La Paracha précédente, Chemini, contenait les lois de pureté rituelles s’appliquant aux animaux. Celle de cette semaine applique les mêmes concepts aux hommes et aux femmes. Dans le Midrash, Rav Simlaï établit une analogie entre le fait que les animaux furent créés avant l’homme et que la législation les concernant précéda celle relative à l’homme. Que déduire de cette analogie ? L’homme fut-il créé le dernier parce qu’il était supérieur ou inférieur à l’animal ? Répondant à cette question dans ce discours, le Rabbi fait le lien entre l’opinion de Rav Simlaï et son caractère, et analyse la distinction importante entre une vertu innée et une vertu acquise, ou entre une qualité héritée et une qualité forgée par l’effort. C’est un sujet qui a intéressé nombre de penseurs : lequel est meilleur : l’homme né vertueux, ou celui qui l’est devenu par son effort ? Le Rabbi en profite pour étudier en profondeur le rôle de l’effort dans la vie religieuse.
1. Le nom « Tazria »
Les noms des Parachas, comme nous l’avons remarqué précédemment,1 ne sont pas de simples étiquettes destinées à les différencier entre elles. Chaque nom en hébreu, la langue sainte, exprime la nature de ce qui est nommé. Les noms des Parachas nous révèlent ainsi leur contenu essentiel. C’est pourquoi le nom de certaines d’entre elles n’est pas tiré de leurs premiers mots, comme cela est habituellement le cas, mais d’un mot ultérieur qui exprime plus parfaitement leur thème.
Un exemple nous est donné par notre Paracha. Après l’introduction générale (« Et l’Éternel parla à Moïse en ces termes »),2 le premier mot est « femme » (icha) : « Lorsqu’une femme concevra et enfantera un enfant mâle... » Pourtant nous n’appelons pas cette Paracha « Icha », mais « Tazria » (« enfantera »).
Quel est donc le concept recelé dans le mot Tazria qui résume le contenu de la Paracha tout entière ?
Il y a aussi une difficulté suscitée par le commentaire de Rachi sur les mots : « Lorsqu’une femme concevra ». Citant le Midrash,3 il écrit : « Rav Simlaï a dit : De même que la création de l’homme eut lieu après celle du bétail, des bêtes sauvages et des volatiles, quand le monde fut créé, ainsi la loi le concernant est-elle instaurée après celle relative au bétail, aux bêtes sauvages et aux volatiles (contenue dans la Paracha précédente) ». Ainsi, le thème que notre Paracha aborde, par contraste avec les chapitres précédents, est la loi relative aux humains, par opposition à celles relatives aux animaux. Le mot icha (« femme ») n’est-il pas seulement le premier terme distinct dans la Paracha, mais il semble fort approprié à son sujet, à savoir la législation concernant les humains. De quelle manière le terme ultérieur de Tazria exprime-t-il plus complètement cette idée de « la loi de l’homme » ?
2. La place de l’homme dans la création
Rav Simlaï, dans son commentaire cité plus haut, emploie l’expression « de même que », plutôt que « parce que ». En d’autres termes, la loi de l’homme vient après celle des animaux, non pas parce qu’il fut créé en dernier, mais pour la même raison que celle pour laquelle il fut créé en dernier.
Quelle fut cette raison ? Diverses réponses sont données dans le Midrash et le Talmud.4 L’une d’elles est la suivante : c’est afin que, si l’esprit de l’homme devient trop orgueilleux, il lui soit rappelé que même les moucherons l’ont précédé dans l’ordre de la Création. Également : afin que les hérétiques ne puissent pas dire que l’Éternel, béni soit-Il, eut un associé (à savoir, Adam) dans la Création. Et encore : l’homme fut créé le dernier afin qu’il pût s’engager immédiatement dans l’accomplissement d’un précepte : il fut créé le vendredi, afin de pouvoir sanctifier immédiatement le Chabbat. Enfin : afin qu’il pût immédiatement « s’engager dans le banquet », c’est-à-dire que la nature entière était prête pour son usage.
Mais les commentateurs ont remarqué que toutes ces raisons, bien qu’elles expliquent pour l’homme fut créé en dernier, ne permettent pas de comprendre pourquoi il fut le dernier à avoir sa législation. Quel est donc le sens de l’analogie que fait Rav Simlaï en disant « de même que » ?
