Les plus grands champions du progrès moral semblent toujours posséder une langue de velours. Ils développent leur argumentaire avec des mots parfaitement choisis, et peuvent modeler l’opinion publique par la seule puissance de leur éloquence. Mais le premier défenseur de la liberté humaine, le premier à dénoncer l’asservissement d’une nation entière, avait des « lèvres scellées ».1

Chaque être humain a une valeur incalculable

Enfant, à la cour du pharaon, Moïse tendait souvent la main vers la couronne du souverain. Craignant que ce comportement ne soit l’expression d’une dangereuse ambition, ses conseillers imaginèrent un moyen de vérifier les intentions de l’enfant. Un bol de braises ardentes fut placé à côté d’un bol rempli d’or. Si le garçon tendait la main vers l’or, cela confirmerait qu’il était attiré par le pouvoir et la gloire ; s’il choisissait les braises, c’était un enfant comme les autres. Moïse dirigea sa main vers l’or, mais un ange la redirigea vers les braises. Par reflexe enfantin, il porta ce qu’il avait saisi à sa bouche et se brûla gravement la langue, ce qui lui infligea à vie un trouble de la parole.2

Quatre-vingts ans plus tard, Moïse se tint devant le buisson ardent et reçut l’ordre de D.ieu de faire sortir son peuple de l’esclavage égyptien. Bien que les cicatrices sur sa langue se soient estompées, elles demeuraient présentes dans son esprit.

« De grâce, Seigneur. Je n’ai jamais été un homme de paroles, ni d’hier, ni d’avant-hier, ni depuis que Tu parles à Ton serviteur ; car j’ai la bouche pesante et la langue pesante. »3

C’était une impasse. D.ieu avait cherché dans Son peuple et trouvé un homme dont le calibre moral, l’humilité et l’amour le qualifiaient pour porter le message de liberté de D.ieu au monde. Mais il était déficient dans l’élément le plus élémentaire de la représentation : la parole.


L’idée d’inclusion est assez familière : chaque être humain a une valeur incalculable ; les différences de capacités se superposent à notre humanité innée. Il nous incombe donc de donner à chacun la possibilité de mettre en application son assortiment unique de qualités. Les obstacles imposés par la nature doivent être contournés pour permettre cette expression.

Moïse n’a pas demandé à bénéficier d’un miracle

Mais il y a dans l’appel à l’inclusion plus que l’installation de rampes et des campagnes d’éducation. Celui-ci demande que nos solutions soient imprégnées de sensibilité et de respect. Il peut arriver que des solutions pratiques soient mises en place qui ne tiennent pas compte de la dignité de la personne. Il nous incombe de nous occuper de la personne en tenant compte de sa réalité particulière. L’environnement est malléable, les circonstances peuvent être modifiées, mais pas l’individu. Si une rampe d’accès à la bimah n’est pas disponible pour quelque raison, c’est à lui qu’il faut apporter la cérémonie. Nous sommes au service des gens, pas d’une architecture limitée.


D.ieu aurait-il pu miraculeusement modifier la langue de Moïse, le soulager de son handicap et lui donner la confiance nécessaire pour parler devant Pharaon ? Bien sûr. Mais Moïse n’a pas demandé à bénéficier d’un miracle.

Il convient de rappeler ce qui a inspiré D.ieu à choisir Moïse comme chef de son peuple. Un agneau dont il avait la charge s’était égaré, et Moïse s’était mis à la recherche de son animal perdu.4

Cette attention intransigeante à l’égard de l’individu est ce qui lui valut l’affection de D.ieu. Moïse était le chef qui possédait cette rare qualité : la conscience des réalités diverses de chacun.

Moïse ne chercha pas à obtenir un miracle, une distraction de son infortune. Il se tint dans la réalité qui était la sienne et se présenta à D.ieu. « J’ai la bouche et la langue pesantes. » Peut-être parle-t-il au nom de chaque homme ou femme qui possède un handicap. « Ce sont les faits ; nous avons tout à donner, pour peu que la société apprenne à voir au-delà des contraintes de la nature et à faciliter nos capacités. »

D.ieu modifie les circonstances, pas l’individu

Alors, qu’a fait D.ieu ? « Je serai avec ta bouche, et Je t’indiquerai ce que tu devras dire. »5 Na’hmanide, le célèbre commentateur du 13e siècle, l’explique ainsi : D.ieu a promis d’élaborer pour Moïse un message avec des mots qu’il pouvait articuler.6 Il avait reconnu le potentiel de Moïse, avait vu ses limites et adapté Son propre scénario divin pour doter Moïse de mots avec lesquels il était à l’aise. D.ieu modifie les circonstances, pas l’individu.

Dans notre quête de réussir à inclure chaque membre de nos communautés, nous ferions bien de prêter attention à cet exemple d’adaptation. Si nous pouvons apprendre à modifier notre environnement pour qu’il soit adapté à ceux qui sont contraints par des forces implacables, cela nous fera peut-être mériter l’avènement du prochain rédempteur de notre peuple, qui amènera le véritable progrès moral au monde.