Rabbi Yehochoua ben ‘Hananiah dit : « Une fois, un enfant a eu le dessus sur moi. »

« J’étais en voyage et j’ai rencontré un enfant à un carrefour. Je lui ai demandé : “Quel chemin mène à la ville ?”, ce à quoi il répondit : “Ce chemin est court et long, et ce chemin est long et court.”

« J’empruntai le chemin “court et long”. J’arrivai bientôt en vue de la ville, mais incapable de la rejoindre, car des jardins et des vergers obstruaient mon passage. Je revins donc sur mes pas et demandai à l’enfant : “Mon fils, ne m’as-tu pas dit que celui-ci était le chemin court ?” L’enfant répondit : “Ne t’ai-je pas dit qu’il était long également ?” »

(Talmud, Erouvine 53b)


Dans la vie également, il y a un chemin « court, mais long » et un chemin « long, mais court ».

Dans le Tanya, Rabbi Chnéour Zalman de Lyadi établit les principes fondamentaux de l’approche ‘hassidique de la vie propre à ‘Habad. Dans la page de garde de cette « Bible du ‘Hassidisme », il définit ainsi son œuvre :

« [Ce livre est] basé sur le verset1 “Car [la Torah et ses préceptes] est quelque chose qui est très proche de toi, dans ta bouche et dans ton cœur, de sorte que tu puisses l’accomplir”, pour expliquer, avec l’aide de D.ieu, comment elle est en effet très proche, selon un chemin long et court. »

La Torah et ses commandements (mitsvot) sont le plan du Créateur pour la création, décrivant avec précision comment Il voulait que la vie soit vécue et comment Son but dans la création serait atteint. Mais une vie qui est ordonnée par la Torah est-elle réalisable concrètement ? Est-il réaliste de penser qu’un « monsieur Tout-le-Monde » ordinaire puisse conformer toutes ses actions, ses paroles et ses pensées aux directives si exigeantes de la Torah ?

La Torah elle-même est tout à fait claire à ce sujet : « Car la mitsva que je te prescris aujourd’hui n’est pas hors de ta portée, ni éloignée de toi. Elle n’est pas dans les cieux... elle n’est pas au-delà des mers... Car elle est quelque chose qui est très proche de toi, dans ta bouche et dans ton cœur, de sorte que tu puisses l’accomplir. » La Torah n’est pas un idéal abstrait, un point de référence vers lequel il conviendrait de tendre, mais un objectif concret et réalisable qu’il faut accomplir.

Mais comment ? Dans le Tanya, Rabbi Chnéour Zalman développe l’approche ‘Habad : une approche holistique de la vie dans lequel l’esprit et l’intellect jouent le rôle moteur et central. Tout d’abord, une personne doit étudier, comprendre et méditer sur les vérités quintessentielles de l’existence : la réalité de D.ieu qui à la fois englobe et transcende tout et pénètre tout ; la racine et l’essence de l’âme et son lien intrinsèque avec son Créateur ; la mission de l’homme dans la vie, ainsi que les ressources et les défis qui lui sont présentés pour qu’il la remplisse. Ces concepts étant extrêmement subtils et abstraits, il est nécessaire de se livrer « à un labeur de l’âme et à un labeur de la chair » pour être en mesure de les appréhender puis de les intégrer à sa vie.

L’étape suivante de cette approche consiste à traduire cette connaissance et cette compréhension en sentiments émotionnels. En raison de la supériorité innée de l’esprit sur le cœur que le Créateur a implantée dans la nature humaine, la compréhension, l’assimilation et la méditation sur ces concepts divins entraînent le développement des émotions appropriées dans le cœur : l’amour et la crainte de D.ieu. « L’amour de D.ieu » est défini par Rabbi Chnéour Zalman comme étant le désir inextinguible de s’attacher à Lui et d’être unifié avec Son essence ; « La crainte de D.ieu » est la répugnance absolue pour tout ce qui érige des barrières entre Lui et l’être humain.

Finalement, quand une personne a orienté son esprit et transformé son cœur de la sorte, son observance des préceptes de la Torah devient pour elle non seulement possible, mais une nécessité impérieuse. Elle aspire à l’accomplissement des mitsvot avec chaque fibre de son être, car celles-ci constituent le lien entre elle et D.ieu, le moyen – l’unique moyen ! – par lequel elle peut se connecter à son Créateur. Et toute transgression de la volonté de D.ieu, quelque attrait qu’elle puisse exercer sur sa nature matérielle, lui paraît littéralement dégoutante, car elle perturbe sa relation avec D.ieu et va à l’encontre de son être véritable.

Mais d’aucuns pourraient objecter : pourquoi devrais-je passer ma vie à suivre cet exigeant régime de l’esprit et du cœur ? Pourquoi devrais-je peiner pour comprendre et ressentir ? Pourquoi ne pas prendre l’approche directe : ouvrir les livres et suivre les instructions ? Je suis un Juif simple, pourrait-il dire, et atteindre de nobles états spirituels tels que « la compréhension du Divin », « l’amour de D.ieu », et « la crainte de D.ieu » sont bien au-delà de mes capacités. Je connais la vérité, et je sais ce que D.ieu veut de moi : la Torah énonce très clairement ce qu’il faut faire et ne pas faire dans la vie. J’ai une nature matérialiste et égocentrique ? J’ai un penchant inné vers les désirs mauvais et autodestructeurs ? Eh bien, je les maitriserai. Ma foi, ma détermination et la force de ma volonté feront le travail.

Ceci, cependant, est le chemin « court, mais long ». Étant la ligne la plus directe et la plus simple entre deux points, il est perçu à tort comme étant le chemin le plus sûr pour atteindre la ville. Mais, en vérité, l’approche directe est une impasse. Comme pour la route que Rabbi Yehochoua a d’abord choisie, elle semble mener tout droit à la ville, mais elle n’y parvient jamais tout à fait. Car elle est un chemin de lutte perpétuelle, la scène du duel sans fin entre l’âme animale de l’homme tournée vers soi et son âme divine qui s’élance vers le haut. Certes, l’homme a été doté du libre arbitre ainsi que du courage et de l’endurance spirituelle nécessaires pour surmonter toutes les épreuves morales ; mais la possibilité de l’échec, à D.ieu ne plaise, existe également. Quel que soit le nombre de fois où l’on triomphera, demain apportera une nouvelle épreuve. Sur le chemin court et long, on peut gagner bataille après bataille, mais il n’y a jamais de victoire décisive dans la guerre de la vie.

D’un autre côté, le chemin « long, mais court » est sinueux, raide, fastidieux, et aussi long que la vie elle-même. Il est plein de hauts et des bas, d’échecs et de frustrations. Il exige chaque once d’endurance intellectuelle et émotionnelle que l’être humain est capable de fournir. Mais c’est un chemin qui mène, régulièrement et sûrement, à la destination à laquelle on aspire. Lorsque l’on acquiert enfin une aptitude et un goût intellectuel pour le Divin, lorsque l’on parvient à développer un désir du bien et une aversion pour le mal, la guerre a été gagnée. La personne elle-même est transformée en quelqu’un dont chaque pensée, chaque parole et chaque action sont naturellement en harmonie avec la quintessence de son être et du but de sa vie.