Rabbi Chnéour Zalman de Lyadi, le fondateur de ‘Habad, explique dans le Tanya5 qu’en un sens, l’homme est inférieur à toutes les autres créatures, même aux bêtes catégorisées comme impures ; inférieur même au moucheron. Car, non seulement il pèche, alors que les bêtes ne pèchent pas, mais il est capable de pécher, tandis qu’elles ne le sont pas. Tant potentiellement que concrètement, le péché est une réalité pour l’homme, non pour l’animal.
3. L’ordre de l’étude
L’ordre habituel à suivre dans l’étude de la Torah est d’aller du simple au complexe, de ce qui est léger à ce qui a plus de poids. Ceci s’applique à ce qui est étudié : un enfant de cinq ans commence par le ‘Houmach, passe ensuite à la Michna à l’âge de dix ans,6 et ainsi de suite. Cela s’applique également à la profondeur de l’étude : d’abord vient la familiarisation avec le texte, et seulement ensuite interviennent les questions, la dialectique, l’étude en profondeur.7 Et cela s’applique aussi à la façon d’étudier : nous n’accédons pas d’emblée au plus haut niveau de l’étude de la Torah qui est de l’étudier pour elle-même (Torah Lichma), comme David qui « élevait en-Haut la source de la Torah, l’unissant à l’Essence de D.ieu ».8 Au lieu de cela, « quand un homme l’accomplit (c’est-à-dire lorsqu’il étudie), c’est, au début, en pensant à lui-même qu’il le fait ».9
D’un autre côté, quand la Torah Fut donnée, l’ordre fut renversé. Sa dévolution de la spiritualité de D.ieu à la situation physique de l’homme constitua, pour ainsi dire, une descente du haut vers le bas. Dans le passage des Proverbes décrivant la sagesse de la Torah,10 il est dit d’abord : « Alors, j’étais auprès de Lui, comme un enfant élevé avec Lui, et j’étais chaque jour Son délice ». Ce n’est qu’après que vinrent « mes délices avec les fils des hommes ». La Torah est descendue des hauteurs de D.ieu pour devenir la possession de l’homme.11 Et nous, dans notre étude, en refaisons le chemin, nous élevant depuis notre situation physique jusqu’à la proximité spirituelle avec D.ieu.
Cet ordre de l’étude est reflété par la structure de la Torah elle-même. C’est la raison pour laquelle les lois relatives aux animaux viennent en premier. Sanctifier le monde animal en distinguant l’impur du pur est relativement aisé. Le problème du péché ne se pose pas dans leur cas. Mais l’effort de l’homme pour se sanctifier, du fait de capacité à mal agir, est de loin plus difficile. C’est pourquoi les lois du comportement humain viennent en dernier. Non en raison de la supériorité innée de l’homme par rapport aux animaux, mais à cause de ses déficiences. Ceci est aussi l’opinion de Rav Simlaï sur la raison pour laquelle l’homme fut créé en dernier : « Pour que, s’il lui arrive de devenir trop orgueilleux, il lui soit rappelé que les moucherons l’ont précédé dans l’ordre de la Création. »
4. Rav Simlaï – l’homme et ses opinions
Nous pouvons voir maintenant le rapport entre le commentaire de Rav Simlaï – de même que l’homme fut créé en dernier, ainsi la législation le concernant vient en dernier dans la Torah – et la personnalité de Rav Simlaï lui-même.
On peut posséder une vertu de deux manières : elle peut avoir été acquise par l’effort, ou elle peut être innée, ou providentielle. Chacune de ces manières a ses avantages. Une vertu innée, ou accordée sans effort, n’a aucune limite naturelle. C’est comme la différence entre le talent et l’expertise. Un talent inné peut être illimité ; l’expertise, péniblement acquises, ne peut jamais l’égaler véritablement. Mais dans son intériorité, la vertu atteinte par l’effort surpasse celle qui est innée. On est bien plus engagé dans ce que l’on a gagné que dans ce que l’on a reçu.
Cette distinction sous-tend les deux explications contradictoires sur la place de l’homme comme dernière œuvre de la Création : la première, qu’il est la plus élevée des créatures, la seconde, qu’il en est la plus inférieure.
