avec son frère impie Ésaü, nous lisons :

« Et Jacob prit ses deux épouses, ses deux servantes et ses onze fils et il traversa le gué de Yabok. » (Genèse 32, 23).

Et Rachi de demander : et qu’en est-il de sa fille ?

Où était Dina ? Jacob l’avait placée dans une caisse et l’y avait enfermée de peur qu’Ésaü ne jette ses yeux sur elle. Pour cela, Jacob fut puni car s’il ne l’avait pas cachée de ses yeux, peut-être aurait-elle ramené Ésaü sur le bon chemin. [La punition fut qu’]elle tomba entre les mains de Chkhem.

En d’autres termes, c’est le fait que Jacob avait isolé Dina – et non la propension de Léa et de Dina à sortir – qui fut la cause de la détresse de Dina. Elle n’aurait pas dû être cachée des yeux d’Ésaü. Sa rencontre avec le « grand et méchant » monde n’aurait pas dû être empêchée ; en fait, elle aurait été positive. Jacob craignait qu’elle ne soit corrompue par son mauvais oncle ; il aurait dû réaliser qu’avec ses solides bases morales et son intégrité absolue, elle était plutôt prête à influencer positivement Ésaü.

Sa rencontre avec le « grand et méchant » monde n’aurait pas dû être empêchée ; en fait, celle-ci aurait été positive.

Il est assez intéressant, d’observer également ici une relation mère-fille. La Torah (Genèse 29, 17) nous dit que « les yeux de Léa étaient faibles ». Rachi explique qu’ils étaient faibles à cause des pleurs :

Elle pleurait en pensant qu’elle serait la destinée d’Ésaü. Car tout le monde disait : Rebecca a deux fils et Lavan a deux filles ; l’aîné, Ésaü, est destiné à la fille aînée (Léa) et le cadet (Jacob), à la plus jeune (Rachel).

Et cela était bien plus qu’une spéculation ; selon le Midrach, ces mariages avaient été ordonnés dans le ciel. Mais les prières pleines de larmes de Léa changèrent le décret divin, et les deux sœurs furent mariées au fils le plus jeune, le juste parfait. Cependant Léa était l’âme-sœur potentielle d’Ésaü. Si elle-même ne s’était pas senti la force de relever le défi de faire face à son impiété, sa fille et héritière spirituelle, Dina, aurait pu servir d’instrument pour la rédemption d’Ésaü.

C’est là le sens plus profond de l’adage « telle mère, telle fille » relevé par Rachi. Nos enfants héritent non seulement de nos traits visibles, mais aussi de nos potentiels irréalisés. Physiquement, une mère aux yeux bruns peut transmettre à son enfant son potentiel d’avoir des yeux bleus, hérité de sa propre mère mais dormant dans ses gènes. Spirituellement, un parent peut donner à son enfant l’aptitude de parvenir à ce qui chez lui, le parent, n’est rien de plus qu’un potentiel subtil enfoui dans le plus profond de son âme.

Nos enfants héritent non seulement de nos traits visibles, mais aussi de nos potentiels irréalisés.

Ainsi, la sortie de Dina, pour faire connaissance avec les filles du pays, était parfaitement en harmonie avec les capacités uniques de sa mère. Son exposition à un environnement étranger n’aurait pas affecté sa féminité juive, sa gloire intérieure de fille du roi. Au contraire, elle était née avec le rôle d’une femme juive qui sort pour servir de source de lumière à son entourage sans pour autant compromettre sa discrétion et son intériorité. C’est plutôt la tentative de Jacob de l’enfermer qui suscita le désastre. En sortant vers « les filles du pays », Dina était réellement la fille de Léa, au sens positif. Elle n’était pas la fille de Jacob, car Jacob avait hésité à exploiter sa nature extravertie.2

Extérioriser l’intériorité

Il y a ici un message pour les femmes de toutes les générations.

La Torah considère l’homme et la femme comme ayant été pourvus par le Créateur de caractéristiques et de rôles spécifiques. L’homme est un conquérant, chargé de transformer un monde souvent hostile qui lui résiste. À cette fin, il a été doté d’une nature extravertie, entreprenante, une nature qu’il se doit d’utiliser en adéquation avec la guerre qu’il mène pour la vie, la guerre contre les aspects négatifs du monde extérieur, la guerre pour libérer tous les éléments positifs et toutes les opportunités positives, captives dans les coins les plus spirituellement déserts de la Création divine.

La femme est diamétralement son contraire. Sa nature intrinsèque est de non-confrontation, d’introversion et de discrétion. Pendant que l’homme combat les démons de l’extérieur, la femme cultive la pureté de l’intérieur. Elle est le pilier de son foyer, la nourricière et l’éducatrice de la famille, gardienne de tout ce qui est saint dans le monde de D.ieu. Toute la gloire de la fille du roi est intériorité.

Mais cela ne signifie pas qu’elle doive rester enfermée. La femme joue également un rôle qui dépasse les limites de son foyer, qui touche les plus étrangères des filles et les plus païennes des terres. Une femme qui a été bénie de l’aptitude et du talent pour influencer ses sœurs peut et doit « sortir », laissant périodiquement son havre de sainteté pour atteindre celles qui ont perdu leurs racines et le sens de leur vie.

Et quand elle le fait, elle n’a pas besoin de – et ne doit pas – emprunter l’apparence guerrière de l’homme. La confrontation et la conquête ne sont pas les seules approches du monde extérieur ; il existe aussi une démarche féminine, une voie douce, discrète et empathique pour extraire le bon du mal qui fait rage à l’extérieur. La confrontation est souvent nécessaire, mais est aussi souvent inefficace, voire nocive. Le combat le plus féroce a aussi besoin d’une touche féminine – celle de la femme tournée vers l’extérieur.3