La paracha de Be’houkotaï commence par les mots : « Si vous marchez dans Mes statuts », et ce discours est un profond commentaire, presque une méditation, sur cette seule phrase. Il explore deux thèmes centraux : la nature de l’étude de la Torah, et le rapport entre la foi et la compréhension.

1. « Mes statuts »

Notre Paracha commence avec la phrase : « Si vous marcherez dans Mes statuts »,1 sur lesquels le Sifra commente : « On pourrait pu penser qu’il est ici question de l’accomplissement des commandements, mais quand la Torah dit ensuite : “et si vous garderez Mes commandements et les accomplirez”, l’accomplissement des commandements est ici mentionné. Comment, dès lors, comprendre « Si vous marcherez dans Mes statuts » ? (Cela signifie) que vous devrez déployer des efforts dans l’étude de la Torah. »

Si « ...vous marcherez dans Mes statuts » désignait l’accomplissement des commandements, nous pourrions comprendre pourquoi seuls les « statuts » (‘houkim) sont mentionnés, sans référence aux autres sortes de commandement, les témoignages (édot) et les jugements (michpatim). Cela enseignerait que ces autres commandements, qui ont un fondement rationnel, doivent être observés avec la même acceptation inconditionnelle que les statuts, qui dépassent notre entendement.2

Mais dans la mesure où nous devons comprendre cette expression comme faisant référence à l’étude de la Torah, pourquoi le mot « statuts » est-il même employé ? L’étude de la Torah relève essentiellement de l’intellect et de la compréhension. L’effort que l’on y investit ne consiste pas seulement à apprendre par cœur les différentes lois, mais également de comprendre leurs raisons, telles qu’elles sont expliquées dans la Torah Écrite et dans la Torah Orale.

Mais, bien que les « statuts » soient au-delà de notre compréhension – comme le dit Rachi3 : « C’est un décret émanant de Moi, sur lequel tu n’as pas le droit de spéculer » –, ils ne constituent qu’une petite partie de la Torah, dont la majorité est sujette à explication.

La Torah Écrite elle-même est réduite comparée à la grande masse de la tradition orale. Et s’agissant de la Torah Écrite, la compréhension n’est pas déterminante, de sorte que l’on récite la bénédiction sur l’étude de la Torah ou lorsqu’on est appelé à la lecture de la Torah même si l’on ne comprend pas ce que l’on lit. En revanche, pour dire une bénédiction sur l’étude de la Torah Orale, il est nécessaire de la comprendre.4

La différence quantitative entre la Torah Écrite et la Torah Orale est mise en évidence par le fait que la Torah Écrite consiste en un nombre déterminé de mots et de versets, auquel il ne peut y avoir aucune addition. La Torah Orale, elle, est sans fin. Une quantité limitée en a déjà été révélée, mais de nouvelles découvertes sont toujours possibles : « Tout ce qu’un étudiant émérite sera amené à y découvrir. »5 Elle n’a pas de limites.

Et de même, à l’intérieur de la Torah Écrite, les « statuts » – les lois pour lesquelles aucune raison ne nous a été communiquée – ne constituent qu’une petite partie de l’ensemble des commandements.

De sorte que la question est encore renforcée : pourquoi, lorsqu’elle traite de l’étude de la Torah, la Torah mentionne-t-elle les seuls statuts ? Pourquoi citer ce qui représente une minorité, s’il s’agit de désigner l’ensemble de la Torah ? Et pourquoi, s’agissant d’une activité intellectuelle, citer précisément les cas qui ne peuvent être compris ?

2. Étudier et graver

Dans Likoutei Torah, Rabbi Chnéour-Zalman explique que le mot « statut » (‘hok) est relié au terme signifiant « graver » ou « tailler » (‘hakika). Ainsi l’emploi du mot « statut » vient-il suggérer que l’étude doit « graver » les mots de la Torah dans l’âme.

Qu’est-ce qui distingue la gravure des autres formes d’écriture ?

En premier lieu, les mots ne sont pas ajoutés, comme quelque chose d’étranger, au support sur lequel ils sont écrits. Ils en deviennent partie intégrante.

Et surtout, les lettres n’ont pas de substance propre. Leur existence découle uniquement du matériau dans lequel elles ont été taillées.

Ainsi, quand le verset nous dit que notre étude doit être « gravée » en nous, il ne nous enseigne pas seulement qu’un Juif doit devenir uni à la Torah (contrairement à l’étude superficielle de Doeg, dont les Sages disent6 qu’elle était « seulement de la surface vers l’extérieur »). Car l’unité peut parfois être réalisée par la jonction de deux entités séparées (comme l’écriture ordinaire réunit l’encre et le papier), et cela, dans l’étude, n’est pas suffisant, car elle doit être « gravée », c’est-à-dire que celui qui étudie ne doit avoir aucune substance, son ego ne doit avoir aucune voix. Son être entier doit être la Torah.