Pour les capacités innées, l’homme est le plus élevé. Dès sa naissance, avant qu’il ait commencé à servir D.ieu, il possède déjà une âme qui est littéralement une partie de D.ieu12 qu’il conserve, en même temps qu’une foi sous-jacente, quand bien même il s’écarte de la volonté divine.13 Mais pour les vertus qu’il acquiert par l’effort de son service, il n’est, au départ, pas meilleur que le reste de la Création. En fait, ce qui est d’emblée le plus apparent, c’est sa nature physique, son manque de retenue, sa capacité à pécher. Les forces de l’âme ne sont pas encore exprimées. Elles doivent encore être révélées par l’effort du service divin. D’où la seconde opinion, selon laquelle l’homme fut créé en dernier afin qu’il lui soit rappelé que même le moucheron lui est antérieur à cet égard.
Le rapport entre ce point de vue et son auteur est le suivant : Rav Simlaï n’avait pas d’ascendance illustre. Il nous est relaté dans le Talmud14 qu’il alla trouver Rabbi Yo’hanane à qui il demanda de lui enseigner le Livre des Généalogies. Mais Rabbi Yo’hanane refusa, pour la raison (selon Rachi) qu’il ne descendait pas d’une famille distinguée. Ainsi, Rav Simlaï, ne pouvant prétendre à une vertu héritée, fut amené à apprécier la valeur et l’importance de l’effort et de la vertu acquise. Ceci explique son interprétation de l’ordre de la Création. À sa création, l’homme n’a aucune particularité acquise, si ce n’est la disposition au péché. Il fut créé en dernier parce qu’à ce stade, il est le plus inférieur des êtres.
Ceci explique aussi pourquoi la loi humaine doit être appelée Tazria (« a conçu »). Car le processus depuis la conception jusqu’à la naissance symbolise l’effort, le fait de mener à bien quelque chose, c’est-à-dire de « travail » dans les deux sens du terme. Il y a encore un autre symbolisme dans la phrase : « Lorsqu’une femme concevra. » Les éléments mâle et femelle dans la procréation représentent respectivement « l’éveil spirituel d’en Haut » (c’est-à-dire l’initiative divine), et celui « d’en bas » (l’initiative humaine).15 Et le service, l’effort, la lutte sont les formes que prend l’initiative humaine.
5. Les deux faces de l’homme
Un principe, exprimé dans la prière de Lekha Dodi, enseigne que « le dernier dans l’action est le premier dans la pensée ». Ainsi, l’homme, qui fut créé le dernier, constituait l’intention originelle derrière toute l’entreprise de la Création.
Les deux opinions s’accordent pour dire que l’homme est le sommet de la vie créée. Mais l’une considère sa stature à l’aune de son essence innée : son âme divine, l’autre, en fonction de son accomplissement potentiel par l’effort au service de D.ieu, tout en considérant l’homme en lui-même comme le plus inférieur des êtres. Ce point de vue, qui est celui de Rav Simlaï, voit les deux faces de l’homme (« Adam » en hébreu) : d’un côté, il est formé à partir de la poussière de la terre (« Adama »), d’un autre côté, il est capable de devenir divin (« Adamé leElyone » – « je ressemblerai à D.ieu »). Telle est sa capacité essentielle : il peut se transformer complètement et, d’un être « naturel », devenir un être « spirituel ».
6. Service et créativité
Le nom « Tazria », par conséquent, symbolise la « avoda », le service divin accompli par l’homme. Il suggère aussi l’importance de ce service. Car lorsqu’une femme conçoit un enfant qui se développe ensuite dans son ventre, c’est un être entièrement nouveau qui est amené à l’existence. La naissance de l’enfant ne fait que révéler cette création, qui se fit au moment de la conception. Et quand l’homme entame une vie de service divin, lui aussi crée un être nouveau : l’homme naturel devient un homme spirituel, Adama (la poussière de « la terre ») devient Adamé leElyone (un semblant de D.ieu). Et son âme divine, qui était innée, devient également intérieure, parce que, de cadeau gratuit, elle est devenue méritée.
(Source : Likoutei Si’hot, vol. 7, p. 74-79)
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