« Mon Korban, Mon offrande de feu, Ma douce saveur, tu observeras pour M’offrir en son temps... deux [offrandes] chaque jour, une offrande régulière... »

(Nombres 28, 2-3)

L’être humain est attiré par l’inhabituel. On peut tenir le raisonnement que ce sont les choses routinières de la vie : l’inspiration et l’expiration d’air, nos repas quotidiens, notre vie domestique, notre travail, qui sont cruciales dans notre existence alors que les choses « spéciales » ont un impact moins important. L’on peut tenir ce raisonnement mais sans résultat. Notre nature veut que l’occurrence d’un événement particulier en fait « l’occasion » alors qu’un événement attendu perd son intérêt et son sens.

C’est pourquoi la Torah délègue les aspects variés de notre relation avec D.ieu aux Moadim ou « moments particuliers ». Il nous est enjoint de conserver une conscience perpétuelle du Créateur. Et pourtant un jour par semaine est désigné comme moment particulier pour « se souvenir… que le monde a un Créateur » et « pour établir dans nos cœurs la croyance en la création du monde par D.ieu en six jours ». Il nous est commandé : « Rappelle toi le jour où tu es sorti d’Egypte tous les jours de ta vie » et pourtant, une fois par an la fête de Pessa’h est l’occasion marquée pour se consacrer et intérioriser le don de la liberté. Et ainsi en va-t-il avec les autres Moadim du calendrier juif : si ce sont des jours « spéciaux » dont le message et la portée donnent une impression durable sur nos âmes, ils doivent être des jours occasionnels, des détours de la routine de notre vie.

Nos Sages vont jusqu’à dire : « celui qui récite le Halel chaque jour commet un blasphème ». Le Halel est une prière de louanges et de remerciements à D.ieu pour les miracles qu’Il a accomplis pour nous et que l’on récite lors des fêtes ou d’autres jours spécifiques. Mais il ne nous est pas enjoint de remercier D.ieu « pour les miracles que Tu accomplis pour nous chaque jour ». Pourquoi donc réserver le Halel pour les jours qui commémorent la sortie d’Egypte ou le miracle de l’huile qui brûla huit jours ? Chacun de nos battements de cœur n’est-il pas un miracle et tout aussi digne de reconnaissance et de gratitude ?

Mais réciter le Halel tous les jours serait comparable à ne pas le réciter du tout. Il est sûr que notre vie « routinière » doit être imprégnée d’une prise de conscience et d’un sentiment de gratitude à l’égard de notre Créateur; c’est à cette fin que le Juif prie trois fois par jour, le matin, l’après midi et le soir. L’intérêt particulier du Halel est que, outre qu’il constitue un ajout à nos prières quotidiennes, il nous permet d’exprimer lors de certaines occasions une appréciation « spéciale » des miracles divins, une spécificité qui perdrait inévitablement sa force si la récitation du Halel devenait une routine purement quotidienne.

Au-dessus de la nature

C’est de cette manière, entre autres, que la Torah nous recommande d’utiliser nos spécificités et nos inclinations innées dans la quête d’une vie plus sainte et plus divine. Mais la Torah demande plus encore. D.ieu désire de nous plus que l’exploitation optimale de la nature humaine, Il veut que nous transcendions également notre moi naturel dans notre relation avec Lui.

La Torah nous pourvoit en « routines » (comme les prières quotidiennes) qui ont pour but de faire de notre relation avec Lui une partie intégrante de notre vie quotidienne, tout comme en « moments spécifiques » pour souligner leur importance et leur particularité. Et même temps, néanmoins, elle nous pousse à dépasser ces catégorisations, à donner un sens unique et particulier aux rythmes « réguliers » de la vie.

Cela se reflète dans la manière dont la Torah introduit les lois des Korbanot quotidiens (offrandes animales et de repas) apportés au Saint Temple. Les Korbanot tombent dans deux catégories générales : les offrandes régulières (Temidim) apportées chaque jour et les offrandes additionnelles (Moussafim) qui variaient en fonction des circonstances, reflétant la nature et la caractéristique des moments où elles étaient apportées.

En règle générale, la Torah utilise le mot Moed (« temps approprié ») pour se référer à ces jours spéciaux du calendrier, imprégnés par le Créateur du temps de ressources et de potentiels spirituels uniques (la tranquillité du Chabbat, la liberté de Pessa’h, la joie de Soukot, etc.) Néanmoins, en introduisant les lois de ces sacrifices quotidiens, la Torah statue : « Mon Korban, Mon offrande de  feu, Mon doux parfum, tu observeras pour Me l’offrir au moment propice ». Rachi dans son commentaire note à propos de ce verset l’utilisation inhabituelle du terme Moed et remarque : « le moment propice des offrandes perpétuelles est chaque jour ».

Les Korbanot qui représentent les efforts de l’homme pour raffiner et élever son moi naturel et le rapprocher de D.ieu constituent l’un des « trois piliers de la création » (aujourd’hui, le Temple n’étant pas encore reconstruit, la prière remplit le rôle des Korbanot). Dans ce contexte, la Torah fait allusion à la nécessité de dépasser les habitudes et les instincts du moi naturel dans notre relation avec D.ieu. Notre nature dicte que ces « occasions » dans notre vie soient touchées d’une vitalité et d’un enthousiasme spéciaux et que nous exploitions ces forces dans ces occasions spécifiques de notre relation avec le Tout Puissant. Mais nous devons également nous atteler à faire de « chaque jour un moment propice », à éveiller en nous l’admiration et le sentiment d’unicité devant chacun des aspects routiniers de notre vie quotidienne.

En fait, les concepts même de « monotonie » et d’« ordinaire » sont une illusion résultant de notre inaptitude à voir au-delà des limites de la nature humaine. En réalité, la diversité ne consiste pas en voir la différence entre une chose et une autre  mais la qualité inhérente de la chose elle-même. En fait, chaque moment de la vie est une création distincte de D.ieu, renfermant un potentiel unique, spécial et indispensable qui ne peut être supplanté par rien d’autre.