Quarante ans après l’envoi des explorateurs par Moïse, c’est au tour de Josué, son successeur, de reproduire l’expérience. Cette fois, cependant, seuls deux hommes sont envoyés, deux êtres choisis pour leur droiture et leur dévouement.
Le premier était Calev, qui faisait déjà partie de la première expédition mais qui se désolidarisa des comptes-rendus effrayants que ses compagnons firent de la Terre d’Israël.
Le second était Pin’has qui vola au secours de son Maître Moïse lorsque qu’il eut maille à partir avec Zimri, le prince de la tribu de Chimone.
Calev et Pin’has se mirent donc en route pour ramener à Josué les informations nécessaires à la conquête de la Terre d’Israël.
Les deux hommes arrivèrent ainsi à Jéricho chez une femme du nom de Ra’hav. Et bien que le terme que le Texte utilise pour la qualifier puisse laisser place à une certaine ambiguïté, les Maîtres du judaïsme ne font aucun mystère sur le fait qu’elle était une prostituée.1 Ils iront même jusqu’à dire qu’elle était la courtisane préférée des notables de tout le pays, tant et si bien que sa maison était le lieu où circulaient toutes les informations sensibles du pays.
C’est pour cette raison que nos deux explorateurs se retrouvèrent chez elle. Aussi, leur présence ayant été signalée au roi, des soldats furent dépêchés chez Ra’hav pour les capturer, car cette visite était attendue, et redoutée...
Depuis la sortie d’Égypte, les habitants de Canaan savaient en effet que la dernière étape du périple du peuple d’Israël serait la conquête de cette terre qui deviendrait alors la Terre d’Israël.
Toutefois, Ra’hav ne collabora pas avec les soldats. Elle cacha Calev et Pin’has sous un tas de feuilles de lin qui se trouvait sur son toit et assura aux militaires qu’ils avaient déjà quitté la ville en leur indiquant la direction qu’ils avaient prétendument empruntée.
Ra’hav attendait ce moment de longue date. Elle pressentait qu’elle aurait un rôle à jouer dans l’installation d’Israël sur la Terre que D.ieu leur avait promise. Aussi, dès que le danger fut écarté, Ra’hav retourna vers eux sur son toit et leur dit2 : « Je sais que D.ieu vous a donné cette terre […], car nous avons entendu tout ce qu’Il a fait pour vous lors de votre sortie d’Égypte [et savons maintenant] que votre D.ieu est le D.ieu du ciel et de la terre ! Maintenant, demanda-t-elle, en échange du bien que je vous ai fait, je n’ai qu’une requête. [Lorsque vous reviendrez pour prendre possession de la terre] promettez-moi de nous épargner ma famille et moi-même […]. »
Calev et Pin’has s’engagèrent à lui laisser la vie sauve ainsi qu’à tous les siens et lui demandèrent d’attacher un ruban pourpre à sa fenêtre afin que sa maison soit facilement reconnaissable.
Elle fit alors descendre ses hôtes à l’aide d’une corde par sa fenêtre, le mur de sa demeure faisant partie de la muraille de la ville de Jéricho.
Les Maîtres du Talmud raconteront3 l’autre partie de l’histoire. Durant toutes ces années, Ra’hav avait eu une existence peu recommandable. L’arrivée des explorateurs provoqua chez elle une volonté d’adopter un comportement plus digne. De changer de vie. Complètement.
Aussi nous disent nos Maîtres,4 au moment de se convertir au judaïsme, elle s’adressa à D.ieu en lui disant : « Que par le mérite de la corde, des branches de lin et de la fenêtre me soient pardonnées la corde, les branches de lin et la fenêtre. » Par ces mots, elle voulut dire qu’alors qu’auparavant elle utilisait les branches pour cacher les personnes qui ne voulaient pas être vues chez elle et les faisait partir par sa fenêtre à l’aide d’une corde, tout ceci pour des raisons peu avouables, elle avait, cette fois-ci, utilisé le même mode opératoire pour permettre au plan divin de s’accomplir. Elle demandait ainsi à D.ieu d’expier ses fautes.
Mais pourquoi avait-elle éprouvé le besoin de rappeler ces trois objets alors qu’une demande de pardon aurait été suffisante ?
Le Maharal de Prague5 donne à cette question une réponse éblouissante dans laquelle chacun de nous, à un certain degré, pourrait se retrouver.
Les trois objets que cite Ra’hav symbolisent les défis de la condition humaine et la nécessité d’y répondre de la manière la plus adéquate.
En hébreu les étoffes de lin portent le nom de bad qui est de la même racine que le mot lévad qui signifie « seul ». Elles symbolisent ainsi ce sentiment naturel que l’homme a d’être seul. La corde, quant à elle, symbolise le besoin qui en découle de s’attacher et de se connecter à un autre. D’aimer et d’être aimé. Mais pour cela il lui faudra ouvrir ses horizons, ouvrir son cœur et son âme pour chercher cet autre et lui permettre d’entrer dans son cœur. C’est cette ouverture que symbolise la fenêtre.
Plus profondément encore, ce sentiment de solitude et ce besoin de lien sont en fait la volonté de chaque Juif de se lier à D.ieu. Il lui faut pour cela s’ouvrir à une dimension qui le dépasse mais qui pourtant l’habite. Il doit ouvrir une fenêtre sur son âme pour lui permettre de se connecter à son Créateur. Et le Texte ne compare-t-il pas les Commandements à une corde tressée de 613 fils ?
Il arrive cependant que, se trouvant en exil et ressentant cette solitude sans pouvoir l’interpréter, l’homme se tourne vers des liens de substitution et tente de combler son vide par des compensations qui ne pourront, à terme, que le décevoir et provoquer chez lui un vide encore plus grand qu’il tentera encore de combler.
Ce fut cette expérience que vécut Ra’hav. Aussi, s’adressant à D.ieu, elle exprima qu’elle avait compris que, pendant toutes ces années, c’était en fait Lui qu’elle cherchait ; que toutes les connexions qu’elle avait pu faire n’étaient que l’expression de sa volonté désespérée de s’attacher à Lui. Aussi Lui rappela-t-elle les trois objets, symboles de sa recherche, pour dire qu’enfin, elle L’avait trouvé.
Ra’hav devint l’illustre ancêtre de 8 prophètes dont le célèbre Jérémie.
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