Adapté de
Likoutei Si’hot, vol. I, p. 254 et suiv. ; vol. XII, p. 91 et suiv.;
Si’hot Chabbat Parachat A’harei-Kedochim 5745

Y a-t-il du gris ?

La notion de code religieux évoque chez beaucoup de personnes une liste de prescriptions et d’interdictions. Définir ainsi les choses en termes de noir et blanc présente le service divin comme plus simple à accomplir. Quand quelqu’un sait clairement ce qui lui est prescrit et ce qui lui est défendu, sa tâche devient plus évidente. Certes, il peut rencontrer des obstacles, mais connaître ce qui est « bien » et ce qui est « mal » permet de les surmonter plus facilement, et la détermination à faire le « bien » révèle de puissants potentiels intérieurs.

De plus, même en cas d’échec, il est crucial de savoir ce qui est « bien ». Il reste toujours possible de rectifier son comportement par la techouva, la repentance sincère. Quand une personne adhère à un code absolu du bien et du mal, elle prend conscience des fautes qu’elle a commises. Cela l’incite à regretter sincèrement sa conduite et à s’efforcer de la corriger.

Cependant la vie n’est pas en noir et blanc, non plus que la conception juive du service divin. Pour prendre un exemple simple, faire le choix de manger casher n’est que le début de notre service divin en matière d’alimentation. Même lorsque la nourriture est casher, on doit manger dans l’intention d’utiliser l’énergie vitale divine qu’elle contient pour servir D.ieu.

Il en va de même pour la vie dans son ensemble ; même une personne qui se limite à des activités permises et prend soin de ne transgresser aucune interdiction, peut se livrer à une quête du plaisir égocentrique. Pour se prémunir contre cela, la Torah nous enjoint : « Soyez saints »,1 ce qui signifie agir avec une réserve réfléchie et veiller à ce que « tous [nos] actes soient pour l’amour du Ciel ».2 Et à un niveau plus élevé encore, nous devrions aspirer à « Connaître D.ieu dans toutes [nos] voies ».3

Cette perspective est un pilier de la pensée ‘hassidique. Dans le Tanya,4 l’Admour Hazakène classe « chaque acte [...] qui ne contient aucun aspect interdit [...] mais n’est pas accompli pour l’amour du Ciel [...] même quand il s’agit d’un besoin corporel, [nécessaire] pour la préservation de soi-même et de sa vie » comme relevant de la kelipa. Ce terme, signifiant littéralement « coquille » ou « écorce », est employé dans la Kabbale pour désigner le mal. Car, tout comme une personne peut se concentrer sur la coquille d’un fruit plutôt que sur le fruit lui-même, de même, une personne peut se focaliser sur les aspects superficiels et matériels du monde, ignorant son essence divine. Et puisqu’elle ne sert pas D.ieu à ces moments, elle est alors séparée de Lui.5

Implication, pas ascétisme

Ce concept éclaire la conception juive de la sainteté. Le terme hébreu kadoch, qui signifie « saint », implique la séparation6  ; une distinction doit être faite entre l’approche juive et une approche profane de toute question particulière, comme le dit la conclusion de notre lecture de la Torah : « Vous serez saints pour Moi, car Moi, D.ieu, Je suis saint, et Je vous ai séparés des nations pour être à Moi ».7

Une telle distinction est inutile en ce qui concerne les dimensions rituelles de la Torah et de ses mitsvot. Celles-ci sont clairement distinctes et il n’est nul besoin de faire quoi que ce soit de plus pour les distinguer. Notre lecture de la Torah porte sur des préoccupations partagées par tous les mortels. C’est pourquoi elle relate des lois concernant l’agriculture, les relations humaines, le commerce et la moralité sexuelle. Car c’est dans ces domaines « terrestres » que s’exprime la sainteté du peuple juif.8

Le judaïsme ne voit pas la sainteté comme synonyme d’abstention ascétique. Au contraire, il exige qu’une personne interagisse avec son environnement et le pénètre de sainteté.9

« Vous pouvez être comme Moi »

D’un autre côté, kedoucha, la « sainteté », fait également référence à un niveau qui transcende l’existence matérielle, à la lumière divine qui est, par nature, séparée et distincte de notre cadre de référence humain. Mais bien que cette sainteté dépasse la perception de nos sens mortels, elle n’est pas totalement hors de notre portée.

Ce concept se reflète dans une interprétation hassidique de ce passage du Midrash10  :

Il est écrit : « Soyez saints ».11 Cela signifie-t-il que vous pouvez être comme Moi [D.ieu] ? Le verset continue : « puisque Moi, D.ieu, votre Seigneur, suis saint » ; Ma sainteté est plus grande que votre sainteté.

La pensée ‘hassidique,12 cependant, donne à l’expression hébraïque יכול כמוני (« Cela signifie-t-il que vous pouvez être comme Moi ? ») un sens affirmatif plutôt qu’interrogatif : « Cela signifie que vous pouvez être comme Moi », enseignant que chaque être humain peut atteindre un niveau de sainteté équivalent à celui de D.ieu Lui-même.13 Dans la mesure où chacun d’entre nous possède une âme qui est « une partie réelle de D.ieu »,14 et « Moi, D.ieu, votre Seigneur, suis saint », chacun de nous peut atteindre les plus hauts sommets de la sainteté.

Et l’humanité peut même augmenter la sainteté de D.ieu, pour ainsi dire, comme le disent nos Sages15  : « Si vous vous sanctifiez, Je considérerai cela comme si vous M’aviez sanctifié. »

De l’intérieur vers l’extérieur

Ces deux concepts sont interdépendants. Parce qu’une personne possède une « partie réelle de D.ieu » en son être, il lui est possible d’apprécier et d’exprimer la sainteté à tous les niveaux, même dans les limites de l’existence matérielle.

De plus, ce potentiel intérieur incite chaque individu à rechercher continuellement des degrés plus élevés de sainteté. Tout comme D.ieu est illimité, transcendant tous les niveaux, de même, chaque personne peut accéder à des niveaux toujours plus sublimes et élevés.

La sainteté ensuite

La paracha de Kedochim est souvent lue avec celle d’A’harei. La paracha d’A’harei souligne le développement d’une connexion intérieure avec D.ieu. Mais A’harei parle aussi de ce qui doit se passer ensuite : ce lien ne doit pas être une expérience isolée, mais doit se perpétuer et se répandre à l’extérieur.

Cela est complété par la leçon de Kedochim, qui éclaire la possibilité de mener une vie en communion avec D.ieu, même au cœur des réalités quotidiennes. Pour y parvenir, il est nécessaire de se concentrer sur la force vitale divine qui soutient l’existence et se manifeste à travers ses éléments physiques. Cela permet d’insuffler de la sainteté dans chaque facette de notre existence.

Les principes mentionnés ci-dessus revêtent une importance particulière à notre époque, juste avant l’avènement de Machia’h. À l’Ère de la Rédemption, l’essence divine présente en chaque individu sera révélée, conformément aux enseignements de nos Sages16  : « Dans les Temps Futurs, tous les justes17 proclamés saints, comme D.ieu est proclamé saint. »

La réalisation de cet état est tributaire de nos efforts pour cultiver raffinement et sainteté dans notre vie actuelle. Ces efforts agissent comme des catalyseurs qui hâtent l’avènement de la Rédemption.