Le grand exemple de cela est Moïse, le premier à recevoir la Torah. Son abnégation était si absolue qu’il pouvait dire : « Je donnerai de l’herbe dans ton champ. »7 « La Présence Divine parlait par sa gorge. »8 Il était un vide empli par D.ieu.

Il est fut de même de Rabbi Chimone bar Yo’haï, qui dit : « J’ai vu des hommes supérieurs et ils sont peu nombreux. S’ils sont mille, moi et mon fils sommes parmi eux ; s’ils sont cent, moi et mon fils sommes parmi eux ; s’ils sont seulement deux, c’est moi et mon fils ; et s’il n’y en a qu’un, c’est moi. »9 Ce sont là des paroles de louange de soi, or la louange de soi n’est pas le fait du juste. Il ne put les prononcer que parce qu’il était si dépourvu de conscience de soi, si rempli de D.ieu, que c’est comme s’il parlait de quelqu’un d’autre.

3. Les explications reliées

Toutes les explications dans la Torah ont une unité profonde.10 Ainsi l’interprétation de « statuts » comme « gravure » s’accorde avec le sens littéral du mot qui signifie « lois qui dépassent notre entendement » plutôt qu’elle ne le contredit.

Étudier la Torah comme si elle était entièrement composée de statuts est étudier dans un état d’engagement inconditionnel. Cela n’exclut pas la recherche de la compréhension. Le but est précisément de comprendre, mais seulement quand cela s’accompagne d’engagement. Non pas : « Je ferai quand je comprendrai », non pas : « Je comprendrai parce que j’apprécie la recherche de la connaissance », mais : « Je ferai, et parce que cela m’est commandé, je m’efforcerai de comprendre. » Tel est le véritable « effort », un effort entrepris sans être motivé par le plaisir.

Quand l’étude est de cet ordre, elle devient « gravée ». Celui qui étudie et la Torah étudiée deviennent littéralement une seule et même chose.

4. « Marcher »

Ce qui précède explique une partie de la phrase : « Si vous marcherez dans Mes statuts ». Mais qu’en est-il du mot « marcherez » ? « Marcher » ou « aller » (halikha) suggère une diversité de niveaux et une progression de l’un à l’autre. Par exemple, dans la vie émotionnelle, l’on « va » ou monte de la forme la plus élémentaire de l’amour à la forme la plus élevée. Mais la notion d’engagement absolu semble être dépourvue de niveaux. Cela semble être un état, plutôt qu’un processus.

Rabbi Chnéour Zalman de Lyadi écrit que « aller » se rapporte non à la tâche d’un homme, mais à sa récompense. Si le service est, dans les deux sens du terme, « dans Mes statuts », alors la récompense est « vous marcherez », « vous irez » toujours plus haut. Et « aller » véritablement est un progrès sans limites.

5. Foi et compréhension

Toutefois, la lecture simple du verset considère toute l’expression « Si vous marcherez dans Mes statuts » comme se rapportant à l’effort de l’homme, la récompense commençant au verset suivant : « Alors Je donnerai vos pluies en leur saison. »

Il est écrit dans Likoutei Torah11 que l’élément principal de la foi réside dans les niveaux du Divin qui transcendent la compréhension. Ce qui peut être compris doit être compris. La foi commence où la compréhension s’arrête.

Telle est la qualité distinctive de la foi juive. Elle ne découle pas de la compréhension, elle la dépasse.

Or l’intellect a ses niveaux : « Les jours parleront, et la multitude des années enseigneront la sagesse. »12 Et plus on avance dans la compréhension, plus on élève le seuil de la foi. La foi d’hier devient la compréhension d’aujourd’hui.

C’est pourquoi les « statuts », eux aussi, ont leurs niveaux. Ce qui était incompréhensible hier – un « statut » – est compris aujourd’hui et cesse d’être un statut. Ainsi, par exemple, D.ieu dit à Moïse : « Je te révélerai la raison cachée de la Vache Rousse. »13 La Vache Rousse est pour nous un statut, mais plus pour Moïse à partir de ce moment. Ce n’est pas que la notion de « statut » fit défaut à Moïse, mais que pour lui le seuil de l’incompréhensibilité se situait plus haut que pour nous.

Telle est le sens de « Si vous marcherez dans Mes statuts ». En « s’efforçant » dans la Torah jusqu’à la limite possible, nous élevons chaque jour notre compréhension, et élevons ainsi le point où une loi est un « statut ». C’est cela « aller » : progresser vers une foi toujours plus élever grâce à une compréhension toujours plus élevée.

Et la récompense sera alors : « Je donnerai vos pluies en leur saison... et vous ferai marcher la tête haute », qui est la « progression de force en force » illimitée de la révélation future, qui conduira ensuite à ce qui transcende toute progression : « le jour qui est entièrement Chabbat et repos pour la vie éternelle ».14

(Source : Likoutei Si’hot vol. 3, p. 1012-1015)