Jacob, Joseph et tous ses frères avaient disparu. Leurs enfants étaient maintenant nombreux et constituaient désormais un peuple.

Mais leur nombre fit naître chez Pharaon une inquiétude qui, avec le temps, se transforma en défiance puis en haine. Il décida de les asservir, ajoutant chaque jour plus d’humiliations, de brimades et de tortures.

Et vint le jour où ses oracles lui prédirent qu’allait naître un garçon qui sauverait le peuple juif de l’esclavage. Aussi, puisque ce que les oracles avaient vu dans le ciel ne précisait pas l’origine ethnique dudit sauveur, Pharaon édicta un décret auquel aucune famille égyptienne ne saurait se soustraire : « Tout enfant mâle qui naîtra sera jeté dans le Nil et toutes les filles seront laissées en vie. »

Mais bravant la surveillance étroite des soldats égyptiens, Yocheved se mit en tête que son fils échapperait à la mort. Elle plaça alors son nouveau-né dans un panier qu’elle déposa au bord du fleuve sous l’œil protecteur de sa sœur Myriam.

Et D.ieu mit sur son chemin le regard bienveillant de la propre fille du Pharaon, Batyah, qui, bien qu’ayant conscience des origines de l’enfant, le prit sous son aile protectrice et lui donna un nom : Moché (Moïse), « parce que, dit-elle, je l’ai sauvé des eaux ».

Moïse grandit donc sous les ors du palais royal, Batyah l’ayant adopté et fait grandir comme son fils. Mais sa position privilégiée ne l’empêcha pas de souffrir pour son peuple et de considérer insupportable l’injustice dont ses frères étaient victimes.

Aussi, à l’âge de 20 ans à peine, Moïse assista à une scène qui changea le cours de sa vie. Un Égyptien s’en prenait à un Hébreu et le battait jusqu’à risquer de lui ôter la vie. Moïse s’interposa et tua le bourreau pour sauver la victime.

Les Hébreux étant considérés comme des citoyens de seconde zone sur lesquels les Égyptiens avaient droit de vie et de mort, ce geste allait à contre-courant de la philosophie du pays et valut à Moïse une condamnation à la peine capitale.

Il fut contraint de s’enfuir pour échapper au glaive de Pharaon qui, considérant son acte comme une haute trahison, passa, en l’espace d’un instant du statut de grand-père aimant à celui d’ennemi implacable.

La suite est bien connue : après avoir eu la révélation divine au cœur du buisson ardent, Moïse reviendra de son exil forcé pour libérer le peuple d’Israël d’un esclavage impitoyable qui aura duré 210 ans. Cependant, l’analyse de ces faits soulève quelques interrogations.

En effet, pour noble que fut son geste, était-il bien utile ?

En effet, Moïse étant officiellement le petit-fils du Pharaon, il était promis à un brillant avenir. En restant dans le palais royal, il aurait certainement succédé un jour à son grand-père. Son sens de la justice et de l’équité lui aurait alors été infiniment plus utile en haut d’un trône que pour le fugitif qu’il était devenu. Et qui plus est, devenu souverain d’Égypte, il aurait pu libérer non pas un unique Hébreu, mais l’ensemble du peuple ! Certes, il aurait fallu pour cela qu’il accepte de regarder sans réagir et de laisser mourir un innocent mais cette retenue n’aurait-elle pas été bénéfique sur le long terme ? En agissant comme il l’a fait n’a-t-il pas pris le risque de ne plus jamais pouvoir aider son peuple ?

À l’évidence, si Moïse fut choisi pour être le berger d’Israël c’est précisément parce qu’il n’avait fait aucun de ces calculs ! Ces considérations de realpolitik lui étaient totalement étrangères, car, pour lui, le sang de chaque être humain avait la même valeur. Et comme le dira plus tard le Talmud, « qui sauve un seul homme sauve le monde entier ».

Aussi, dès lors qu’il fit face à une injustice, la seule réaction de Moïse fut d’accomplir son devoir et de protéger l’innocent sans s’immiscer dans les desseins divins. L’Histoire des hommes ne dépendant que de D.ieu, il ne lui appartenait pas de supputer le destin qu’Il lui réservait. La seule chose qui l’animait alors était de faire ce qui était juste à ce moment précis.

Mais pour cela il avait aussi bénéficié d’un illustre exemple. En effet, sa mère adoptive n’avait-elle pas, elle aussi, été prête à lui sauver la vie au péril de la sienne ?

Pourtant, comme l’Histoire le prouvera à d’innombrables reprises, être la fille d’un tyran ne garantit pas de ne pas être victime de sa tyrannie.

Sauver la vie d’un enfant dont Pharaon avait décrété l’exécution l’exposait à de terribles représailles. Mais elle accepta de courir ce risque tout simplement parce que c’était ce qu’elle se devait de faire à ce moment-là.

Et son acte changea la face du monde…

Aussi, le Talmud nous dit que c’est grâce à ce geste qu’elle portera le prénom de « Batyah ». Car D.ieu lui dit en effet : « Comme tu as pris le risque de sauver la vie d’un fils qui n’était pas le tien, Je te nommerai Batyah (la fille de D.ieu), car pour l’éternité tu seras Ma propre fille ».